Institutions internationales - Pour ou contre la baisse du dollar ? - Le désarroi des producteurs de pétrole - La détermination des États francophones
La Communauté européenne a tout lieu d’être satisfaite : le référendum organisé au Danemark sur le thème de la réforme du Traité de Rome n’a pas donné la victoire aux partisans du refus. L’Acte unique n’aura donc pas provoqué de crise au sein de l’Europe des « Douze » qui se trouve ainsi d’accord pour créer un vaste marché communautaire. Le Sommet de Luxembourg atteint son épisode final, ce qui ne signifie pas que les divergences entre maximalistes et minimalistes vont disparaître.
Pour ou contre la baisse du dollar ?
Le 26 février 1985 la devise américaine avait été cotée à 10,625 francs, cours record qui favorisait les emprunts de l’État fédéral à l’étranger mais qui aussi alourdissait le déficit commercial américain. Évalué à 148,5 milliards de dollars pour l’an dernier, ce déficit inquiétait les spécialistes mais jusqu’alors le président Reagan s’en tenait aux lois du marché. Le tournant politique a été pris le 22 septembre 1985 à New York lorsque les grands argentiers de France, de RFA (République fédérale d’Allemagne), de Grande-Bretagne et du Japon s’étaient mis d’accord avec le secrétaire américain au Trésor, James Baker, pour favoriser la baisse du dollar.
Il s’agissait pour le ministre américain non seulement d’alléger le poids de la dette, de relancer les exportations industrielles ou agricoles mais aussi d’aboutir à une stabilisation de fait du dollar. La nouvelle politique menée depuis lors a eu le succès que l’on sait puisque le billet vert est descendu, en février 1985, au-dessous des 7 francs.
Ce repli n’a cependant pas l’agrément du président de la Réserve fédérale, Paul Volker, qui redoute un retour de l’inflation sous l’effet du renchérissement des produits importés. À cet argument s’ajoute la crainte d’une fuite des capitaux étrangers, les investisseurs ne pouvant être que découragés par la dépréciation de leurs placements aux États-Unis. Mais M. Baker paraît bénéficier de l’appui total du président Reagan de sorte que M. Volker en est réduit à se battre le dos au mur tout en ayant avec lui les banquiers qui partagent ses appréhensions. C’est ainsi que la City Corp de New York souligne qu’une reprise de la hausse des prix entraînerait pour les États-Unis de délicats problèmes de financement.
Par contre le Conference Board, autrement dit le patronat, souhaite que se poursuive ce recul du dollar qui favorise la compétitivité des firmes américaines. La polémique s’étend donc et chacun se plaît à fixer le plancher au-dessous duquel un dérapage serait inévitable tant il est vrai que le marché réagit toujours avec excès au moindre indice venant de Washington. Les meilleurs spécialistes s’en tiennent au cours limite de 6,50 francs alors qu’une fondation privée américaine n’hésite pas à affirmer que le dollar n’avait encore parcouru que la moitié de sa pente !..
Au désaccord entre la Réserve fédérale et la Maison-Blanche s’ajoutent les différences d’appréciation des alliés de l’Amérique. En demandant à James Baker d’étudier les conditions dans lesquelles pourrait se réunir une conférence monétaire internationale, le président Reagan abandonnait les idées auxquelles il se rivait depuis son élection. Cette conférence aurait à définir les rapports entre les devises de manière à supprimer les fluctuations sauvages. Il s’agirait d’organiser un réalignement des monnaies en abandonnant la pratique des changes flottants. Il était évident qu’une telle initiative ne pouvait que satisfaire la France et le Japon. Mais l’Allemagne fédérale reste hostile au contrôle des changes et la Grande-Bretagne se cantonne dans l’expectative.
Devrait-on en rester à l’idée que la crise a été essentiellement provoquée par les deux chocs pétroliers des années 1970 et que le désordre monétaire international n’y est pour rien ?
Le désarroi des producteurs de pétrole
Il y a quinze ans, le baril d’or noir se vendait à moins de 3 dollars, en 1981 il lui est arrivé de dépasser 35 dollars. L’indiscipline des membres de l’Opep (Organisation des pays exportateurs de pétrole) n’est pas étrangère à la dégradation du marché qui n’a cessé depuis lors. Nous avons déjà eu l’occasion d’en analyser ici même les effets. Mais que dire des producteurs indépendants ? Alors que l’Arabie saoudite freinait sa production et envisageait même de fermer certains de ses puits, la Grande-Bretagne et le Mexique foraient à grands frais dans des zones à hauts risques. Parce qu’au cours des années 1970 le pétrole était devenu un pactole, convenait-il d’investir autant dans son extraction ? L’Occident disposait d’énergies de remplacement lui permettant de ne pas devenir l’otage des producteurs du Golfe.
Car voici que le baril s’échange à moins de 15 dollars ; d’aucuns avancent qu’il pourrait descendre à 10. Et comme pour la chute du dollar, les avis sont partagés sur les effets de cette tendance. Il est certain qu’une baisse trop forte découragerait les recherches en d’autres secteurs et relancerait sans doute la consommation d’énergie. Ne serait-ce pas précisément ce que souhaitent les producteurs du Golfe ? Ils perdent actuellement leurs marchés et leur unique ressource après en avoir fait un outil de pression sur le monde occidental. Mais l’extraction de leur brut n’est pas très coûteuse, alors pourquoi ne joueraient-ils pas la carte de la baisse pour mettre en difficulté leurs concurrents comme le Royaume-Uni ou le Mexique ? À ce jeu, la Grande-Bretagne risque bien de retomber dans le marasme, ce qui ne faciliterait pas ses rapports avec ses partenaires au sein du Marché commun. Et le Mexique tout comme le Brésil ou le Nigeria, pays largement débiteurs, seraient, eux, dans l’impossibilité de régler leur dette et même d’assurer le service des intérêts, une situation qui menacerait à nouveau le système bancaire occidental. L’attitude des membres de l’Opep, pour autant qu’elle puisse être coordonnée, placerait donc une fois de plus les économies de bien des pays en situation de rupture d’équilibre.
L’Arabie saoudite a reconnu que les pays de l’Opep ne pouvaient plus supporter à eux seuls le fardeau de la défense des tarifs et il lui paraît urgent d’en venir à des « prix acceptables et équitables ». Mais Londres refuse cette concertation bien que les quantités de brut extraites chaque jour excèdent la consommation de plus de deux millions de barils : un facteur de baisse. Il est vrai qu’à 15 dollars le baril, les champs d’exploitation de la mer du Nord ne sont pas menacés. Mais à moins ?
Ajoutée à celle du dollar, la baisse du pétrole ne peut, bien évidemment, que satisfaire des pays comme la France. Elle enchante également les pays du Tiers-Monde qui ne sont pas producteurs et dans ces conditions le plan Baker publié à l’automne 1984 à Séoul, lors de la réunion du FMI (Fonds monétaire international), ne présente plus la même originalité. Cet effondrement des cours nuit, en revanche, aux pays engagés dans des dépenses qu’ils ne pourront plus tenir : l’Irak et l’Iran, enlisés dans une guerre interminable, mais aussi l’Algérie ou la Libye qui connaissent des difficultés de trésorerie. Ces pays envisagent, du reste, d’arrêter momentanément leur production afin d’enrayer la chute des prix.
La détermination des États francophones
Le premier Sommet francophone qui vient de se tenir à Paris n’aura guère été troublé par les incursions libyennes au Tchad. Quarante-deux pays ou régions y ont participé et ont su adopter des résolutions pratiques visant à l’efficacité. Il n’est jamais vain ou inutile d’accentuer la coopération entre États différents, et si la volonté suit, gageons que les décisions adoptées seront appréciées. Or, pour bien manifester leur détermination, les membres de la francophonie ont mis sur pied un comité du suivi. Le prochain rendez-vous a été fixé à Québec en 1988.
D’ici là, espérons-le, bon nombre des projets fixés lors de ce sommet auront pris corps. Parmi ces décisions, au nombre de vingt-huit, figurent : la création d’une agence francophone de télévision et l’extension de la diffusion du programme TV 5 ; la mise sur pied d’une banque de données linguistiques et le recours au vidéodisque pour l’enseignement médical dans dix facultés francophones ; l’organisation d’un salon du livre francophone, tous les deux ans à Paris, la création d’une « collection de poche » d’auteurs francophones (à la requête du Vietnam) ; l’institution d’un baccalauréat francophone international ; le renforcement de la concertation entre les délégations de l’ONU et de ses agences, etc.
L’éclat donné par la France à ce Sommet dont la séance inaugurale s’est déroulée à Versailles n’avait pas pour but de rehausser le prestige d’un héritage culturel que nul ne conteste. Il s’agissait d’étendre cette communauté aux disciplines modernes de manière à ne plus se cantonner dans la dépendance du langage anglo-saxon qui y prévaut actuellement. Cette orientation a d’autant plus d’importance que la moitié des francophones appartiennent au Tiers-Monde qui n’a pas encore les habitudes occidentales et que séduit le mirage américain ou japonais.
Si les décisions adoptées ne servent pas seulement à engendrer de nouvelles machines bureaucratiques comme on en voit dans les organismes de l’ONU, alors il ne fera aucun doute que ce premier sommet francophone aura été une réussite en dépit des écueils inévitables qui apparaissent en travers du chemin.