World Armaments and Disarmamanent
Comme chaque année à pareille époque, l’Institut international de Stockholm de recherches sur la paix, plus connu sous le nom de SIPRI, publie son travail sur les armements et le désarmement dans le monde, le 15e de la série, le 1er concernant les années 1968 et 1969. Pour la 3e fois, cette publication est accompagnée d’un livre broché plus court (200 pages), sous le titre : The Arms Race and Arms Control 1984 [La course aux armements et la maîtrise des armements en 1984].
Ce livre est la réimpression de certains chapitres du Yearbook, mais sa préface est très révélatrice des idées qui sont à la base du travail de l’équipe rédactionnelle : « Les militaires cherchent à exploiter à des fins militaires tout nouveau progrès scientifique qui leur arrive. Ainsi le monde est aux bords d’une course aux armements dans l’espace qui sera extrêmement coûteuse, d’abord pour développer des armes antisatellites, et ensuite mettre sur pied des systèmes de défense contre les missiles balistiques… L’accélération de la course aux armements n’est pas simplement une lutte technologique entre États-Unis et Union soviétique. Les pays du Tiers-Monde sont également en train d’acquérir des armes plus sophistiquées, qui leur sont fournies avec enthousiasme par les pays industriels qui déplorent alors les conflits où ces armes sont utilisées ». On retombe donc ici dans une vieille philosophie d’ailleurs fort contestable : ce sont les armes qui sont les causes des guerres et non l’inverse.
Le Yearbook proprement dit, après une introduction par le directeur du SIPRI, M. Franck Barhaby (Royaume-Uni), contient une 1re partie qui traite de la course aux armements nucléaires, une 2e étant consacrée aux armements mondiaux, ce qui couvre une très grande variété de sujets allant des dépenses militaires des différents pays jusqu’au conflit entre Honduras et Nicaragua. Une 3e partie a pour thème la maîtrise des armements. Dans la 2e partie, comme d’habitude, de nombreux tableaux donnant des indications chiffrées très détaillées.
De très nombreux sujets fort intéressants sont ainsi abordés. Pour le nucléaire, nous avons surtout retenu la description des travaux de la Commission Scowcroft, aux États-Unis, dont faisaient partie Harold Brown, Henry Kissinger et James Schlesinger, et qui avait pour objet le programme de modernisation des forces stratégiques américaines. Dans un autre paragraphe, Sverre Lodgaard, et Frank Blackaby, chercheurs politiques au profit de la paix, insistent sur la notion de suffisance opposée à la notion de supériorité et même de parité qui semblent, aux auteurs, n’avoir aucune signification militaire mais traduire une course aux armements nucléaires et inciter à la prolifération.
Il n’est pas possible d’examiner en détail le contenu de l’ouvrage. On peut cependant relever le travail de Per Berg et Gunilla Herolf sur les stratégies d’interdiction du champ de bataille par moyens classiques qu’ils regroupent sous le nom de « Deep Strike » (frappe en profondeur). Ils définissent avec précision le concept d’interdiction et analysent le concept FOFA du commandement allié en Europe (FOFA : Follow on Forces : forces de soutien ou de 2e échelon), en le comparant à la doctrine de l’AirLand Battle sans bien toujours faire la différence pour cette dernière entre les travaux préparatoires et le document définitif, le FM 100-5 (voir article de R. Gessert sur « L’AirLand Battle et le nouveau débat doctrinal de l’Otan » dans Défense Nationale, juillet 1984). Ils font à ces concepts ou doctrines des objections intéressantes, en particulier sans une forte défense de l’avant, il ne peut y avoir de 2e échelon à attaquer. Nous les suivrons moins quand ils pensent que les doctrines offensives peuvent encourager une attaque préemptive, au cas où les Soviétiques craindraient une guerre prolongée qu’ils croiraient inévitable. Il est encore plus difficile de partager leur point de vue quand ils en profitent pour ramener sur le tapis l’une des idées favorites du SIPRI, des zones dites ici « de désengagement » en Europe centrale qui seraient en pratique neutralisées.
Bhupendra Jasani, également membre du SIPRI, de son côté, étudie l’emploi militaire de l’espace. La partie la plus intéressante de son travail concerne la défense contre les missiles balistiques ou BMD dont il fait une description assez détaillée et fait état de 3 projets dont « High Frontier » (1). Il laisse percer un certain scepticisme sur la possibilité de réaliser les systèmes à laser, avec le témoignage de responsables américains comme Richard D. De Lauer, sous-secrétaire d’État à la Recherche. De toute manière, il voit dans ces armes un risque de déstabilisation et surtout d’une nouvelle course aux armements entre superpuissances. Kosta Tsipis étudie les caractéristiques opérationnelles des missiles balistiques, pour faire apparaître l’importance de l’incertitude qui pèsera sur le résultat d’une attaque contre un silo d’ICBM. Il en conclut que les Américains s’exagèrent à eux-mêmes la vulnérabilité de leurs ICBM. Alors que l’on peut prévoir assez exactement les résultats d’une attaque anticités, il n’est pas possible d’en faire autant pour une attaque contre des silos d’ICBM, et Kosta Tsipis en conclut : « Faire reposer une politique de défense ou l’acquisition et les programmes d’armements sur de telles prédictions se rapproche de l’irresponsable ».
Ces sujets sont cependant ceux qui nous ont le plus frappés à la lecture de ce livre très riche en informations très diverses, mais dont les jugements doivent toujours être pris avec prudence, étant donné les convictions assez orientées de l’institution qui les produit.
(1) Voir articles de Marc Geneste (Revanche de la défense ? Le projet « High Frontier ») et de Georges Outrey (« Missiles et antimissiles ») dans Défense Nationale, mai 1982. Voir également dans le numéro de janvier 1984 article de Marc Geneste et Amold Kramish : « De la terreur à la défense : le changement de parapluie », et dans le numéro de juillet 1984, l’article de Christine Bamière : « États-Unis : guerre de l’Espace et énergies dirigées ».