Défense dans le monde - Le problème sikh en Inde
La religion sikh a été instaurée il y a environ quatre siècles, au cours desquels des périodes de violence plus ou moins aiguë ont ébranlé la communauté de ses fidèles. C’est l’une de ces crises qui secoue depuis quatre ans le Pendjab et qui provoque attentats et assassinats dont le plus spectaculaire a été celui de Mme Gandhi en 1984.
Rajiv Gandhi, après des débuts prometteurs dans le règlement de ce problème, se heurte aujourd’hui aux mêmes écueils que sa mère : la détermination et le fanatisme sikhs que rien ne semble pouvoir infléchir. Pour mieux mesurer les dimensions du conflit, il est bon de rappeler les origines de cette communauté, son histoire et ses revendications.
Origine du sikhisme
Gourou Nanak Dev (1469-1538) est le fondateur du sikhisme. Déplorant les conflits fréquents entre hindous et musulmans, il voulut instaurer en quelque sorte une nouvelle religion monothéiste, synthèse de l’islam et de l’hindouisme, basée sur la tolérance universelle. Il en était le gourou, c’est-à-dire le maître, et eut très vite de nombreux adeptes. Neuf autres gourous lui succédèrent ; le dixième et dernier, Gobind Singh, mourut en 1708. Entre-temps, les sikhs avaient connu des périodes florissantes comme celle qui a vu la construction du célèbre temple d’or d’Amritsar en 1573. Mais ils avaient eu aussi bien des difficultés, notamment la quasi-impossibilité de recruter des adeptes parmi les musulmans en raison de l’intolérance islamique.
En 1699, Gobind Singh établit une fraternité militaire appelée khalsa. Ces « soldats de Dieu » firent serment de donner leur vie pour défendre leur foi et pour lutter contre l’autorité centrale des dirigeants moghols. Au cours d’une cérémonie spéciale, le gourou demanda aux sikhs de prendre Yamrit (mélange d’eau et de sucre, remué à l’aide d’un poignard) comme marque à la fois de force et de douceur. Ensuite, il leur enjoignit de s’engager à porter en permanence cinq symboles qui tous commencent par la lettre K : Kesha (cheveux qu’on ne doit pas couper), Khanga (peigne), Kara (bracelet de fer), Kachha (caleçon court) et Kirpan (poignard). Puis le maître appela cinq sikhs appartenant aux cinq grandes castes hindoues, les présenta à l’Assemblée, annonça qu’on les appellerait les « cinq bien-aimés » et ajouta à leur nom le suffixe singh (lion). Finalement, il déclara que chaque fois que ceux-ci se réuniraient, ils auraient le sentiment de la présence du grand gourou au milieu d’eux. Lui-même serait le dernier des gourous. Aujourd’hui, les « cinq bien-aimés » dirigent toujours la Communauté des sikhs modérés. Ils sont entourés par un comité chargé de gérer leurs temples et se réunissent chaque fois que des événements importants le nécessitent. La dernière Assemblée remonte au 28 janvier 1986, au lendemain du véritable coup d’État religieux perpétré par les extrémistes sikhs qui ont aboli l’autorité religieuse légitime et proclamé un nouveau parlement au Khalistan (nom du Pendjab qu’ils voudraient indépendant).
Les sikhs et le Pendjab
Les sikhs sont parfois appelés Pendjabis, du nom du territoire aujourd’hui à cheval sur les frontières de l’Inde et du Pakistan. Théâtre de bien des invasions, le Pendjab fut coupé en deux lors de la partition de l’Inde en 1947. Les Britanniques, qui s’étaient vu confier le soin de tracer la frontière entre les deux nouveaux États, firent passer celle-ci à peu près au milieu du Pendjab. Sa capitale Lahore se trouvait du côté pakistanais, Amritsar et le temple d’or du côté indien. Cette division aboutit à l’un des plus grands drames de l’histoire. Un immense mouvement migratoire s’amorça, accompagné d’horribles massacres. Aucun chiffre officiel n’a été avancé, mais il y eut de l’ordre de 200 000 morts. Les sikhs se montrèrent particulièrement agressifs et cruels. Opposés à cette scission, ils voulaient constituer un État indépendant, le Khalistan, pays tampon entre l’Inde et le Pakistan.
En 1965, pour satisfaire les revendications formulées à la fois par les hindous et les sikhs, pas encore majoritaires dans cet État indien, la partie sud du Pendjab (côté indien) fut détachée pour former l’État d’Haryana. Dès lors, les sikhs se trouvèrent majoritaires dans le nouvel État du Pendjab ainsi amputé, où ils représentaient 60 % de la population. Chandigarh, ville de construction récente, restait la capitale commune des deux États ainsi constitués.
Les sikhs sont aujourd’hui 16 millions, soit à peu près 2 % de la population de l’Inde, 9 millions vivent au Pendjab dont ils ont fait un pays prospère. D’autres vivent dans les États voisins (Haryana, Rajasthan) et dans quelques villes de l’Inde, en particulier à New Delhi. Des centaines de milliers ont émigré vers le Royaume-Uni, les États-Unis, le Canada, l’Allemagne et l’Asie du Sud-Est.
Revendications et affrontements
S’estimant traités en marge des Indiens, les sikhs ont entrepris une campagne pour obtenir une plus grande autonomie de leur État. Le conflit ouvert a éclaté en octobre 1982. Sous la direction de Sant Marchand Singh Longowal, les Pendjabis présentèrent à Delhi une liste de revendications politico-religieuses : reconnaissance d’Amritsar comme ville sainte des sikhs ; reconnaissance du sikhisme comme religion indépendante et non plus comme une branche de l’hindouisme ; diffusion sur les ondes nationales de passages de leur livre saint ; reconnaissance de Chandigarh comme capitale du seul État du Pendjab : retour à ce dernier des droits sur les eaux des rivières Ravi et Béas qui avaient été détournées vers les États de l’Haryana et du Rajasthan.
Ensuite vint Sant Jarnail Singh Bhindranwale. Ce sikh fondamentaliste de 39 ans fascina les foules en leur expliquant que le sikhisme avait été composé par les influences hindoues et occidentales. Il prit la tête des militants les plus durs en revendiquant l’indépendance complète du Pendjab, la création d’une nouvelle nation, le Khalistan, etc. La tension monta encore et la confrontation sikhs-hindous fut portée à un degré tel que des incidents armés se produisirent faisant de nombreuses victimes dont un grand nombre innocentes. Entré dans l’illégalité, Bhindranwale occupa le temple d’or d’Amritsar en décembre 1983, accompagné de ses disciples en armes. De ce sanctuaire, à l’abri de toute poursuite de la police, il poussa ses fidèles à la violence et à la haine envers les hindous. Dès lors, les extrémistes se sentirent assez forts pour affronter les forces de l’ordre et transformèrent le temple d’or en un véritable arsenal.
Le 14 février 1984, le gouvernement de Delhi convoqua une réunion pour tenter de calmer la situation devenue explosive. Le Chef du gouvernement du Pendjab démissionna et l’État fut placé sous l’autorité directe de Delhi. L’unité et l’intégrité de l’Inde étant menacées, Mme Gandhi déclara le 2 juin 1984 que le gouvernement indien était fermement résolu à mettre fin au terrorisme et à la violence au Pendjab. L’Armée, qui occupait Amritsar, assiégea le temple d’or. Les extrémistes retranchés, n’ayant aucune chance de succès, furent invités à se rendre. Les sommations militaires furent accueillies par des salves d’armes automatiques, et c’est ainsi que se joua le premier acte d’une tragédie qui se termina le 6 juin 1986 par l’assaut de l’Armée. Le bilan fut très lourd : officiellement, 250 sikhs et 59 soldats auraient été tués, mais il est probable que le chiffre réel se situe autour de 650 tués, dont le chef extrémiste Bhindranwale. Le deuxième acte ne devait pas tarder à se dérouler : le 31 octobre de la même année, Mme Indira Gandhi tombait sous les balles tirées par des sikhs de sa garde personnelle.
À la suite de ces graves événements, les extrémistes ne devaient pas désarmer, malgré la victoire des sikhs modérés aux élections provinciales du 25 novembre 1985 et les accords sur le Pendjab signés le 26 juillet 1985 (1) entre le Premier ministre indien et M. Singh Longowal, leader du parti Akali Dal (modéré). En effet, le 20 août 1985, ce dernier était assassiné par les extrémistes qui lui reprochaient d’avoir bradé leur cause lors des accords du 26 juillet 1986. Six mois après, le 26 janvier 1986, les séparatistes occupaient, comme en juin 1984, le temple d’or d’Amritsar et révoquaient l’autorité légitime détenue par les modérés. Après trois mois de siège, le 30 avril 1986, le temple était investi par les forces de police et les renforts de Delhi, mais aucune résistance ne s’étant manifestée, les 1 000 ou 2 000 pèlerins et extrémistes évacuaient le temple sans qu’aucun coup de feu n’ait été tiré. Depuis, les attentats se poursuivent et le dernier en date parmi les plus marquants a été celui dirigé contre le général en retraite Vaidya, Chef d’état-major de l’Armée de terre indienne lors de l’assaut du temple d’or en 1984, abattu à Poona le 10 août 1986.
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À défaut de pouvoir détruire le mur d’incompréhension qui sépare les communautés sikh et hindoue, il appartient au gouvernement central de veiller au maintien d’un certain équilibre entre les tendances sociopolitiques des antagonistes. Aujourd’hui, tout porte à croire que, face au fanatisme des extrémistes, New Delhi soit décidé à utiliser la force pour vaincre une rébellion qui perdure avec son cortège de victimes. Sans doute, un fléchissement du radicalisme sikh et un assouplissement des autorités centrales contribueraient-ils davantage à instaurer un climat de confiance, indispensable à l’amorce de négociations constructives. ♦
(1) Ils prévoyaient, entre autres, que la ville de Chandigarh serait la capitale seulement du Pendjab et que les forces militaires spéciales seraient retirées de cet État.