Défense en France - La Commission Armées-Jeunesse (CAJ)
C’est devant la Commission armées-jeunesse (CAJ) que, le 17 octobre 1988, M. Chevènement, ministre de la Défense, a présenté ses objectifs de modernisation et de diversification du service national (ces projets feront l’objet d’une chronique ultérieure). C’est dire l’importance de cette commission, organisme consultatif qui dépend du cabinet du ministre et qui réunit des représentants des mouvements de jeunes, du ministère de la Défense, et de sept autres ministères. Il convient de préciser l’historique, le rôle et le fonctionnement de cette instance, avant d’en mesurer les résultats.
C’est en 1953 qu’à la demande des associations de jeunesse apparut la nécessité d’établir un dialogue entre les armées et les mouvements de jeunes. Organisation d’abord informelle, la Commission fut institutionnalisée par le ministre de la Défense nationale Pierre Billotte le 22 novembre 1955. Présidée par des officiers généraux de haut rang (Jacques Faure, Pierre Ponchardier, Jean Craplet, Louis Delfino, Fernand Gambiez…), elle connut des périodes d’intense activité, parmi lesquelles il faut noter les réunions avec les ministres Pierre Messmer et Michel Debré sur les réformes du service militaire et du règlement de discipline générale ; le colloque de janvier 1968 sur la formation civique et l’universalité du service ; le dialogue avec Charles Hernu sur la participation et le contenu du service national ; les études de 1985-1987 sur la formation et l’information. Les événements de mai 1968 n’interrompent pas les échanges, mais en décembre 1975, l’inculpation d’étudiants en cour de sûreté de l’État provoque la suspension des travaux. Les contacts sont cependant maintenus par le général de Boisfleury, des réunions partielles ont lieu en 1977, et la réunion plénière est rétablie en octobre 1978. En 1983, le général Boissau préside les manifestations du trentième anniversaire.
Adoptée en 1972, actualisée en 1975 et 1984, la charte de la Commission armées-jeunesse précise : « Elle contribue à concrétiser l’esprit de défense par une meilleure insertion de l’armée dans la nation et une meilleure préparation des jeunes à leurs responsabilités. À cette fin, elle étudie les problèmes qui se posent à l’occasion du service national, à partir d’une meilleure connaissance, par les jeunes, des impératifs de la défense et de leurs implications militaires ; par les armées, de l’évolution de la société et des préoccupations des jeunes ».
Trois principes de fonctionnement y sont affirmés : le caractère consultatif de la Commission, la recherche de l’assentiment général sans recours au vote, la discrétion et la courtoisie. Les débats sont fondés sur le dialogue qui s’instaure sur des thèmes de réflexion choisis par la commission, ou proposés par le ministre. Ces thèmes sont étudiés par des groupes de réflexion ou d’étude qui se réunissent une fois par mois. Des visites d’unités et des consultations d’experts complètent l’information des participants. Les conclusions des groupes sont examinées en fin de trimestre par l’ensemble des membres réunis en assemblée plénière, seule instance de proposition. Les suggestions retenues sont regroupées dans un rapport annuel présenté au ministre à la fin de la session ; elles sont alors rendues publiques dans le bulletin de la CAJ.
Présidée depuis 1987 par le général Leclerc, inspecteur général des réserves et de la mobilisation de l’Armée de terre, la commission est animée par un secrétaire général. Outre 14 organismes des armées, elle comprend : 28 mouvements de jeunesse, de toutes tendances. 8 branches jeunes des syndicats, 7 mouvements d’étudiants, 14 membres de divers ministères s’intéressant à la jeunesse. Cette composition n’est pas figée, des membres peuvent se retirer, et la commission en a admis trois nouveaux en 1987 : ATD (Aide à toute détresse) quart monde, parents d’élèves (PEEP), scouts unitaires. Enfin, des comités disposant d’une large autonomie ont été mis en place dans certaines divisions militaires territoriales, où ils orientent leurs activités vers les problèmes locaux et pratiques.
Les travaux de 1987 ont abordé trois thèmes : la contribution du contingent à la capacité opérationnelle des forces, la Française et la défense, les conditions de vie du soldat. Les membres du premier groupe ont observé que la sophistication des armements et le recours aux engagés Volontaires service long (VSL) n’écartaient pas les appelés des postes de combattants, et que la qualité de l’instruction était améliorée par l’emploi des simulateurs et la participation des soldats. Ils souhaitent qu’un effort d’information fasse mieux ressortir ces réalités en ce qui concerne le rôle des appelés et l’importance des réservistes, dont ils déplorent le taux d’absentéisme lors des convocations.
Sensibles à l’aspect global de la défense, les Françaises sont insuffisamment informées sur sa composante militaire. Le deuxième groupe a noté que la féminisation était bien amorcée dans les armées, et que la spécificité féminine excluait les jeunes femmes, sauf exceptions, des fonctions de combat. Il est donc naturel de les orienter vers des carrières techniques et administratives. Des dispositions doivent être prises pour remédier aux indisponibilités dues aux maternités et à l’éducation des enfants.
Très attaché au maintien de l’universalité du service, le troisième groupe souhaite une amélioration de la solde des militaires du rang, éventuellement l’indexation du prêt sur le Smic ou sur la solde d’activé. Il estime que le temps de service devrait être pris en compte pour le calcul des droits de retraite. Rendant hommage à l’action remarquable des officiers conseils, il porte une grande attention au problème de la réinsertion des appelés à l’issue du service, et dans ce cadre, appelle à un renforcement des contacts entre les unités militaires, le monde de l’enseignement et de l’économie.
Les thèmes choisis pour 1988-1989 sont : conscription et solidarité ; information sur le service national ; recrutement et formation des réservistes. Parmi les questions abordées dans ce cadre, on notera l’aide aux jeunes défavorisés, l’écrémage des meilleurs par les services non militaires, le rôle des appelés dans la défense, la disponibilité des réservistes.
Le bilan de 35 années d’activités de la CAJ n’est pas facile à dresser. Il comprend à la fois des résultats immédiats sur les textes relatifs au service national, et un constat d’influence sur les mentalités. La commission a elle-même rédigé des notices d’information : « Demain le service militaire » ; « Guide de l’étudiant sur le service » ; « Guide à l’usage de l’officier conseil » ; « Bientôt le retour à la vie civile » ; « Lutte contre l’illettrisme ». Elle a été à l’origine de la création en 1958 des clubs agricoles, en 1962 des Bureaux universitaires et scolaires (BUS), en 1963 du Centre interarmées de formation d’animateurs (CIFA). Nombre de ses propositions ont été retenues pour la refonte du règlement de discipline générale, l’instruction sur la formation militaire générale, la réduction des trois jours de la sélection, le service « à la carte » de 18 à 22 ans, la préparation militaire, l’insertion professionnelle des jeunes, le régime des sursis (1) et les reports d’incorporation. Elle a contribué à l’amélioration des conditions matérielles du service : augmentation du prêt, crédit kilométrique, gratuité sur le réseau allemand, modernisation de l’infrastructure, bénéfice de la sécurité sociale. Elle organise des stages dans les établissements d’armement (150 stages en 1988 pour 700 demandes).
L’œuvre accomplie par la commission ne saurait se mesurer au seul inventaire des propositions adoptées. Au-delà de ces résultats immédiats, les réflexions menées par la commission ont toujours constitué un « réservoir d’idées » pour le ministre de la Défense et une source d’inspiration pour les mouvements qui en font partie. De plus, conformément aux termes mêmes de sa mission, elle contribue de façon permanente à faire prendre conscience aux jeunes des impératifs de la défense et à informer le commandement de l’évolution des aspirations de la jeunesse.
« Son véritable bilan, estime son secrétaire général, ne se mesure pas, car il se situerait davantage au niveau de l’évolution des mentalités. Et, dans ce domaine, où l’on note depuis ces dernières années un changement favorable de l’opinion publique à l’égard de la défense et des armées, il est certain que les idées semées par la commission ont eu leur part d’influence. Les propositions et les rapports que la commission adresse au ministre contribuent à l’éclairer dans ses orientations et ses décisions, à sensibiliser le commandement représenté dans toutes ses composantes. De même il est vrai que les réflexions qu’elle mène au sein de ses groupes permettent aux représentants des jeunes de participer à l’étude de thèmes de portée générale ou de questions plus précises et concrètes : c’est sans doute l’une des meilleures façons de les associer concrètement à la défense du pays et ainsi de leur faire prendre conscience que la défense est bien l’affaire de tous et, donc, de la nécessité d’en tenir compte dans leur propre démarche vis-à-vis de la jeunesse ».
Maurice Faivre
• Nous signalons à nos lecteurs une étude faite par le groupe Renouveau Défense intitulée : « L’autre face de la défense », celle qui doit répondre à la menace non militaire. Cette étude, dont le général (CR) Jean Delaunay a tracé les grandes lignes dans la Revue des Deux Mondes de septembre 1988, fait l’objet d’une plaquette éditée par celle-ci. ♦
(1) En ce domaine, ses propositions n’ont pas été comprises par les lycéens qui ont manifesté contre la loi Debré.