Revue des revues
• Le numéro d’été de la revue américaine Orbis, organe du Foreign Policy Research Institute de Philadelphie, contient un article de Roman Kolkowicz, professeur de science politique à l’université de Californie où il a fondé le Centre des affaires internationales et stratégiques. Cet article a pour sujet « L’étrange carrière des intellectuels de la défense ».
Le professeur Kolkowicz montre d’abord qu’Américains et Soviétiques ont des conceptions différentes du phénomène « guerre ». Les premiers sont intellectuellement les héritiers de Jomini et d’Emory Upton (1). Pour Jomini, l’étude et la conduite de la guerre sont une science ayant des règles fixes et des principes invariables. Cette influence a conduit à l’utilisation de modèles et de scénarios mis sur ordinateur ; la guerre devient une partie d’échecs. Le général Upton pensait que « la guerre et la politique sont choses diamétralement et fondamentalement opposées ». Les armements nucléaires ont exacerbé la tendance des Américains à se concentrer sur la complexité du matériel au détriment de l’étude de l’adversaire. Pour les Soviétiques, qui ont suivi la ligne de Clausewitz et des néo-clausewitziens marxistes de Marx à Staline, la guerre est un drame terrible où il est constamment nécessaire de s’adapter à la réalité. Il n’y a pas de « vérités éternelles de la science militaire ». Les instituts de recherche ont beaucoup moins d’influence en URSS qu’aux États-Unis. Les militaires et le parti dominent la politique de défense qui est un domaine jalousement gardé.
Roman Kolkowicz étudie ensuite l’importance des intellectuels dans la pensée militaire occidentale. Elle est considérable parce qu’ils veulent participer aux décisions. Raymond Aron y voit une « fascination de la violence » (l’opium des intellectuels), Max Weber la raison de la bureaucratisation de la société et de l’État en raison de la nécessité de disposer d’une armée permanente et des charges financières qui en résultent. Depuis 1880 environ, les intellectuels américains pensent que l’on peut remédier aux maux de la société par une autorité « forte et vertueuse ». Surtout après la Seconde Guerre mondiale, les autorités ont transformé les intellectuels en « experts », phénomène dont la Rand Corporation est le meilleur exemple. Il s’est créé une nouvelle forme de pouvoir, « the action intellectual », qui a eu son âge d’or. Il a défini le vocabulaire de la stratégie américaine, créé la dissuasion, la guerre limitée et l’« arms control ». Il a pris en main le système militaire. Certains comme Henry Kissinger et Zbignew Brzezinski sont devenus célèbres.
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