Institutions internationales - La baisse du pétrole satisfait l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) mais pas les pays de l'Est - ONU : Washington ampute la mission soviétique, la Suisse refuse un siège, l'Organisation est en crise
La baisse du pétrole satisfait l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) mais pas les pays de l’Est
À la fin de l’année dernière les spécialistes de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) considéraient qu’il faudrait se résigner à une croissance faible en 1986. Les indicateurs économiques justifiaient alors un tel pronostic. Depuis, il y a eu la baisse des prix du pétrole, la chute du dollar et une détente sur les taux d’intérêt. Le comité de développement de l’OCDE, prenant en compte tous ces facteurs de désinflation, estime désormais que les pays industrialisés ont la possibilité de s’assurer une croissance nettement meilleure.
Les taux d’expansion avancés par les études sorties du château de la Muette ne sont que des hypothèses de travail et on nous invite à la circonspection. Certes, le dollar semble s’être stabilisé mais il pourrait voir son cours reprendre une ascension modérée ; un phénomène similaire concernant le coût du pétrole paraît plus aléatoire. Les producteurs de l’Opep (Organisation des pays exportateurs de pétrole) tentent désespérément d’enrayer la dégradation des cours, mais au sein de l’organisation, chacun a ses propres préoccupations. l’Arabie saoudite est d’avis de ne pas pratiquer une politique malthusienne afin de conserver la part du marché qui revient à l’Opep : l’Algérie, la Libye et l’Iran voudraient réduire la production de 10 à 20 % de manière à faire remonter les prix ; les pays surendettés d’Amérique latine rechignent à restreindre leurs ventes. Dans ces conditions la réunion du mois de mars à Genève, la plus longue qu’ait tenue l’organisation, a lamentablement échoué.
Le fait a paru d’autant plus regrettable que l’Opep avait, pour la première fois, invité des pays producteurs ne comptant pas parmi ses membres, comme le Mexique, l’Angola ou l’Égypte, avec l’espoir de les associer à une stratégie commune !
Si l’état actuel du marché des hydrocarbures satisfait les pays occidentaux, exception faite des producteurs de la mer du Nord, il ne profite pas aux pays de l’Est. l’Union soviétique compte ses pertes en milliards de dollars bien qu’elle continue à facturer son brut au prix fort aux membres du COMECON (Conseil d’assistance économique mutuelle). Moscou cherche donc à économiser ses devises et cela au détriment des États satellites. Cette situation suscite quelques grincements, mais est-on en droit de penser, comme l’Otan (Organisation Transatlantique Nord) à Bruxelles, que le bloc soviétique se fissure ?
ONU : Washington ampute la mission soviétique, la Suisse refuse un siège, l’organisation est en crise
Il n’est permis de tout oser qu’à celui qui sait tout souffrir. Que des diplomates en poste à l’étranger s’autorisent à pratiquer l’espionnage leur fait courir le risque d’être un jour personnae non gratae. Y voir un affront n’est donc pas raisonnable. C’est pourtant ainsi que Moscou a réagi à la décision américaine de restreindre la représentation soviétique aux Nations unies. S’agit-il en la circonstance de « prétentions absolument inadmissibles » comme l’affirme la protestation du Kremlin ?
Le personnel diplomatique de l’URSS aux États-Unis compte 595 membres répartis entre l’ambassade à Washington et le siège de l’ONU à New York. D’après ses renseignements, le Sénat américain considère qu’un quart des ressortissants soviétiques en poste à l’ONU se consacre à tout autre chose que traiter les affaires de l’organisation internationale. C’est ce que le communiqué du gouvernement américain appelle des « activités inappropriées n’ayant rien à voir avec les Nations unies et constituant une menace pour la sécurité nationale des États-Unis ».
Une première parade avait été trouvée à l’automne dernier : les agents des pays de l’Est, d’Afghanistan, de Cuba, d’Iran, de Libye et du Vietnam en mission au palais de Manhattan eurent l’interdiction de se déplacer à plus de 30 kilomètres du siège de l’ONU. Cette disposition a sans doute paru insuffisante puisque les autorités américaines viennent d’aller plus loin en ramenant de 275 à 170 le nombre des diplomates soviétiques siégeant à l’organisation internationale. Pour le département d’État, il ne s’agit que d’une mesure « prudente et raisonnable ». Prudente pour les raisons que l’on sait ; raisonnable puisque les délégations d’URSS, d’Ukraine et de Biélorussie sont plus importantes que celles des États-Unis et de la Chine populaire réunies.
Pour drastique qu’elle paraisse, cette décision n’est pas brutale : son application s’échelonnera en quatre étapes à partir d’octobre 1986 pour être finalement exécutée dans son intégralité au 1er avril 1988. Si ce calendrier n’était pas respecté par Moscou, les États-Unis se réserveraient le droit de refuser les visas, conformément aux règlements des Nations unies. À Moscou, le ministère soviétique des Affaires étrangères n’en a pas moins qualifié cette mesure d’illégale, ajoutant qu’elle ne créait pas « une base favorable pour une prochaine rencontre au sommet » entre les deux pays.
Quant à la Confédération helvétique, elle ne deviendra pas le 160e membre de l’ONU ; son statut d’observateur lui suffit. Pourtant le Conseil fédéral et le Parlement souhaitaient voir le pays entrer de plein droit au sein de l’organisation internationale. Un référendum, dont on espérait un résultat positif en dépit des sondages, avait été organisé le 16 mars 1986 : à l’unanimité, les 26 cantons ont rejeté l’initiative de l’exécutif helvétique. Les adversaires de l’adhésion ont remporté 75,7 % des voix, et même Genève qui bénéficie de la présence d’organismes spécialisés de l’ONU a voté contre dans la proportion de 69,8 % des bulletins.
Le responsable de la diplomatie helvétique a regretté ce vote : « Tôt ou tard il faudra adhérer ou vraiment quitter l’organisation ». Mais le désaveu apporté par le corps électoral au gouvernement est tel qu’on voit mal le conseil fédéral risquer prochainement une telle aventure. Manifestement, le peuple suisse entend sauvegarder sa neutralité de la manière la plus stricte : une entrée à l’ONU lui a semblé propre à la mettre en péril. On n’en est pas particulièrement ravi sur les bords de l’Hudson.
Il est vrai que pour l’heure M. Perez de Cuellar, le secrétaire général de l’ONU, a d’autres soucis. Son Organisation traverse une grave crise financière, le déficit annoncé avoisine les 250 millions de dollars et des coupes sombres ont dû être opérées dans les dépenses de fonctionnement. Il faut en effet savoir que les trois quarts du budget sont absorbés par les dépenses de personnel. À cela s’ajoutent les craintes nées de la réduction de la contribution américaine. Un sujet qui préoccupe la Communauté européenne qui l’a fait savoir par le biais des Pays-Bas, puisque La Haye assure actuellement la présidence du Conseil européen.
Et puis, il y a ce malaise ressenti par les fonctionnaires de l’Organisation. En réponse à un questionnaire qui leur a été soumis à l’initiative de quelques personnalités, n’ont-ils pas jugé nécessaire une refonte de l’ONU, et cela dans la proportion de 80 % d’entre eux ?
De toute évidence, l’Organisation pâtit du dédain dans lequel la confinent nombre d’États. Depuis sa création, le nombre de ses membres a triplé et elle ne semble plus en mesure de répondre efficacement aux sollicitations dont elle est l’objet. Son personnel pléthorique la paralyse tout autant que les divergences de ses États membres. Fondée pour renforcer la sécurité internationale, elle en est réduite à voter des résolutions que nul n’est disposé à appliquer. De plus, l’entrée des pays du Tiers-Monde y a introduit une majorité automatique qui n’a pour elle que le poids du nombre et guère la perspicacité des grands problèmes. En définitive, il n’existe plus d’harmonie en son sein et la confusion y est devenue la règle.
Les États-Unis, pour avoir voulu en faire l’instrument privilégié de leur diplomatie, ne cachent pas la déception que leur causent les attaques dont ils sont l’objet au sein de l’Assemblée. D’où leur décision de restreindre leur contribution au budget de l’ONU. Il faut choisir entre le dollar américain et l’antiaméricanisme, dit-on à Washington. Alors, incapable de traiter correctement les crises, l’Organisation s’enlise dans l’impuissance en attendant d’être asphyxiée faute des crédits indispensables à son fonctionnement.
À l’origine, le formalisme de l’ONU était épaulé par les grandes puissances qui lui donnaient les moyens de faire face à certaines situations : l’exemple le plus significatif reste celui de la guerre de Corée (1950-1953). Aujourd’hui la majorité tiers-mondiste qui prévaut dans l’enceinte de Manhattan est prompte à voter des résolutions, mais aucunement en mesure d’apporter à l’Organisation l’appui essentiel pour les faire appliquer. De ce fait, les mécanismes mis en place tournent à vide et les Nations unies ne sont plus qu’un forum où retentissent d’interminables discussions sans lendemain. C’est du reste pourquoi les deux « Grands » ont progressivement élaboré de nouvelles procédures de négociation sur les sujets fondamentaux. l’universalisme affiché de l’ONU s’est ainsi trouvé contourné, battu en brèche, alors qu’on pouvait, du même coup, faire grief aux superpuissances d’une volonté évidente de se retrouver en situation de condominium.
L’Organisation des Nations unies fait de « l’anémie graisseuse ». Réduite à l’inaction, elle est progressivement mise à l’écart des débats essentiels, elle se marginalise. Les propositions de réforme n’ont pas manqué depuis dix ans, en vain. Dans ces conditions, peut-on s’étonner que la Suisse ne voie aucun intérêt à en faire pleinement partie ? Le général Guillaume, alors résident de France au Maroc, m’avait un jour confié qu’il enviait les pays qui, exclus de ce cénacle, n’avaient pas à lui rendre compte de leur attitude. Il semble bien qu’il ait fait des émules à Washington.