Institutions internationales - Le mark impose sa loi au sein du système monétaire européen - La Communauté européenne menace la Libye
Si l’on jugeait de la vitalité d’un organisme à l’animation et au nombre de ses réunions, nul doute alors que l’Opep (Organisation des pays exportateurs de pétrole) devrait être crédité d’une excellente santé. Ses ministres se retrouvent en juin 1986 en Yougoslavie ; réussiront-ils à adopter un plan d’ensemble ? Et dans ce cas quel sort lui sera réservé de la part de pays qui n’ont jamais su, face aux difficultés de l’heure, respecter la moindre discipline ?
La Conférence qui s’est tenue en avril 1986 à Genève n’a servi qu’à énoncer un programme d’action des plus nébuleux. Les producteurs sont convenus de limiter ensemble leurs exportations sans pouvoir se mettre d’accord sur l’épineuse question des quotas. Les extrémistes (Algérie, Iran et Libye) qui voulaient imposer une réduction massive de la production afin de faire remonter les cours du brut n’ont pu faire prévaloir leur point de vue contre les pays du Golfe qui entendent poursuivre leur confrontation avec les producteurs étrangers à l’organisation afin de les amener à un partage du marché. Mais la Grande-Bretagne repousse une telle éventualité bien qu’elle soit la première à pâtir de l’effondrement des cours. La guerre des prix déclenchée en décembre 1985 continue donc.
Le mark impose sa loi au sein du Système monétaire européen (SME)
L’une des ambitions du SME, à sa création en 1979, était d’établir en Europe une zone de stabilité monétaire. Or, neuf réajustements ont eu lieu depuis lors. Le dernier a été fait au début d’avril 1986 à l’initiative de la France. Il présente la particularité d’avoir été décidé à froid alors qu’en 1981, en 1982 et en 1983 les réalignements du franc avaient été précédés d’importants mouvements de capitaux. M. Édouard Balladur, ministre des Finances, a d’ailleurs tenu à souligner le fait : « C’est la première fois dans l’histoire du système monétaire européen qu’un pays pose le problème du réalignement des monnaies en période froide, de façon sereine, sans y être poussé par la spéculation ».
Ce réajustement a entraîné une dévaluation de fait de notre monnaie de 6 % par rapport au mark, chacune des deux devises faisant la moitié du chemin. Dans le sillage du mark, le florin néerlandais a été réévalué lui aussi de 3 % tandis que le franc belge et la couronne danoise l’étaient de 1 %, la lire italienne et la livre irlandaise restant inchangées. Rappelons que quatre pays de la Communauté économique européenne (CEE) ne participent pas au SME : la Grande-Bretagne, l’Espagne, la Grèce et le Portugal.
En déclenchant ce processus, le gouvernement de M. Jacques Chirac a voulu solder la gestion des cinq dernières années, mettre fin à l’expérience de M. Pierre Bérégovoy et mettre véritablement en œuvre sa politique économique. Ce décrochage du franc va permettre aux industriels d’être plus compétitifs à l’exportation, ce qui ne suffit toutefois pas à leur garantir une augmentation substantielle de leur part du marché. Aujourd’hui la production industrielle française est à peine au niveau de ce qu’elle était en 1980 alors qu’elle a enregistré un gain de 5 % en Allemagne fédérale. Plus grave encore, les investissements ont baissé de 7 % en cinq ans dans notre pays alors qu’ils progressaient dans le reste de la Communauté. On le voit : il ne suffit pas de stimuler les exportations, il convient de redonner confiance aux industriels pour qu’ils retrouvent le dynamisme sans lequel toute lutte contre le chômage sera vaine.
Le réajustement monétaire d’avril 1986 revalorise les prix agricoles, ce qui a eu pour effet de rendre encore plus âpres les négociations communautaires en ce secteur. En France les agriculteurs ont vu leurs ressources diminuer de plus de 20 % en dix ans ; chômeurs mis à part, aucune catégorie sociale n’a vu son pouvoir d’achat baisser de la sorte en France. On peut y voir, en partie, un effet de la politique aberrante menée par la CEE en matière agricole.
Enfin, les importations françaises libellées en dollars vont coûter plus cher, ce qui concerne quelque 40 % de notre marché. Il est donc heureux qu’actuellement le billet vert soit plutôt à la baisse et que les coûts du pétrole et des autres matières premières enregistrent le même mouvement. On ne peut cependant espérer que cette conjoncture efface complètement les effets de la dévaluation du franc.
Les répercussions de celle-ci ne sont donc pas automatiquement en faveur d’un essor de notre économie et c’est bien pourquoi M. Balladur a jugé indispensable de prendre des mesures d’accompagnement. Réduction des dépenses publiques, limitation de l’accroissement de la masse monétaire à moins de 5 % mais aussi maîtrise du crédit afin de favoriser l’investissement et non la consommation des ménages.
Sur le plan communautaire, le réajustement opéré le 6 avril 1986 marque plus que jamais la suprématie du mark au sein du SME. Officiellement le SME est centré sur l’European Currency Unit (ECU), sorte de panier des huit monnaies européennes où l’importance de chacune d’entre elles résulte du Produit national brut (PNB) du pays d’émission. En fait, le mark, parce qu’il domine non seulement le franc mais aussi l’ensemble des devises européennes, apparaît de plus en plus comme le pivot du SME. N’oublions pas qu’en 1979 la création du SME n’avait été possible que grâce au virage de la politique monétaire allemande qui avait préféré soutenir, voire contrôler, les devises européennes plutôt que d’assister la politique inflationniste des États-Unis. Depuis lors, la République fédérale d’Allemagne (RFA) n’a guère cessé de renforcer son rôle dominant au sein de la Communauté européenne et le mark impose sa loi.
La Communauté européenne menace la Libye
Les actes de terrorisme perpétrés en Europe et la dégradation des rapports qui s’ensuivit entre Washington et Tripoli ont placé les pays européens dans l’embarras.
La France, par souci de ne pas être entraînée contre son gré dans des aventures militaires incontrôlées a refusé, le survol de son territoire aux appareils américains allant bombarder Tripoli et Benghazi. Cela eut le don d’exaspérer le président Reagan, bien qu’auparavant le général Vernon Walters, ambassadeur américain en RFA, ait affirmé qu’aucune autorisation de ce genre n’avait été sollicitée ! Toujours est-il que les États-Unis crurent pouvoir obtenir de leurs alliés européens des sanctions contre le régime du colonel Kadhafi. Les membres de la Communauté en discutèrent à deux reprises, à La Haye puis à Luxembourg. Le résultat en fut de timides mesures d’ordre diplomatique.
Il fut entendu de restreindre au maximum le nombre des représentants libyens dans les pays de la CEE ; de limiter leur liberté de mouvement ; d’examiner avec soin le rôle des ressortissants libyens travaillant en Europe ; enfin, d’interdire de séjour à l’intérieur de toute la Communauté tout sujet libyen expulsé par l’un des pays membres.
Aucune mesure de rétorsion économique, pas de rupture diplomatique non plus. Or, de deux choses l’une : ou bien les États européens considèrent la Libye comme un agent du terrorisme international et alors les mesures adoptées sont insignifiantes, ou bien le colonel Kadhafi est lavé de tout soupçon, comme le voulait la Grèce, et dans ces conditions on comprend mal la justification des dispositions arrêtées.
La Grande-Bretagne, qui a fermé en 1984 le bureau populaire libyen à Londres, souhaitait une rupture des relations diplomatiques. Il n’en était pas question pour la Grèce ni pour l’Italie, dont les liens avec la Libye sont étroits. Quant aux sanctions économiques, elles parurent inacceptables aussi bien à l’Allemagne fédérale qu’à la Belgique. Pourtant les importations européennes en provenance de Libye sont trois fois supérieures au montant des exportations. La pression, sans être radicale, pouvait être préjudiciable au régime libyen qui ne peut plus compter comme auparavant sur la manne pétrolière et qui, de surcroît, est en difficulté avec sa main-d’œuvre immigrée.
Faudrait-il en conclure que les pays européens, pris un par un, n’ont guère à se plaindre de la politique du colonel Kadhafi ? Pour la France l’affaire tchadienne ne s’est jamais réglée selon les engagements pris par le dirigeant libyen ; l’Italie, la Grèce et l’Autriche, qui se gardent bien de faire des procès d’intention à la Libye, sont tout de même la cible des terroristes et on se souvient des approbations inconvenantes du colonel Kadhafi après les attentats de Rome et de Vienne en décembre 1985 ; l’Espagne ne saurait ignorer l’appui accordé aux séparatistes basques.
Avancer, comme le fait notamment la Grèce, qu’il n’existe aucune preuve matérielle de la participation libyenne aux actes de terrorisme frappant les capitales européennes suffit-il à justifier notre complaisance ? Les pays arabes modérés eux-mêmes ont placé le colonel Kadhafi sous surveillance : nous ne faisons pas plus, alors que l’Occident reste sa cible privilégiée. Il ne s’agit pas d’obtempérer ou non aux avis de la diplomatie américaine, il s’agit de bien savoir quel est notre intérêt, quelles sont les conditions de notre sécurité et dès lors ne plus avoir d’attitude oblique.
La Libye est attentive à ce que peut faire l’Europe. En témoigne suffisamment le communiqué publié aussitôt après les décisions de Luxembourg : « La Jamahirya considérera ces mesures comme des décisions américaines et non pas des décisions européennes prises en toute indépendance par l’Europe ». Devrions-nous être dupes d’un langage qui ne cherche qu’à masquer la réalité en divisant des partenaires aux penchants trop divers ? En la circonstance, la Communauté européenne n’a pas fait preuve de beaucoup de fermeté. Cela pourrait bien lui être reproché un jour ou l’autre.