Si la diffusion d'une langue témoigne de la force d'une nation, elle est aussi un moyen de l'extension de sa puissance. Il n'est pas indifférent pour notre défense comme pour la paix du monde que notre voix continue d'être entendue ou qu'elle s'estompe dans l'Europe de demain. Devant la menace d'une hégémonie linguistique qui serait pour l'humanité occidentale un dommage irréparable, les langues du continent européen doivent se sentir solidaires et manifester cette solidarité par une politique vigoureuse de bilinguismes croisés dont la France doit donner l'exemple en favorisant l'apprentissage scolaire et universitaire de toutes les langues européennes et non pas d'une seule.
Le français dans l'Europe de demain
C’est en siècles qu’il faut compter dans l’histoire des langues pour y saisir des évolutions substantielles internes : passage du latin au français, ou externes : extension ou rétrécissement d’une aire de diffusion par exemple. Dans le passé, en amont de la diachronie pourrait-on dire, les documents manquent souvent pour établir ou rétablir cette histoire. Ainsi, il est certain que seuls les dialectes gaulois ou pré-gaulois étaient parlés sur la plus grande partie de notre territoire en 50 av. J.-C. ; certain également que plus aucun des habitants de la Gaule n’était capable de les comprendre autour de l’an 700 de notre ère. Entre ces deux dates, c’est l’inconnu ; inconnues également les causes déterminantes de cette disparition. Nous sommes plus embarrassés encore pour décrire l’aval de la diachronie, c’est-à-dire anticiper l’histoire d’une langue dans un avenir donné. C’est cependant ce que nous allons tenter de faire ici à propos de notre langue, à partir d’extrapolations raisonnables, et — bien que le phénomène de « l’accélération de l’histoire » paraisse sans grand effet sur celle des langues — en en tenant compte.
Nous avons donc retenu dans les pages qui suivent deux des situations possibles de l’an 2004 : trente ans, une génération. Ces deux situations sont « en fourchette » : l’une est teintée d’optimisme, l’autre de pessimisme. Toutes deux peuvent paraître affectées d’une probabilité de même ordre, et l’orientation vers l’une ou l’autre se fera dans les cinq ou sept ans qui viennent, en fonction de la politique linguistique de nos pouvoirs publics. Précisons que sont exclues l’hypothèse d’un cataclysme planétaire et celle d’une régression très rapide vers des conditions de vie primitive ; que par contre sont pris en considération tous les progrès techniques dont nous pouvons aujourd’hui présumer la venue.
Ajoutons, pour ne rien omettre, que l’essentiel de cette anticipation linguistique conserverait sa vraisemblance dans la plupart des hypothèses stratégiques que nous pourrions faire aujourd’hui d’une Europe fortement ou entièrement socialisée, même s’il s’agissait d’un socialisme de modèle soviétique ou comportant une domination soviétique concrète ; et, à la limite, elle resterait encore valable dans l’hypothèse d’une contre-culture à la fois socialisante et anarchisante. Le titre même de cette étude prospective en trace le plan : quel demain ? quelle Europe, quel français ?
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