Afrique - Pays africains riverains de la mer Rouge : deux libérations marquantes et un exode - « Armées traditionnelles, populaires, populistes », un colloque de l'Institut africain d'études stratégiques
En voulant imposer la charia comme code civil et pénal d’une société soudanaise depuis longtemps politisée et divisée sur les plans ethniques, sociaux et religieux, le président Nemeiry a coupé le parti gouvernemental des racines que ses alliances avec des mouvements traditionnels lui permettaient de conserver dans la population. Pour certains, l’Union socialiste soudanaise ne demeure plus que l’instrument, pour ainsi dire séculier, des Frères musulmans, bien qu’elle s’en défende. Pour d’autres, en revanche, la politique qu’elle suit est dictée par l’évolution du monde qui l’entoure et par le souci de sauvegarder les privilèges du clan civil et militaire qui bénéficie de son régime et, de ce fait, lui reste fidèle ; les Frères musulmans ne seraient alors qu’un moyen de donner une expression religieuse à une pensée politique qui se veut conservatrice, destinée avant tout à soutenir une gestion des affaires de l’État qui pût tenir compte des intérêts de tous dans les remous d’une crise économique mondiale, doublée d’une crise politique devenue particulièrement tendue en Afrique et au Proche-Orient.
L’évolution du Soudan montre comment une dictature militaire, rendue nécessaire par des luttes partisanes attisées de l’extérieur, en arrive, avec le dessein légitime de promouvoir l’unité nationale, à réprimer les traditions locales et à s’appuyer sur une idéologie étrangère qui souvent ne correspond pas à la sensibilité de son peuple ni même à la tendance réelle de ses dirigeants. Ceux-ci deviennent ainsi progressivement incapables d’opposer une résistance intérieure aux pressions que l’étranger exerce, soit pour aligner leur pays sur des normes économiques parfois insupportables, soit pour le singulariser de ses voisins et faire de ce pays l’intermédiaire artificiel d’une influence qui devient alors indéfinissable. Dans le cas particulier du Soudan, il semble que le Maréchal Nemeiry ait été poussé à adopter une attitude de sectarisme religieux, qui ne correspond pas aux tendances des sectes musulmanes de son pays, pour donner une coloration plus vive à la personnalité soudanaise que l’Égypte (1) tend à effacer, pour lutter à armes égales avec la doctrine kadhafiste et pouvoir la qualifier d’hérésie, pour combattre l’influence du marxisme éthiopien, capable de faire bon ménage avec les chrétiens du Sud-Soudan. Mais, en adoptant une idéologie que rejettent toutes les tendances traditionnelles de son pays, le chef de l’État soudanais n’a fait que donner plus de relief à l’isolement des milieux dirigeants, à leur enrichissement aux dépens d’une masse appauvrie par le chômage ou la sécheresse, à l’incapacité du gouvernement de consolider le développement industriel malgré l’importance des aides internationales qu’il reçoit.
La situation actuelle du Soudan, jugée dramatique par tous les observateurs, demanderait des décisions plus techniques que l’« islamisation » de l’économie, réforme qui constitue une sorte de fuite en avant du maréchal Nemeiry. Elle réclamerait une consécration de la solidarité nationale que le sectarisme de l’équipe gouvernementale rend impossible. Dans les provinces situées à l’ouest de Khartoum et qui comptent quelque 9 millions d’habitants sur une population nationale de plus de 23 M, la famine progresse. Le pays, qui avait la prétention de devenir le « grenier du monde arabe », est obligé d’importer des produits alimentaires, bien que les investissements étrangers destinés au domaine agricole aient été importants depuis une dizaine d’années. Les importations de produits énergétiques grèvent la balance commerciale alors que la partie méridionale du pays possède des ressources pétrolières décelées mais non exploitées ; ces ressources ont été neutralisées au moment le moins opportun par les troubles qui se sont développés dans les populations non musulmanes que l’on voulait soumettre aux règles de la charia et à qui l’on imposait les pratiques économiques qui ont contribué, dans le passé, à l’effacement de la puissance arabe. Dans ces conditions, la dette extérieure s’alourdit (elle atteint 9 milliards de dollars et le montant annuel de son service dépasse de moitié le taux de couverture des exportations) ; en 5 ans, la monnaie a perdu les quatre cinquièmes de sa valeur, tombant de 2 $ à moins de 50 cents.
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