Institutions internationales - Les embarras du Fonds monétaire international (FMI) - La Cnuced (Conférence des Nations unies sur le Commerce et le Développement) dans le collimateur des États-Unis - Les insuffisances de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) et de l'UNICEF (Fonds des Nations unies pour l'enfance)
Le mois d’avril 1984 a été jalonné de conférences financières qui n’ont abouti à aucune décision notable mais qui auront permis de prendre le pouls de l’économie mondiale. L’essentiel s’est passé à Washington, au siège du Fonds monétaire international (FMI) qui venait de publier son rapport. Le Comité intérimaire du FMI, groupant 22 ministres, puis le Comité de développement, émanation du FMI et de la Banque mondiale, enfin le « Groupe des 24 », chargé des intérêts des pays du Tiers-Monde, ont tour à tour fait le point. Auparavant s’étaient concertés, à Paris, les grands argentiers de la zone franc.
Nous avons eu droit, de ce fait, à une abondance de statistiques, mais nous avons aussi assisté à d’irréductibles confrontations qui sont la cause du report de certaines décisions attendues. Avant d’en venir là, voyons le diagnostic que le FMI émet sur l’économie des pays auxquels s’applique son attention.
Les embarras du FMI
Le commerce mondial s’est réactivé l’an dernier, bien que faiblement, mais le FMI escompte qu’il progressera davantage en 1984 et 1985 : + 5,5 %. De ce fait certains pays ont pu redresser leur balance des paiements. L’expansion, dont la reprise s’est amorcée depuis plusieurs mois aux États-Unis devrait se confirmer cette année mais son rythme ne dépasserait guère les 3,5 %, l’essentiel étant que la courbe ne s’infléchisse pas en 1985. Il est bien évident que ces tendances ne sont pas le reflet détaillé de la réalité : des disparités subsistent et les résultats ne sont pas homogènes. D’autant que l’inflation, même si elle a tendance à s’atténuer dans les pays industrialisés, profite toujours au dollar. Le FMI se montre très critique envers la politique américaine à ce sujet. Les taux élevés pratiqués par Washington, le déficit budgétaire américain, deux phénomènes qui ont pour effet de priver les autres pays occidentaux des devises dont ils auraient besoin, sont mis à l’index, ce qui a fortement irrité le secrétaire américain au Trésor. Et puis, il y a l’endettement qui reste la préoccupation majeure de nombre d’États, notamment dans le Tiers-Monde. Il convient cependant de noter un certain reflux en ce domaine. Selon une étude de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le service de la dette des pays en voie de développement a diminué, revenant de 108 milliards de dollars à 96 Mds, et cela pour la première fois depuis le début de la crise. Cette tendance ne doit toutefois pas occulter le fait que le total de la dette de ces pays s’est accru de près de 10 %. Il n’est d’ailleurs pas certain que les indices favorables enregistrés par l’OCDE persistent en 1984, notamment en raison de la hausse des taux d’intérêt américains.
La situation générale n’incline guère à un optimisme forcené. Il revenait donc au FMI, arbitre voire gendarme en la matière, de favoriser une remise en selle des économies en souffrance. Certes, ses interventions se sont multipliées depuis quelque temps à tel point qu’aujourd’hui une quarantaine de pays sont sous sa férule, peu ou prou. Ses programmes d’ajustement ont évité une débâcle financière généralisée, mais ils n’ont en rien résolu les problèmes de l’endettement et des disponibilités monétaires. Lors de la conférence des ministres de l’Économie et des Finances de la zone franc, les 6 et 7 avril, Jacques Delors s’était insurgé contre cette situation : « L’Afrique mérite un meilleur sort que celui qui lui est fait » avait-il affirmé en s’associant à ses collègues qui ne cachaient pas leur inquiétude devant le recul de l’aide multilatérale, en termes réels. Il est de fait que le FMI semble avoir ses privilégiés. C’est ainsi qu’en 1983, l’Amérique du Sud a perçu 64 % des prêts qu’il accordait, l’Asie du Sud-Est et l’Inde accaparant 35 %, de telle sorte qu’il ne restait que 1 % au bénéfice du continent africain.
En canalisant à son seul profit les capitaux disponibles, grâce à ses taux élevés, l’Amérique assèche le marché. Cette pénurie ne nuit pas seulement aux industriels du monde occidental, elle pèse encore davantage sur les économies des pays en développement, pour la plupart fort endettés. C’est pourquoi ces pays militent en faveur de l’accroissement du volume des droits de tirage spéciaux (DTS). Pour eux, une nouvelle allocation de DTS est vitale car ils ont épuisé leurs possibilités d’emprunt. La dernière tranche triennale de DTS avait été débloquée en 1979 et elle plafonnait à un peu plus de 12 Mds de dollars (le DTS = 1,04 dollar). La France a suggéré au FMI une nouvelle allocation de 15 Mds qui seraient prêtés selon les quotas admis aux pays connaissant les plus grandes difficultés. Les pays en développement souhaitaient pour leur part le déblocage de 45 Mds de DTS. Ce plafonnement ne fut pas examiné, étant donné l’hostilité de la République fédérale d’Allemagne (RFA), de la Grande-Bretagne, du Japon et de l’Australie sans oublier le scepticisme des États-Unis. Dans ces conditions, le Comité intérimaire du FMI ne prit aucune décision, laissant toutefois entendre que la question serait reprise à l’automne 1984 lors de l’Assemblée générale du FMI et de la Banque mondiale. Mais d’ici là les objections, à savoir risque inflationniste de toute création de nouvelles liquidités et incitation à un moindre effort des pays bénéficiaires, auront-elles disparu ? Au sein du « Groupe des 24 », constitué en 1971 et qui représente les intérêts des pays en voie de développement, on se résigne à simplement revoir et corriger le projet de réforme du système monétaire international élaboré il y a 5 ans…
Quant à la réunion du comité de développement, elle s’est, elle aussi, achevée sans résultat. Les pays européens, hormis une fois de plus la RFA, étaient d’accord pour accroître les ressources de l’Aide internationale au développement (AID dont nous avons analysé les difficultés dans notre dernière chronique) mais, en fait, les travaux furent bloqués par un affrontement entre les États-Unis et le Japon. Washington voudrait que Tokyo autorise les banques américaines à intervenir sur le marché nippon des capitaux. Il y aurait alors une sorte d’internationalisation du yen dont la cote remonterait par rapport au dollar, soulageant ainsi la concurrence américaine. Mais cela n’aurait-il aussi pour effet d’offrir de nouvelles possibilités à la spéculation, d’asphyxier encore plus les autres pays et d’accroître l’instabilité du marché des changes ?
Seul point de satisfaction pour le FMI, il a obtenu après d’âpres discussions, une nouvelle source de financement : pour renflouer sa trésorerie en cas de besoin, et l’échéance n’est sans doute que de quelques mois, le FMI pourra emprunter à certaines banques centrales (à l’exception de la Réserve fédérale américaine) ainsi qu’à l’Arabie saoudite 6,3 Mds de dollars. Il ne sera donc plus question de mettre en vente ses avoirs en or, qui avoisinent les 40 Mds de dollars.
La Cnuced dans le collimateur américain
Le problème de la dette des pays du Tiers-Monde, nous le retrouverons au sein de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced). Depuis près de 15 ans cet organisme a établi un régime de préférences généralisées qui est sans doute son acquis le plus méritoire. Tant bien que mal, il a permis à nombre de pays en développement d’asseoir leurs échanges en toute connaissance de cause. Mais il convient aujourd’hui de l’adapter aux conditions nouvelles du commerce mondial. On en discute donc à Genève et, là aussi, les États-Unis adoptent une position en flèche. Leur effort s’applique selon deux directions : l’une conjoncturelle, l’autre sur le fonctionnement même de l’organisation.
À propos du dossier des préférences généralisées, Washington voudrait établir une certaine réciprocité ou du moins contraindre les pays bénéficiaires à libérer leurs propres marchés. De plus, il conviendrait, selon certains pays dont les États-Unis, d’instaurer une classification des pays compte tenu de leur degré de pauvreté. Des thèses qui ne sont pas du goût de la Cnuced qui objecte que de telles mesures auraient pour effet de réduire les recettes de certains pays (le Brésil par exemple si on accordait la priorité à des États plus pauvres comme le Mali ou le Tchad), ce qui aboutirait à aggraver le problème de la dette.
Sur le fond, les États-Unis manœuvrent actuellement pour restreindre les prérogatives de la Cnuced. Ils viennent d’ailleurs de remettre un memorandum au Conseil du commerce et du développement, l’organe permanent de la Cnuced à laquelle ils reprochent certaines initiatives comme celle concernant les transferts de technologies pharmaceutiques au profit du Tiers-Monde. Arguant du fait que la Cnuced leur paraît opérer dans des domaines qui devaient rester la spécialité d’autres institutions, notamment en matière financière, Washington considère qu’il faut faire de la Cnuced un forum de négociations et lui ôter toute capacité de décision. Il convient, affirment les autorités américaines, que son « mandat soit revu et clarifié ». Il y a là tous les ingrédients d’une crise et cela à un moment où les échanges internationaux pâtissent déjà des difficultés nées de la crise et du manque de liquidités. La Cnuced a vingt ans cette année en tant qu’organisme permanent des Nations unies (en fait elle avait été créée par une résolution de l’Assemblée générale en 1961). Son objectif est de promouvoir le commerce mondial et d’accélérer le développement économique du Tiers-Monde en partant du postulat que celui-ci devrait tirer ses ressources de la vente de ses produits plutôt que de l’aide des pays industrialisés. À cet effet, la Cnuced se devait de corriger les règles du commerce international telles qu’elles avaient été établies à la Conférence de La Havane au lendemain de la Seconde Guerre mondiale : les pays riches avaient alors abouti à un accord fondé sur la liberté des échanges et le GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) était chargé de faciliter l’abaissement des barrières douanières. On sait ce qu’il est advenu de ce désarmement tarifaire comme d’ailleurs de l’organisation des marchés, tâche à laquelle devait se vouer précisément la Cnuced. Profitant du désarroi général, les États-Unis entendent donc battre en brèche le fonctionnement d’un organisme auquel ils font grief de trop soutenir les intérêts du Tiers-Monde.
Les insuffisances de la FAO et de l’UNICEF
Il s’agit en la circonstance d’une attitude purement politique car on ne saurait reprocher à Washington de n’avoir souci des intérêts fondamentaux des pays pauvres. Le Congrès vient d’ailleurs de voter une aide de 150 millions de dollars pour combattre la précarité alimentaire de l’Afrique. Le geste est loin d’être négligeable. Il souligne cependant l’inefficacité de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation). Face à la gravité de la situation le Vatican a de son côté mis sur pied la « Fondation Jean-Paul II pour le Sahel ». Il semble donc que de plus en plus la générosité passe par d’autres canaux que ceux de l’ONU, car enfin la FAO et l’UNICEF (Fonds des Nations unies pour l’enfance) étaient censés manifester efficacement la solidarité internationale. Or, bon nombre d’opérations lancées par la FAO se sont avérées inefficaces et l’on voit, à la lecture de ses rapports, plus d’aveux d’incapacité que de résultats concrets. Nous ne disons pas que les solutions sont faciles et qu’il y suffit des ressources financières : trop souvent les efforts se heurtent à l’incompétence des dirigeants africains. Mais force est tout de même de constater que les initiatives de la FAO sont bien souvent précaires et que par son propre fonctionnement cet organisme dissipe en vain bien des capitaux. Alors, il lui reste à tendre la main : c’est ce qui vient encore d’avoir lieu dans son dernier rapport.
Un rapport que tout expert d’une entreprise privée considérerait comme un constat d’échec après tant d’années d’efforts. Est-il noirci à dessein dans le but de forcer la main des donateurs ? Il est cependant corroboré par les propos du directeur de l’UNICEF dont la réunion annuelle vient de se tenir à Rome. Depuis 15 ans, la production agricole africaine est en baisse constante : entre 10 et 20 % selon les pays. Il y a, certes, les effets de la désertification, l’insuffisance de la pluviosité et l’épuisement de la nappe phréatique, mais ces phénomènes sont apparus il y a plus de 10 ans et les voyages d’experts n’ont pas fait défaut si les solutions n’ont pas été mises en place. Résultat : les trois quarts des jeunes Africains de moins de 15 ans sont menacés de disette, cette proportion étant encore plus accentuée par les statistiques de l’UNICEF qui chiffre à 170 millions le nombre des faméliques sur le continent, dans cette seule catégorie d’âge.
On comprend dès lors que la FAO, l’UNICEF, le Pnud (Programme des Nations unies pour le développement) soient anxieux et qu’ils lancent à la Communauté internationale des cris d’alarme de plus en plus pressants. Ne jetons pas trop rapidement la pierre mais il n’est tout de même pas blasphématoire de se demander si ces organismes internationaux n’ont pas plus souci d’attester la solidarité internationale que d’en assurer l’efficacité. ♦