Que les superpuissances s’accordent pour limiter – quantitativement d’ailleurs, mais non qualitativement – certains de leurs armements nucléaires, que trente-cinq pays se réunissent au nom de la sécurité et de la coopération en Europe, et voilà nombre de citoyens prêts à se « démobiliser », à douter de la nécessité d’un effort de défense. Cette situation n’est pas particulière à notre pays, elle a inquiété aussi les membres de l’Union de l’Europe occidentale (UEO). C’est ce qui ressort du rapport fait par M. Dankert (Pays-Bas) à la 19e session de l’UEO en juin 1973 au nom de la commission de Défense et des Armements. Le rapporteur y déplorait la déficience de l’information de défense à l’adresse de l’opinion publique occidentale.
Le débat qui a agité cet été l’opinion de notre pays à propos des armes et des expérimentations nucléaires françaises n’a fait que souligner l’urgence de cet effort d’information. Aussi sommes-nous reconnaissants à l’auteur de revenir sur cette question, en le faisant selon le point de vue d’un parlementaire français ; il est en effet député des Yvelines, vice-président de la commission des Affaires étrangères. Il représente la France à l’UEO et y préside la commission de Défense et des Armements.
Le Français commencerait-il à s’intéresser aux problèmes internationaux ? On en doutait après avoir constaté son apathie lors du référendum sur l’Europe. On se le demande à nouveau à l’occasion du vaste débat qui s’est instauré sur la force nucléaire et la Défense. Il est vrai que les questions de politique étrangère lui apparaissent d’une subtilité inaccessible alors que les affaires militaires lui semblent plus à portée de ses appréciations. Les controverses récentes ont fini par secouer une opinion publique tout étonnée d’entendre parler de défense et de survie alors que les dirigeants du monde glosaient sur la détente et la coopération. L’Assemblée de l’Union de l’Europe Occidentale s’est donc saisie de cette apparente contradiction et a demandé à mon collègue hollandais Dankert un rapport sur « La Défense, la Détente et le Citoyen ». Les conclusions témoignent d’une impartialité certaine mais l’analyse a été particulièrement poussée sur les réactions récentes des citoyens des Pays-Bas, nation tiraillée par ses composantes géo-économiques entre l’Europe et les États-Unis. Aussi la Revue « Défense Nationale » m’a-t-elle demandé de reprendre le même sujet en le présentant selon l’optique d’un Député français.
Mon propos n’est pas de reprendre le débat nucléaire au fond. Il est déjà remarquable qu’il ait enfin débouché des pénombres. Mais si aucune certitude ne semble en avoir jailli dans l’esprit de nos compatriotes, du moins ceux-ci se sont-ils interrogés sur ce qu’ils deviendraient en toute hypothèse. Éprouvant le sentiment d’être à nouveau des pions sur l’échiquier des penseurs de la guerre, ils ne voient pas clairement s’ils risquent d’être engagés jusqu’à la mort dans les parties de poker futures, s’ils n’y seront qu’à moitié associés, ou s’ils pourront tirer leur épingle du jeu.
Informer, éclairer, demeure sans nul doute le devoir impérieux des autorités responsables. Aussi n’approuverai-je qu’en partie la réponse faite par le chef d’état-major de la marine à diverses personnalités ecclésiastiques. Certes il pouvait leur être reproché d’utiliser leur grade dans la hiérarchie pour distordre le débat. Il eût été préférable d’oublier le procédé et de faire comme s’il s’agissait d’un citoyen français quelconque qui paye l’impôt, contribue, bon gré mal gré, à la Défense Nationale et a le droit d’être mieux renseigné.