Institutions internationales - Faudra-t-il redéfinir la Communauté européenne ? - Les organismes internationaux en proie aux difficultés financières
La crise mondiale n’aura pas seulement eu pour effet de nuire gravement au développement des nations, elle a également mis à mal les organisations internationales. L’endettement des pays les contraint à une lésine de leurs contributions aux organismes auxquels ils sont affiliés. L’Organisation de l’unité africaine (OUA) est en état de faillite, mais elle n’est pas seule et la Communauté européenne ne pourra probablement pas clore son exercice cette année.
La situation est d’autant plus préoccupante que les économies européennes s’avèrent impuissantes à créer des emplois et à maîtriser efficacement l’inflation. De plus leurs industriels placés face à un marché atone, victimes de la baisse des profits, parfois acculés à l’endettement, répugnent à investir au risque de manquer les rendez-vous de l’avenir. Cet héritage de la crise favorise enfin les tensions internes à la Communauté économique européenne (CEE). On vient d’en faire encore l’expérience à Bruxelles.
Faudra-t-il redéfinir la Communauté européenne ?
À Athènes, début décembre 1983, le Conseil européen avait achoppé sur les dossiers techniques. À Bruxelles, l’échec est venu des problèmes budgétaires. Cette réunion au sommet avait pourtant été minutieusement préparée par la France et le président Mitterrand avait personnellement pris soin de rendre visite à tous nos partenaires. Les questions techniques, notamment dans le domaine agricole, avaient pu être réglées par des compromis, le 17 mars 1984, et l’essentiel en sera d’ailleurs repris 15 jours plus tard dans l’accord finalement intervenu au niveau ministériel. En dépit de toutes ces précautions et des accommodements qui étaient intervenus, le Sommet de Bruxelles a échoué par suite de l’intransigeance de Mme Thatcher (Premier ministre britannique) à propos de la contribution de son pays. Pour surmonter l’obstacle, la France avait pourtant fait une ultime proposition : la Grande-Bretagne recevrait un chèque d’un milliard d’ECU (European Currency Unit) chaque année et pendant 5 ans. Cette concession ne fut pas du gré de la « Dame de fer » qui la rejeta.
La fermeté britannique est nettement approuvée par l’opinion anglaise puisqu’elle est très majoritairement favorable à une sortie du Marché commun. De plus, Mme Thatcher voudrait contraindre les pays du continent à adopter le traitement de choc qu’elle a administré à son pays. Mais le prestige dont se pare le Premier ministre britannique en restant inflexible est contrebalancé par l’impopularité qui s’attache à son nom parmi ses partenaires européens. Ceux-ci se refusent toutefois à prendre des mesures de représailles qui auraient pour effet de donner encore plus de vigueur au refus de Londres. Le seul pays qui ait ouvertement manifesté sa mauvaise humeur fut l’Irlande qui a quitté la réunion, la Grande-Bretagne mettant son veto à toute dérogation aux quotas laitiers.
La CEE souffre d’une surproduction, non seulement dans le secteur agricole mais aussi en matière de sidérurgie. Or, les méthodes élaborées par les experts de Bruxelles sont-elles les mieux appropriées ? Elles entravent les initiatives nationales au profit d’une programmation dont les objectifs sont rarement atteints. Le train de laminage universel dont voulait se doter la sidérurgie lorraine a été sacrifié à une priorité accordée en ce domaine au Benelux (Belgique–Pays-Bas–Luxembourg). Inversement, rien de semblable n’a été décidé en faveur de la paysannerie française dont on entendait faire au départ le pourvoyeur essentiel de la Communauté. Pis encore, on a laissé la Grande-Bretagne importer de forts contingents de produits agricoles venant de pays étrangers à la CEE. De tels coups de canif au principe de la préférence communautaire ont deux effets qui sont directement à l’origine de la crise actuelle : ils accroissent les excédents et ils coûtent cher aux finances de la CEE, plusieurs milliards d’ECU par an sans compter les frais de stockage. C’est en raison de ses infractions à la règle de la préférence communautaire que le Royaume-Uni subi un taux de contribution élevé au budget de la CEE.
Une telle situation ne fait que multiplier les distorsions et accumuler les difficultés. Lors de sa visite à Copenhague, le 14 mars 1984, M. Pierre Mauroy, le Premier ministre français, l’avait explicitement reconnu, affirmant notamment : « les difficultés ne peuvent plus être contournées, les solutions ne peuvent plus être repoussées. Le langage hermétique des experts, la défense des intérêts acquis, sont étrangers aux principes qui ont présidé à la création du Marché commun ». L’échec du Conseil européen de Bruxelles qui a suivi donne plus de poids encore à cette référence aux principes. Car il est évident que cet échec, le deuxième en quatre mois, porte préjudice à l’idée d’une communauté stable et harmonieuse. Outre qu’il présage de nouvelles tensions il ouvre la voie à des rapprochements de circonstance offrant toute latitude à la RFA (République fédérale d’Allemagne) et à la Grande-Bretagne de peser d’un nouveau poids au détriment des pays du Sud. On s’éloigne donc de toute perspective d’une intégration politique.
Le rappel au règlement communautaire n’étant manifestement d’aucun effet sur des pays aussi récalcitrants que le Royaume-Uni, la CEE perd de ce fait son caractère constitutionnel pour n’engendrer que des accords restreints et ponctuels. Cette dérive a été nettement perçue par le président Mitterrand qui s’en est expliqué à la télévision le 21 mars 1984 : « Il faut que les pays d’Europe, y compris la Grande-Bretagne… prennent conscience que cela ne peut pas durer comme cela. Je demande à ces pays, je leur lance un appel pour qu’ils repensent ensemble, dans une consultation qu’il faudra bien organiser, les fondements de l’Europe. » Alors, envisage-t-on un réaménagement de la Communauté de manière à faire sauter certains verrous, comme la règle de l’unanimité, ou bien entend-on prendre des initiatives novatrices qui permettraient une relance de la construction européenne ?
Dans le débat qui se profile ainsi à l’horizon, et qu’on ne pourra guère éluder, la position de Mme Thatcher est peut-être la plus lucide. Il ne s’agit, ce disant, ni d’excuser son attitude présente vis-à-vis des règlements communautaires, ni d’accorder quelque récompense à son intransigeance, ou de fléchir devant elle. L’approche du gouvernement de Sa Majesté est simple : le Traité de Rome n’a pas pour objet de favoriser les riches au détriment des pauvres au sein de la CEE. C’est, dira-t-on à juste titre, un plaidoyer prodomo puisque la Grande-Bretagne se classe au 7e rang des « Dix » en ce qui concerne le PNB (Produit national brut) par tête d’habitant et qu’elle est sommée, en raison de ses incartades commerciales, de contribuer au budget communautaire à un niveau qui la classe juste après l’Allemagne fédérale, le pays le plus riche des « Dix ». De plus Londres considère que la CEE fonctionne au plus mal dès lors qu’elle se voit contrainte de dépenser environ 60 % de ses ressources à soutenir une agriculture excédentaire dont le poids social atteint, au demeurant, tout juste 4 % de la population. La Communauté croule sous les charges qu’elle doit assurer et Londres estime qu’il faut y remédier en acceptant une nouvelle stratégie qui donnerait plus de place aux secteurs de pointe de l’économie de manière à combler les retards pris, par rapport au Japon et aux États-Unis, dans ce domaine.
Il est incontestable que l’attitude actuelle de Mme Thatcher a pour effet d’envenimer les choses : mais ses critiques de fond ne méritent-elles pas d’être examinées en dehors de toute polémique ? La conquête constante des marchés mondiaux qui avait bénéficié à la CEE depuis l’origine a maintenant fait place à un mouvement inverse. Il ne faut donc pas se leurrer : la Communauté européenne ne pourra sans doute redresser cette courbe négative qu’en se plaçant au mieux dans les industries et les technologies de pointe. Mais cela est-il possible sans coordination politique ? Les réalisations « européennes » de haut niveau, comme l’Airbus, sont le fruit d’une entente entre industriels, aucunement le produit d’un programme communautaire, la seule exception étant la fusée Ariane. En définitive, on peut se demander si le projet communautaire n’était pas vicié à la base : n’eut-il pas été préférable pour la France de s’associer plus étroitement avec les pays d’Afrique, pourvoyeurs de matières premières, qu’à vouloir organiser sa production en compagnie de pays directement concurrents de ses propres activités ? La Grande-Bretagne, même depuis 1973, date de son entrée dans la CEE, est restée fort prudente en ce domaine. Et la voici qui, aujourd’hui, cherche à remettre en cause l’édifice où elle a pénétré sans grand enthousiasme.
Les organismes internationaux en proie aux difficultés financières
Il n’est cependant pas que la CEE pour s’interroger sur les conditions dans lesquelles pourra être clos l’exercice financier. Selon son Secrétaire général par intérim, Peter Onu, l’OUA (Organisation de l’unité africaine) qui est déjà sujette à une décomposition politique, est menacée de paralysie totale faute de ressources. Pour le budget en cours 5 pays seulement ont réglé leur contribution, 10 en ont payé une partie, les 35 autres n’ayant rien versé. De ce fait l’organisation est à court de quelque 35 millions de dollars. Il est vrai, au demeurant, que les finances de l’OUA n’ont jamais été gérées de manière satisfaisante, que sa politique est de plus en plus sujette à critiques de la part de certains de ses membres et que les pays africains, durement touchés par la crise mondiale, ne se montrent guère enclins à verser leur écot.
Manque de solidarité ? C’est en tout cas le reproche que font les pays en voie de développement aux États-Unis qui adoptent une attitude de plus en plus restrictive envers les organismes d’aide internationale. Après le coup de semonce lancé par le président Reagan à l’UNESCO, ne voilà-t-il pas que Washington décide successivement de réduire sa contribution à l’Association internationale de développement (AID), et au Fonds international de développement agricole (Fida). Par surcroît l’administration Reagan menace de se retirer de la Cnuced (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement). Du coup la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) s’abstient de toute initiative pouvant contrarier son principal bailleur de fonds. Pour se rendre compte de la portée de telles décisions américaines, il suffit de savoir que l’AID, pour son prochain exercice de 1985 ne disposera que de 9 milliards de dollars alors qu’elle en escomptait 16, le précédent budget ayant plafonné à 12 Mds : un déficit que les autres donateurs de l’AID (soit 32 pays) s’avouent dans l’incapacité de combler.
L’AID est une filiale de la Banque mondiale, chargée d’octroyer aux pays les plus pauvres des prêts à long terme, remboursables sur 50 ans avec un intérêt dérisoire (de l’ordre de 0,75 % l’an). Or, en dépit de cette situation, la Banque mondiale affiche depuis quelque temps un bel optimisme. À son avis, le cap le plus difficile est franchi depuis qu’a pu être écartée la faillite du Mexique et du Brésil, à la fin de 1982. En outre la Banque mondiale fait valoir que des pays comme le Kenya, la Somalie, le Pakistan, la Turquie ont réussi à redresser leur situation en effaçant les trois quarts de leur dette extérieure et en doublant parfois leur taux de croissance. Ce que redoute la Banque mondiale, c’est actuellement une hausse des taux d’intérêt aux États-Unis. Il convient en effet de savoir qu’étant donné l’endettement des pays du Tiers-Monde, toute hausse d’un point des taux d’intérêt correspondrait à un prélèvement de 4 Mds de dollars supplémentaires à leur détriment. La Banque mondiale s’inquiète aussi, sans trop y insister il est vrai, de l’épuisement des ressources de sa filiale l’AID sous l’effet des prêts consentis à des pays aussi budgétivores que la Chine populaire ou l’Inde.
Il est regrettable que nombre de pays en développement, prenant ombrage de toute coopération avec le système capitaliste pour des raisons idéologiques, aient jugé opportun de rejeter certains projets proposés par des multinationales dont le savoir-faire garantissait la rentabilité des investissements et cela à un faible coût. On peut, certes, critiquer les décisions de l’administration américaine concernant les organismes internationaux, mais il faut tout de même admettre que dans ce domaine des aides au développement une certaine prophylaxie serait la bienvenue. ♦