Les débats
• Serait-il possible d’avoir des détails sur la résistance du Rita aux agressions militaires, dans le conflit ?
Rita est un système maillé et au moment où les éléments se mettent en place, sont seuls utilisés les postes radio d’abonnés : avantage par rapport au système ancien, il y a cette recherche automatique de canal au moyen des sauts de fréquences ; ainsi les unités qui se mettent en place n’ont plus la vulnérabilité qu’avaient les réseaux radio qui ne pouvaient pas changer de fréquence, même si elles en avaient plusieurs à leur disposition. C’est déjà un grand progrès. En plus, les systèmes radio sont protégés. Donc au niveau d’un corps d’armée équipé du Rita, la mise en place est fort discrète. Contrairement à ce qui se passait auparavant, au lieu de faire le silence radio, on peut utiliser la radio Rita, ce qui constitue un avantage sur nos concurrents britanniques qui n’ont pas cette possibilité de faire travailler en mode direct un poste radio d’abonné avec un autre abonné. Autrement dit, on peut se passer des centres nodaux.
Deuxième stade de la manœuvre, les centres nodaux s’implantent mais ils vont rayonner sur des axes bien définis, avec des possibilités de ne pas le faire à la verticale, et l’expérience montre que la détection des faisceaux hertziens est pratiquement impossible. En outre, il faut penser que ce que pourrait recevoir l’ennemi, n’est pas décryptable, c’est du bruit puisque tout est totalement chiffré ; ce n’est pas non plus repérable en position, et de plus on peut aisément changer les fréquences à l’intérieur du réseau. La partie maillage travaillée en très haute fréquence ne peut pas être repérée et même si elle l’était, si l’ennemi parvenait à trouver la relation entre la fréquence émise et celle reçue, une donnée qui n’est pas fixe, que ferait-il ? Il supprimerait un des maillons et le premier à s’en apercevoir serait l’opérateur derrière son pupitre : jonction perturbée, donc changement de fréquence. Mais pendant tout ce temps les communications continuent, d’où un fort degré de résistance du réseau vis-à-vis de telles actions.
Si nous prenons la composante radio, plus vulnérable, il faut bien voir que les mécanismes du système dans son ensemble sont très astucieux, car ils permettent d’ajuster la puissance pour avoir un centre nodal à portée, et si on prend en compte la configuration du terrain, l’expérience a montré qu’on ne sait pas repérer, qu’on ne peut pas écouter, et si même l’adversaire reçoit une fréquence, ce n’est que bruit qui ne trahit aucun trafic : dans tout le système Rita, on ne peut jamais savoir s’il y a ou non trafic ; si jamais il y a brouillage, il suffit de raccrocher et de rappeler, et comme le système teste, on échappe alors au brouillage. Dans ces conditions comment voulez-vous que l’ennemi sache qu’il a brouillé une conversation, que celle-ci a été dégagée sur une autre voie et qu’il puisse alors poursuivre son brouillage ? De tout cela il ne sait rien. Il n’y a donc pas d’efficacité globale du brouillage, de même qu’il ne peut y avoir d’écoute.
• Des succès comme celui de Rita nous encouragent à aller plus loin bien qu’il ne soit pas nécessaire de réussir pour entreprendre. Mais lorsque ce dernier aux États-Unis a été connu, on n’a pas assez parlé du rôle moteur de la DGA et de l’importance de l’expérimentation qui a été faite sur le terrain.
Il n’y a pas eu de maître d’œuvre industriel ; on a dit qu’aujourd’hui on en choisirait un, mais je ne sais pas si la décision serait bonne : il y a des cas où un projet de cette nature est une telle mosaïque à l’assemblage délicat qu’il n’est peut-être pas souhaitable de le confier à un maître d’œuvre extérieur.
Pour effectuer le passage de l’analogique au digital, qui a été le grand tournant de l’électronique pressenti par nos ingénieurs de l’armement alors que beaucoup en niaient la possibilité, il a fallu de l’audace, et on peut se demander si aujourd’hui on trouverait autant d’inspiration sur l’avenir et si l’industrie française montrerait autant de disponibilité envers des solutions nouvelles à long terme ?
Quant à la dimension des problèmes, doit-on se situer au niveau de la France, ou ne faut-il pas les traiter à celui de l’Europe ou de l’Otan ?
Il y a tout de même une morale dans cette affaire : c’est que ce sont les petites équipes déterminées qui gagnent. Et l’important est peut-être de ne pas tomber dans ce gigantisme de l’organisation qui, aux États-Unis, échoue de temps en temps.
• La remarque précédente est tout à fait fondamentale. Voici le temps d’un succès mature à force d’exploitation d’une série de circonstances judicieusement utilisées et conjuguées en vue d’un résultat méritant. L’ensemble a bénéficié d’un environnement propice, lucidement observé, bien utilisé en évitant des erreurs psychologiques ou même politiques. Est-ce qu’aujourd’hui, nous pouvons penser que dans vingt ans nous rencontrerons d’autres succès analogues à celui du Rita ?
Nous n’avons pas eu de maîtrise d’œuvre et aujourd’hui la DGA a pour politique d’en avoir. Pourquoi ce changement ? Très probablement parce que l’industrie française a appris à maîtriser les grands systèmes et les grands projets. Dans le cas particulier des réseaux de communications, il y a eu des raisons historiques, aujourd’hui je pense qu’on pourrait mieux assurer cette maîtrise d’œuvre en la confiant à une société.
Les systèmes de télécommunications sont finalement une base de ce qu’on appelle aujourd’hui les systèmes C3, commandement, contrôle et communication. Nous avons des compétences certaines en la matière, mais peut-être n’avons-nous pas encore toutes celles nécessaires dans le domaine du système C3. Pour la partie communication, il y a déjà des possibilités d’assurer la maîtrise de grands projets ; il reste à l’industrie française à s’organiser pour assurer la maîtrise des grands programmes C3, non seulement savoir manager mais aussi avoir la compétence technique nécessaire dans tous les domaines. Il y a donc un effort à faire dans le management et un autre techniquement ; car ces systèmes C3 sont, pour les années qui viennent un large champ d’activité pour l’industrie française, autant au niveau national qu’à l’exportation.
• Le système Rita a mis dix ans pour se développer et on sait qu’un tel système reste valable une dizaine d’années ; a-t-on pensé au système post-Rita et comment le conçoit-on ?
Au moment où nous avons livré le système Rita, en 1983, nos industriels préparaient déjà de nouvelles solutions. Elles ont d’ailleurs en partie bénéficié au système MSE et nous allons, nous, armée française, en profiter également, avec encore une amélioration dans l’équipement des forces. Il est bien évident que nous n’arrêtons pas de nous projeter dans l’avenir et nous travaillons sur le système de l’an 2000.
Le gros avantage que nous retirons du succès de Rita est que nous pouvons faire évoluer nos systèmes ; nous n’aurons pas à faire comme le 1er mars 1983, lorsque le général m’a dit : « Demain, je pars en guerre avec Rita » ; il a fallu, du jour au lendemain, équiper tout le corps d’armée. C’était alors une révolution. Désormais nous pouvons faire évoluer le système dans chacune de ses composantes et il y a de beaux projets en cours.
• En quoi le système Ptarmigan est-il inférieur au Rita ?
Les Anglais ont dès le départ orienté leur système vers une modulation delta à 16 Kbits/seconde. C’est un choix que nous n’avons pas fait car nous avons fixé nos normes plus tôt et nous avons obtenu une qualité qui reste inégalée, et il faut reconnaître que le MSE aura une qualité téléphonique moindre que le Rita. Il y a donc une différence à ce niveau. En ce qui concerne la commutation, les choix sont d’une approche tactique différente. Les Anglais se sont toujours refusé à nous présenter le Ptarmigan ; il faut le dire. C’est au cours d’une conférence à Séoul que j’ai pu connaître les choix techniques du Ptarmigan. Dans ce système, le commutateur est lié au véhicule, alors qu’avec le Rita nous allons n’importe où, nous avons un système totalement indépendant des véhicules. Les Britanniques ont aussi un concept différent du centre nodal : ils regroupent au maximum les faisceaux hertziens dans un même véhicule, sans doute pour des raisons d’économie. Or, ce choix de regroupement est catastrophique, car il faut pouvoir trouver la bonne fenêtre pour « tirer » dans la bonne direction. Donc il faut des faisceaux hertziens pouvant s’articuler indépendamment. Et puis, enfin, l’intégration radio est faite selon la technique des courants porteurs dans un sens, et répartition dans le temps dans l’autre sens. Le résultat est que le système n’est pas simple et un abonné ne peut pas traverser toute une zone de corps d’armée sans qu’il y ait un centre de gestion pour le faire changer de bande de fréquences. D’où un manque de souplesse et, de plus, avec ce choix il n’est pas possible de mettre deux abonnés radio en communication directe sans le secours d’un centre nodal, ce qui est rédhibitoire.