Défense à travers la presse
Exception faite de la remise en cause par le président Reagan des accords de limitation des armes stratégiques (SALT II), peu de sujets concernant directement la défense ont paru mériter l’attention de nos confrères. Pour des raisons qu’il est facile de comprendre, le choix du secrétaire général des Nations unies, M. Perez de Cuellar, comme médiateur dans l’affaire du Rainbow Warrior (juillet 1985) a été accueilli avec satisfaction mais discrétion. En revanche, l’élection à la présidence de l’Autriche d’un prédécesseur de M. de Cuellar a donné lieu à une polémique sur des faits qui étaient restés cachés lorsque M. Kurt Waldheim accéda au secrétariat de l’ONU. L’indignation peut avoir ses justifications mais elle ne possède guère de vertus politiques. Il est, du reste, étrange dans cette affaire qu’il n’ait été question que de la Seconde Guerre mondiale alors que la germanophilie des Autrichiens a été engendrée par le Traité de Saint-Germain de 1919 qui a disloqué l’Europe centrale en détruisant l’Empire des Habsbourg. Ainsi va l’histoire.
En annonçant, fin mai 1986, que les États-Unis pourraient ne plus se sentir liés par traités SALT à partir de cet automne 1986, le président Reagan a jeté les observateurs dans la perplexité, les violations commises par l’URSS ne paraissant pas justifier une attitude aussi tranchée. Dans Le Figaro du 2 juin 1986, Serge Maffert pèse le pour et le contre :
« La conséquence immédiate de la fin des accords SALT sera le déclenchement d’une vaste course aux armements dont les conséquences ne sont guère prévisibles. C’est sur ce point que le débat va désormais porter, jusqu’à ce que M. Reagan confirme ou infirme sa prise de position. Les partisans des SALT à Washington estiment qu’ils favorisent un équilibre acceptable des forces militaires, que leur respect renforce l’impact politique de l’Occident et est conforme aux demandes, réaffirmées régulièrement, des alliés européens de l’Otan. Les mêmes affirment que la capacité soviétique à développer très rapidement son potentiel stratégique ne doit pas être sous-évaluée. Enfin, ils estiment le renforcement de l’arsenal stratégique non cohérent avec la politique impliquée par le bouclier spatial de l’IDS. Les adversaires des SALT, estiment, pour leur part, qu’un seul élément compte, la puissance militaire américaine. Celle-ci doit être développée simultanément dans tous les secteurs. Et si course aux armements il doit y avoir, on sait d’avance qui la perdra : ce ne seront pas les États-Unis ».
Dans Le Monde, Michel Tatu n’a pas réagi à chaud. C’est le 19 juin 1986 qu’il publie son analyse de la situation nouvelle ainsi créée. Contrairement à l’ensemble des commentateurs, il ne croit pas à une relance de la course aux armements. À son avis, il convient de mieux décoder l’attitude assez ambiguë du chef de l’exécutif américain :
« Est-ce donc la fin non seulement du Traité conclu entre Brejnev et Carter en 1979, mais aussi, comme beaucoup l’assurent au Congrès américain, dans les médias et en Europe, de tout le processus de négociation sur les armements, ce fameux « Arms Control » qui a occupé l’essentiel des relations soviéto-américaines depuis plus de quinze ans ? Voire… Même en admettant que les Soviétiques ont triché avec la lettre et plus encore avec l’esprit de SALT, on a du mal à voir dans les violations alléguées par Washington un casus belli justifiant l’abandon pur et simple de ce qui constitue après tout le seul cadre existant pour les relations stratégiques entre les deux « Grands »… C’est bien pourquoi l’attitude américaine semble être affaire de présentation plus que de fond. Si M. Reagan avait été plus doué pour l’agit-prop à la manière soviétique, il aurait mis en avant la partie positive de son texte, en proclamant qu’il n’entend pas posséder une seule arme de plus que son rival, que celui-ci doit cesser ses violations et qu’il se contentera de le suivre : c’est d’ailleurs à peu près ce que lui répond M. Gorbatchev. Aussi est-il probablement excessif de parler, comme l’ont fait certains, de course sans limite aux armements… Il est donc plus juste de voir dans cette dernière péripétie ce que nous en disait un responsable américain proche des pourparlers en cours à Genève : moins un abandon définitif de SALT qu’une nouvelle et forte pression sur Moscou pour l’obliger à modifier son comportement, une tentative de forcer la conclusion d’un accord remplaçant le « mauvais » traité SALT par quelque chose de mieux, mais n’annulant pas ce qui a été fait… Quelque chose finira bien par sortir des grandes manœuvres en cours ».
Ces grandes manœuvres ne concernent cependant pas que les armements stratégiques. Le 11 juin 1986, les pays du Pacte de Varsovie avancèrent des propositions en vue de réduire les armements classiques dans l’Europe de l’Atlantique à l’Oural. Pour nombre de commentateurs, cette initiative est apparue comme un acte de simple propagande. Tel ne fut pas le cas de Noël Darbroz, dans La Croix du 13 juin 1986 :
« Si ces propositions suscitent de l’intérêt, car elles sont effectivement nouvelles et importantes, elles sont néanmoins accueillies avec prudence du côté occidental dans la mesure où elles provoquent nombre d’interrogations. Comment expliquer que les négociations qui se déroulent à Vienne depuis treize ans sur la réduction des forces conventionnelles en Europe centrale soient enlisées du fait des refus soviétiques ? Comment expliquer que la Conférence de Stockholm, née des Accords d’Helsinki sur la sécurité et la coopération en Europe, n’ait en deux ans obtenu aucun résultat, toujours du fait des Soviétiques ? Y aurait-il eu un revirement à Budapest ? Autre point d’interrogation pour l’Otan. Est-ce parce que le Pacte de Varsovie, dans ses propositions de réduction des effectifs, acceptera de tenir compte de la disproportion des forces en présence en Europe : 4 millions d’hommes dans le Pacte de Varsovie contre 2,6 millions dans l’Otan ? Sans oublier qu’en cas de conflit l’Union soviétique a toutes ses forces en Europe tandis que les États-Unis devraient faire franchir l’Atlantique à leurs renforts… On émet des doutes, enfin, sur les modalités concrètes de contrôle qu’accepteraient effectivement les pays du Pacte ».
Il est peu probable que des réponses soient apportées avant le Sommet Reagan-Gorbatchev.