Afrique - Le pluripartisme accentue-t-il les risques d'instabilité ? - À qui imputer les troubles du Maroc ?
Décembre et janvier ne furent pas des mois favorables aux pays africains dotés de régimes pluripartites ou en voie de l’être. Le Sénégal, la Tunisie, le Maroc, ont été secoués par des mouvements populaires dont les causes immédiates paraissent avoir été semblables, du moins dans les deux derniers cas, et qui peuvent être l’objet d’exploitations identiques. Le Nigeria, à peine sorti d’une campagne électorale agitée, a vu son président, pourtant élu à une confortable majorité, renversé par une junte qui s’est déclarée soucieuse de mettre un terme aux effets stérilisants des luttes politiques en période de crise économique. Chacun de ces pays occupe, en Afrique, une place importante. Maroc et Tunisie, par le rôle qu’ils prennent au Maghreb, sont un relais essentiel de l’influence des pays « modérés » du Proche-Orient vers l’Afrique noire. Le Sénégal a une action modératrice dans toute l’Afrique de l’Ouest. Quant au Nigeria, tant par sa puissance économique que par la variété de sa composition ethnique, il est appelé non seulement à rayonner sur l’ensemble du continent africain, mais à participer à l’élaboration de la politique des États producteurs de pétrole ; d’autre part, en raison du poids de sa population musulmane, il se présente, avec le Soudan, comme le foyer le plus capable de contrebalancer l’influence maghrébine dans l’Afrique sahélienne ; à ce titre, il devient un objectif de choix pour ceux, intégristes ou progressistes, qui s’efforcent de contraindre les petits États de cette zone à se ranger sous leur bannière.
Sénégal, Tunisie, Maroc, Nigeria sont également les seuls États qui reflètent ce que l’influence occidentale a de plus positif : la règle démocratique qui permet aux tendances, existant dans un État, de débattre ouvertement des problèmes qui intéressent toutes les populations de cet État. Les régimes à parti unique, quelles que puissent être leurs alliances internationales, ont une conception de la démocratie qui les apparente aux pays socialistes où rien ne transparaît des conflits de tendances, où même, souvent, la vérité est imposée à la base sous forme de directives. Il est évident qu’en Afrique cette forme de pouvoir peut paraître moins vulnérable que le système parlementaire. Tous les jeunes États africains, avant et afin de se former en Nation, ont dû connaître le pouvoir absolu d’un parti, d’une armée ou d’un homme.
Toutefois, dans notre conception occidentale, l’adoption d’un régime pluripartite apparaît comme un progrès vers une émancipation toujours plus complète des hommes. On peut donc affirmer qu’une crise, qui obligerait ces pays à restreindre des libertés que l’Occident juge fondamentales, démontrerait qu’une démocratie de type occidental peut difficilement s’exercer en Afrique, que notre modèle n’est ni imitable ni adaptable. Le paradoxe prend toute sa dimension quand on s’aperçoit que de telles crises ont été provoquées, dans presque tous les cas, par une action du FMI (Fonds monétaire international). Cet organisme international, pourtant largement dépendant de l’administration américaine, a mis en demeure les gouvernements d’avoir à pratiquer la vérité des prix, par conséquent de cesser toute subvention aux produits de première nécessité. Un tel remède, imposé en 1983 à des régimes autoritaires, a pu être appliqué sans trop de troubles, au Soudan, par exemple, ou au Zaïre (ancien Congo-Kinshasa). Au Maroc et en Tunisie, pays plus fragiles, parce qu’ils possèdent une opinion publique plus sensible, les émeutes ont obligé les chefs d’État à prendre des mesures d’exception et à revenir sur leurs décisions. Au Nigeria, le coup d’État militaire fut destiné, semble-t-il, à prévenir les désordres que pourrait provoquer une remise en ordre de l’économie nationale. Les pressions des technocrates internationaux auraient pu être évitées ou auraient pris, sans doute, une autre forme si les relations des pays industrialisés avec le monde en développement avaient été établies sur des bases tenant compte des différences existant entre des pays à la fois antagonistes et complémentaires mais l’on sait que la mutation des règles internationales peut difficilement survenir sans avoir été l’aboutissement d’une tension aiguë. Nous n’en sommes pas encore là.
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