Droit maritime
Nos lecteurs connaissent déjà et apprécient l’œuvre de Martine Rémond-Gouilloud, professeur de droit maritime à l’Université de Strasbourg III. En effet, nous leur avons rendu compte en 1983 du très grand intérêt du colloque « Objectif mer », qui s’était tenu à Paris au lendemain de la signature de la nouvelle convention internationale sur le droit de la mer, et dont elle venait d’être la parfaite organisatrice sous la direction de Jacques Soppelsa, président de l’université de Paris I. Depuis, elle a écrit plusieurs articles très remarqués dans notre revue, notamment en 1986 sur les rapports entre la liberté des mers et la défense, et en 1987 sur le rôle des transports maritimes commerciaux pour l’avenir de l’Europe, ce dernier reproduisant sa brillante intervention dans la réunion-débat sur « Les mers dans la défense de l’Europe » qu’avait organisé le Comité d’études de défense nationale (CEDN) auquel elle appartient.
L’ouvrage que Martine Rémond-Gouilloud nous présente aujourd’hui est de caractère plus spécialisé, puisqu’il constitue en fait un manuel de droit maritime commercial, encore que le terme ne soit pas tout à fait approprié comme nous l’explique son avant-propos. Cela ne l’empêche pas d’être d’une lecture enrichissante pour ceux qui s’intéressent seulement aux aspects géopolitiques du milieu marin. Ainsi nous rappelle-t-il, par exemple, la définition juridique du navire de guerre et l’immunité qu’elle lui confère à l’égard de l’État côtier, même dans ses eaux territoriales. À ce sujet, il pose fort à propos la question du statut du navire marchand incorporé à une flotte de combat comme ravitailleur ou transport de troupes, et aussi celui des navires d’État pour lesquels « l’affectation préside à la qualification ». Il nous rappelle utilement enfin le statut international du navire marchand : il a une nationalité, qui marque son allégeance politique à l’État où il est immatriculé (la banalisation récente des pavillons de « libre immatriculation », couramment dénommés de « complaisance », a ôté cependant au pavillon beaucoup de cette signification) ; le pavillon ne fait pas du navire marchand une portion du territoire national (contrairement à une tradition admise à tort jusqu’à une époque récente) ; enfin les lois de la mer ont longtemps imposé au navire marchand croisant un navire de guerre de justifier de sa nationalité en montrant son pavillon (au point que le navire incapable de le faire était considéré comme apatride et pouvait être assimilé à un pirate).
Toujours à propos du statut international du navire marchand, Martine Rémond-Gouilloud nous rappelle que, lorsqu’il traverse les eaux territoriales « de façon continue et rapide » et sans se livrer à des manifestations hostiles, un navire étranger bénéficie du « droit de passage innocent » et échappe ainsi à toute emprise de l’État côtier, sauf cas très particuliers (comme le trafic des stupéfiants). En haute mer, seule la loi du pavillon est applicable aux infractions commises par les navires ou à leur bord, sauf poursuite pour infraction commise dans les eaux intérieures ou territoriales (« hot pursuit »). Cependant toute autorité d’État a le droit, et même le devoir, d’intervenir contre un navire « pirate », c’est-à-dire s’attaquant par la violence et à des fins personnelles aux navires privés, ou aux personnes et aux biens se trouvant à bord, ce qui en fait un « ennemi du genre humain ». L’ouvrage revient plus loin sur cette définition très précise de la piraterie, d’autant plus utile à connaître qu’on a tendance dans le langage courant à en banaliser le terme.
Nous y trouvons également des explications utiles à tout honnête homme concernant par exemple la sécurité maritime, en particulier l’assistance en mer et la lutte contre la pollution ; ou encore les structures du commerce maritime : au plan international avec les groupements d’armateurs, les organisations non gouvernementales et les conférences maritimes ; au plan de la Communauté économique européenne (CEE), laquelle commence à ébaucher une politique maritime commune. Enfin sont explicitées clairement ces opérations mystérieuses pour beaucoup que constituent les transports de marchandises, lorsqu’elles distinguent contrats d’« affrètement » et contrats de « transport » ; les ventes maritimes lorsqu’elles différencient ventes au départ FOB (franco à bord : Free on Board), ou FAS (franco sur le quai : Free along Side), ou encore « CAF » (lorsque le vendeur fournit, outre la marchandise, son transport et son assurance : coût, assurance, fret) ; les activités portuaires, où il faut distinguer les « consignataires » du navire et de la cargaison, les « entrepreneurs de manutention », les « transitaires », les « commissionnaires », toutes corporations généralement mystérieuses elles aussi pour l’homme de la rue, mais dont doivent connaître l’existence les économistes et même les amateurs éclairés de géopolitique.
C’est, on l’aura compris, un ouvrage sérieux et même sévère que nous offre aujourd’hui Martine Rémond-Gouilloud. Sa lecture en est cependant très agréable par la limpidité de son style et sa remarquable présentation. Il constitue ainsi, répétons-le, un document de référence très utile pour tous ceux qui s’intéressent aux aspects maritimes de la géopolitique.♦