Défense dans le monde - Afghanistan : un conflit dans l'impasse
Le 27 décembre 1979, l’armée soviétique envahissait l’Afghanistan.
Depuis, les combats n’ont connu aucun répit, sans que pour autant l’un ou l’autre des protagonistes ne prennent l’avantage. En dépit de leurs énormes moyens, les Soviétiques ne sont pas venus à bout de la résistance ; la résistance, elle, malgré une parfaite connaissance du terrain et une haine farouche de l’envahisseur n’est pas parvenue à la « bouter » hors de son territoire.
Le conflit est aujourd’hui dans une impasse dont il va falloir sortir par la voie des armes, puisque aucun règlement politique ne semble possible.
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Les échecs soviétiques de 1982 dans la vallée du Panshir, symbole de la résistance afghane, ont démontré que l’appareil soviéto-afghan n’était pas en mesure de réduire à merci quelques centaines de maquisards déterminés. Il est même apparu qu’il était possible de les toucher dans leurs forces vives en terrorisant la population et en pratiquant la politique de la « terre brûlée ». L’idée n’a rien d’original et ne fait que reprendre les principes maoïstes de la guerre populaire révolutionnaire.
Les Soviétiques ont très vite vu les avantages de cette nouvelle tactique ; aussi en 1983, assiste-t-on à un abaissement sensible du niveau des combats : moins d’opérations de grande envergure, sauf si la menace se fait trop forte sur les axes logistiques ou sur les villes de garnison, mais en revanche intensification de la guerre psychologique.
Chaque opération a toujours pour but d’éliminer l’adversaire, mais aussi de terroriser une population qui trop souvent apporte son aide aux moudjahidines. C’est alors la longue théorie des bombardements aériens ou terrestres qui après avoir rasé les habitations, détruit les récoltes et pour partie éliminé les habitants, interdisent pour un temps toute vie dans leur zone d’application.
Si cela n’est pas suffisant, les représailles exercées sur les habitants leur font prendre conscience du danger mortel qu’il y a à vouloir soutenir les mouvements de résistance.
Le résultat ne se fait pas attendre ; la population fuit les zones de combat et cherche refuge dans les grandes villes ou à l’extérieur de l’Afghanistan. La lassitude commence à se faire sentir.
Par ailleurs, les Soviétiques cherchent à conclure des alliances ou des trêves avec les chefs de tribus ou les responsables de la résistance. Ces accords locaux sont toujours favorables à l’occupant : d’une part ils risquent de discréditer le signataire aux yeux de ses pairs et de ses compatriotes, d’autre part ils permettent aux Soviétiques d’appliquer leurs forces sur d’autres parties du territoire. Ceux-ci ont aussi cherché à jouer sur les haines ethniques ancestrales pour rallier certaines tribus à leur cause. Des chefs se sont laissé acheter, des bataillons prosoviétiques ont été mis sur pied…
Ces actions ont été menées dans la plupart des cas par la Police secrète afghane (KHAD) qui n’a cessé de prendre de l’importance au cours de l’année 1983.
Pour compléter ce train de mesures et exercer une plus grande emprise sur le pays, les Soviétiques ont entrepris de former les futures élites afghanes au-delà du rideau de fer. Rien n’est donc laissé au hasard, le processus de satellisation est bien enclenché.
Le seul obstacle qui peut s’y opposer est représenté par quelque cent mille à cent cinquante mille hommes appartenant à une douzaine de tendances politiques, ethniques ou religieuses dont le seul dénominateur commun est la haine des Soviétiques. Mais cette motivation, aussi forte soit-elle, n’est que peu de chose si elle ne s’accompagne pas de moyens matériels qui permettraient de repousser l’envahisseur hors des frontières. Car c’est bien là en effet la cause principale de cette « impasse ».
Pour en sortir, les moudjahidines ont intensifié en 1983 la guérilla urbaine. Par ce biais ils s’attaquent eux aussi au moral de l’adversaire et de ses sympathisants tout en incitant les indécis et les opportunistes à prendre conscience du danger qu’ils courent en collaborant avec l’envahisseur. Les objectifs préférentiels ont bien sûr été les troupes soviétiques et leur infrastructure, l’armée régulière afghane, les fonctionnaires du gouvernement Babrak Karmal, qu’ils soient civils ou militaires. Les agents reconnus comme appartenant au KHAD constituent également un « gibier » très recherché.
Les méthodes d’action restent classiques allant de l’assassinat en pleine rue au poser de bombes dans les lieux fréquentés par ces personnels.
Bien que la résistance ait obtenu quelques résultats dans ce domaine, elle s’est très vite heurtée à un système de sécurité qui entrave ses actions. Il lui a fallu apprendre alors la clandestinité, avec la mise sur pied de réseaux parfaitement cloisonnés agissant non plus en fonction de l’opportunité, mais selon des plans préétablis et préalablement coordonnés.
Le combat proprement dit continue sous sa forme de guérilla classique. Les actions sont menées tant sur le terrain que dans les villes et, fait nouveau pour l’année 1983, elles n’ont pas connu pendant la saison hivernale le fléchissement des années précédentes. Les objectifs visés sont par ordre d’importance les axes logistiques Ouest et Est, les bases aériennes et les garnisons. Le but recherché est de rendre la vie difficile à l’adversaire en lui infligeant des pertes et en créant un climat d’insécurité permanente.
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Si les moudjahidines se voyaient dotés d’armes antiaériennes du type SA-7 ou SATCP (Sol-air de très courte portée, de fabrication française) en nombre significatif, peut-être seraient-ils en mesure d’influer sur le cours du conflit en portant atteinte à la suprématie aérienne absolue de l’adversaire. Celui-ci se verrait alors contraint de multiplier ses effectifs sur le théâtre, provoquant ainsi une escalade dont apparemment le monde libre ne veut pas.
En effet, tout se passe comme si ce conflit limité à son niveau actuel donnait satisfaction à tous : certains y voient un « abcès de fixation », d’autres se donnent bonne conscience en accordant une aide limitée et discrète et souhaitent oublier cette guerre après tout peu gênante dans sa forme actuelle.
Quant aux Soviétiques, ils ne sont pas pressés… le temps travaille pour eux. N’ont-ils pas mis 14 ans pour venir à bout des Turkmènes et des Ouzbeks ? Tout compte fait, en Afghanistan, les Soviétiques n’entament que leur cinquième année d’occupation. ♦