Aéronautique - Le Propfan (Soufflante non carénée ou Open rotor) : chimère ou réalité ? (I)
L’une des attractions majeures du dernier salon aéronautique de Farnborough (Angleterre) fut, sans aucun doute possible, le Propfan (de l’anglais propeller-fan, hélice soufflante).
Initiés en 1975 par la société américaine Hamilton Standart, les programmes Propfan, après des débuts laborieux, sont entrés depuis 1983 dans des phases de recherches et de développements très intenses au sein des bureaux d’étude des grands motoristes et avionneurs.
Le Propfan, moteur dans lequel on cherche à réaliser la synthèse des avantages du turboréacteur à double flux et de l’hélice, sera-t-il vraiment, dans son domaine de vol, le mode de propulsion idéal pour les avions de transport des prochaines décennies, ou restera-t-il, comme bien d’autres avant lui, une merveilleuse réalisation technologique de laboratoire sans aucun lendemain commercial ?
La réponse n’est pas évidente. En effet, prendre aujourd’hui catégoriquement position pour ou contre le Propfan relève plus de l’art divinatoire que de l’étude objective du problème. C’est pourquoi nous nous bornerons, après avoir brièvement rappelé son principe, à faire le point sur les principaux projets, ce qui nous amènera tout naturellement à évoquer l’avenir de ce nouveau système de propulsion.
Principe du Propfan
Dès la fin des années cinquante, le turboréacteur a très rapidement et presque totalement supplanté l’hélice actionnée par des moteurs à explosion ou par des turbines à gaz. Les causes de cette disparition sont multiples. La principale trouve son origine dans le rendement propulsif. Ce dernier, pour un moteur à hélice classique est excellent, nettement supérieur à celui du turboréacteur jusqu’aux vitesses moyennes de vol (Mach 0,5/0,6), mais chute très rapidement au-delà. En effet, dès que ces valeurs de Mach sont dépassées, la vitesse de l’écoulement de l’air sur les pales, résultante des vitesses de translation et de rotation des hélices, devient transonique voire supersonique, surtout en bout de pales. Cela engendre des phénomènes aérodynamiques et vibratoires dangereux et extrêmement pénalisants pour le rendement du moteur.
Par ailleurs, le turboréacteur présente d’autres avantages : la complexité technique est moindre ; la présence d’un réducteur, source de nombreuses pannes, n’est pas nécessaire ; la maintenance est plus légère et plus aisée à réaliser ; la sécurité liée à ce type de moteur est nettement plus élevée, ce qui est dû, essentiellement, au fait que toutes les pièces tournantes sont enfermées dans des carters ou des carénages ; les niveaux sonores et vibratoires sont bien plus faibles tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la cabine. Mais sa supériorité capitale réside dans sa très bonne adaptation aux vitesses de vol subsoniques élevées (Mach 0,8/0,85).
Le turboréacteur a donc permis à l’avion de transport, civil ou militaire, d’aller beaucoup plus vite tout en offrant une capacité d’emport, un confort et une sécurité nettement accrus. Ces améliorations ont dû être tout de même « payées » sous la forme d’une substantielle augmentation de la consommation en carburant. Compte tenu des prix de vente du kérosène à cette époque, cela n’eut qu’une incidence très minime sur les coûts d’exploitation.
C’est à la suite de la crise pétrolière de 1973 que furent entrepris les premiers travaux sur le Propfan. Avec ce type de propulseur, on pense pouvoir économiser entre 25 et 35 % sur la consommation par rapport aux meilleurs turboréacteurs à double flux. Ces derniers, de leur côté, n’ont d’ailleurs pas cessé de voir leurs performances s’améliorer au prix, il est vrai, d’un accroissement important de leur surface frontale (les « doubles flux » actuels possèdent des soufflantes dont le diamètre se situe autour de 2,7 mètres) et de leur complexité (1).
Ainsi que nous allons le voir, diverses formules Propfan sont proposées. Cependant, elles ont toutes un objectif unique et un principe commun. Il s’agit de réaliser des moteurs à hélices (pour retrouver un excellent rendement propulsif) tournant à très grandes vitesses qui puissent propulser des appareils de transport aux alentours de Mach 0,8. Les hélices de ces propulseurs sont caractérisées par un grand nombre de pales, ce qui permet d’absorber une très forte puissance sans avoir à augmenter excessivement leur diamètre. Par ailleurs, afin d’élever au maximum le Mach critique (vitesse à partir de laquelle commencent à apparaître les ondes de choc locales), les pales ont une large corde, une faible épaisseur et une forte flèche surtout à leurs extrémités. De plus, pour assurer un bon équilibrage aérodynamique et mécanique autour de l’axe de variation de pas, la flèche est inversée au pied de chaque pale. Cette architecture donne à ces hélices la forme caractéristique, maintenant bien connue, du cimeterre.
Ces hélices particulières sont entraînées par un générateur de gaz qui n’est autre qu’un turboréacteur classique dérivé d’un moteur existant. Le choix puis l’adaptation de ce générateur à (aux) hélice(s) doit être fait avec beaucoup de soins. En effet, le rendement global de l’ensemble propulsif dépend de celui de ses deux composants (générateur, hélices) dont les maximums ne sont pas forcément en phase dans tout le domaine de vol. Quelle que soit la formule Propfan adoptée, des compromis doivent être trouvés.
Si le principe est simple, par contre la réalisation de ce système propulsif pose de nombreux problèmes. Le niveau sonore, tant à l’extérieur qu’en cabine est élevé. Le dessin des pales, les réducteurs, les transmissions du mouvement sont difficiles à réaliser. Les vibrations, les contraintes diverses et les interactions aérodynamiques entre les moteurs et le fuselage sont mal connues. Ainsi, ces nombreux inconvénients expliquent, en partie, la relative lenteur avec laquelle les différents programmes sont conduits et surtout la diversité des solutions proposées par les motoristes.
Les projets
Les divers projets en étude ou en développement peuvent être regroupés en deux familles au sein desquelles existent deux formules : l’hélice simple et les hélices doubles contrarotatives.
Les hélices contrarotatives ne sont apparues que récemment (1982-1983). Cet agencement permet d’améliorer le rendement de propulsion (90 à 85 % entre Mach 0,7 et Mach 0,85 au lieu de 85 à 72 % pour une hélice simple). De plus, le réducteur associé, dans lequel certaines contraintes s’équilibrent au lieu d’être absorbées par le carter, est d’une conception plus simple. Par contre, le dispositif de variation de pas est plus complexe et le niveau sonore engendré est plus élevé. Il semble que la formule contrarotative tende à s’imposer.
Le Propfan avec réducteur
Dans ce type de moteur, l’entraînement des hélices se fait par l’intermédiaire d’un réducteur. L’architecture du moteur est classique et donc bien connue. C’est sans doute pour cela que cette formule fut la première étudiée. Mais, aux difficultés inhérentes aux nouvelles hélices, s’ajoutent celles liées à la fabrication de réducteurs fiables susceptibles d’absorber de très fortes puissances allant jusqu’à 50 000 chevaux-vapeur. Par comparaison, rappelons que le plus gros turbopropulseur en service dans le monde (Kutnetsov NK-12M, équipant quelques avions soviétiques An-22, Tu-95, etc.) développe 14 000 chevaux-vapeur.
L’Unducted Fan (UDF)
La paternité de cette formule revient à la firme General Electric (GE). L’UDF est un turbopropulseur dans lequel les gaz, issus d’un turboréacteur classique, entraînent une turbine sans stator mais qui compte deux rotors contrarotatifs sur lesquels sont fixées les pales d’hélice.
Mécaniquement, ce moteur est relativement facile à construire et il n’y a, en principe, aucune limitation raisonnable de puissance. Cependant, une bonne adaptation du fonctionnement du générateur de gaz au travail optimal des hélices dans tout le domaine de vol est plus difficile à réaliser qu’avec un Propfan à réducteur. De plus, ce moteur ne peut être que propulsif (hélices placées après le générateur).
Enfin, notons l’apparition d’études concernant un Propfan dans lequel on a rajouté un carénage annulaire aux hélices contrarotatives, qu’elles soient placées en amont ou en aval du générateur de gaz, entraînées ou pas par un réducteur. Le carénage présente des avantages non négligeables : amélioration du rendement grâce à la diminution de la consommation spécifique, possibilité d’accroître la vitesse de vol jusqu’à Mach 0,9, abaissement sensible du niveau de bruit et amélioration globale de la sécurité liée au moteur permettant ainsi son montage devant et sous les ailes. En contrepartie, il faudra trouver des solutions pour réduire le supplément de poids et la traînée aérodynamique introduits par les carénages. ♦
(1) Le turboréacteur Pratt & Whitney J57, mis en service au milieu des années 1950, offre une poussée maximale au décollage de 5,5 tonnes et une consommation en croisière de l’ordre de 1 800 litres/heure. Le CFM56, un des plus modernes « doubles flux », dépense 1 500 litres/heure pour une poussée maximale de 10 t.