Ramses 89 : le Monde et son évolution
Le nouveau Ramses (Rapport annuel mondial sur le système économique et les stratégies) est donc paru, ce rapport annuel mondial sur le système économique et les stratégies que publie depuis sept ans l’Institut français des relations internationales et dont la rédaction est le produit d’un travail d’équipe sous la direction de Thierry de Montbrial. Les lecteurs de cette revue connaissent bien maintenant le propos et la structure de principe de ces rapports, puisque nous avons eu le privilège chaque année de les leur présenter. Comme ses prédécesseurs, Ramsès 1989 comporte quatre parties : les revues politique et économique de l’année écoulée, qui s’arrêtent à juillet 1988, et deux thèmes d’actualité, qui sont cette année l’Europe centrale au sens de la « Mitteleuropa », et la société de communication.
La première partie, dont Dominique Moisi a été le maître d’œuvre, porte le titre « Détente et espoirs de paix ». C’est dire qu’elle est centrée sur l’évolution de l’URSS de Gorbatchev et les relations Est-Ouest, au sujet desquelles Thierry de Montbrial nous présente aussi dans son introduction une très remarquable synthèse. Nous en avons retenu en particulier les idées fortes suivantes, qui nous engagent toutes à ne pas nous départir de la prudence. La vie politique en Union soviétique ne sera certainement plus comme avant, mais il est hors de question d’y abandonner le principe du parti unique ; la question des réformes économiques est celle vers laquelle tout converge, mais la population soviétique supportera-t-elle les inévitables épreuves provoquées par la thérapeutique ? En tout cas, l’aide de l’Occident sera indispensable pour franchir cette passe difficile ; pour gagner le temps nécessaire, le chef du Kremlin devra faire preuve de dissimulation, cette vertu de l’homme d’État dont il connaît certainement tous les ressorts, sans quoi il ne serait pas devenu le maître du parti communiste de l’URSS. Dans ce contexte, la politique extérieure occupera une place décisive, et Gorbatchev ne manquera pas de s’employer, comme il l’a fait déjà avec un immense succès, à fasciner ses interlocuteurs. Et Thierry de Montbrial nous rappelle alors cruellement le sens ancien du mot séduction : « Charmer pour corrompre ».
Cette première partie comporte aussi des chapitres concernant les États-Unis, avec un bilan de la politique étrangère et de la politique de défense de Reagan ; le Proche-Orient, avec des considérations sur la guerre Irak-Iran, et sur la « révolte des pierres » dans les territoires occupés par Israël, la première finissant et la seconde commençant au moment où Ramsès 1989 était mis sous presse. Elle contient enfin l’analyse des mutations en cours en Asie-Pacifique et des crises qui se développent dans la vallée du Nil.
La partie thématique qui suit, dont nous avons déjà dit qu’elle traitait de la « Mitteleuropa », prolonge opportunément les réflexions précédentes sur les relations Est-Ouest. Rédigée sous la direction de Jean Klein, elle analyse la situation politique et les relations extérieures des pays socialistes d’Europe centrale et orientale, puis s’interroge sur leur évolution vers la réforme ou vers la crise, pour constater enfin que leur intégration économique « par le haut », c’est-à-dire leur dépendance à l’égard de l’URSS, demeure aussi forte que par le passé.
Un chapitre d’une particulière actualité traite alors des relations de l’Allemagne fédérale (RFA) avec les pays de l’Est et, par suite, de « la question allemande ». Il comporte notamment un rappel détaillé et fort utile de l’histoire des relations de la RFA avec l’Union soviétique depuis les accords de Paris d’octobre 1954 qui avaient reconnu sa souveraineté. L’histoire s’arrête à l’été 1988, mais les tendances qui y sont constatées ont été confirmées depuis, et en particulier lors de la visite toute récente du chancelier Kohl à Moscou. Pour reprendre les titres des journaux, si la glace est maintenant rompue entre les deux pays, si on peut même parler d’euphorie germano-soviétique, notamment dans le domaine de la coopération économique, il apparaît que M. Gorbatchev reste intraitable sur la question allemande. Le chapitre en question, qui est particulièrement intéressant, traite aussi des relations de la RFA avec la République démocratique d’Allemagne (RDA), d’une part, et avec les autres pays socialistes, d’autre part, en rappelant là encore leur histoire détaillée.
En raison de la vocation géostratégique de notre revue et malgré son très grand intérêt, nous passerons plus rapidement sur la troisième partie du Ramsès 1989, puisqu’elle traite de l’évolution et des perspectives de l’économie mondiale. Les titres et sous-titres de ses chapitres en indiquent d’ailleurs les orientations, qui sont prudemment pessimistes comme il convient sur ce sujet : un environnement international insaisissable ; la croissance et le désordre ; le krach et après ? ; reprise, surprises, hésitations ; la dette latino-américaine à la croisée des chemins ; la poussée des investissements japonais ; la France malade de son commerce extérieur. Citons enfin quelques-unes des conclusions que nous présente dans son introduction Thierry de Montbrial, dont on connaît la particulière perspicacité en la matière : le nouveau président des États-Unis s’attaquera-t-il enfin aux déficits ? ; s’il prend le taureau par les cornes, que demandera-t-il en contrepartie aux principaux pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) ? ; la désinvolture des États-Unis contraste avec les efforts du Japon, qui a pris des mesures de relance efficaces et s’est engagé sur la voie des changements structurels. Ce n’est pas le cas de l’Allemagne fédérale, qui n’a pas en matière de croissance les mêmes objectifs et les mêmes besoins que ses partenaires. Enfin la grande leçon du krach d’octobre 1987 est que ce genre de phénomène est encore possible !
La quatrième et dernière partie de l’ouvrage concerne pour la première fois dans l’histoire déjà septennale des Ramsès un problème de société, mais qui est d’une actualité brûlante, et dont les conséquences politiques et même stratégiques sont incontestables. Placée sous la responsabilité de Philippe Moreau Defarges, que les lecteurs de cette revue connaissent et apprécient puisqu’il anime sa rubrique « Politique et diplomatie », elle nous présente d’abord de façon très complète le nouveau paysage de la communication dans ses aspects techniques et industriels, puis dans les spécificités des entreprises et des métiers qui en ont la charge. Elle traite ensuite des problèmes que posent les relations avec cette nouvelle communication de l’État « désemparé » devant la « logique du marché » et le « choc de l’internationalisation », et enfin les solutions entre lesquelles il se débat : réglementation, déréglementation, régulation. Nous trouvons alors deux encarts, comme l’ouvrage en comporte de nombreux afin de traiter plus à fond des questions spécifiques, qui intéresseront particulièrement les lecteurs de cette revue, puisqu’ils concernent l’influence des médias dans les rapports Est-Ouest (le taux d’écoute des radios occidentales en URSS est de 15 à 20 % ; en Europe centrale de 75 %, avec 90 % en Pologne ; toute la RDA suit la télévision de RFA) et le projet de « nouvel ordre mondial de l’information et de la communication » (qui fut à l’origine des difficultés récentes de l’UNESCO). Enfin le dernier chapitre traite des nouveaux rapports de la communication avec la société, abordant ainsi ses relations avec la politique et même avec la morale, assorti là encore d’encarts intéressants sur « télévision et élections », « télévision et enfants », « télévision et violence ».
Comme nos lecteurs auront pu le constater à travers ce trop rapide survol. Ramsès 1989 est particulièrement riche en analyses et en informations concernant la plupart des événements ou des évolutions de notre temps. Remarquable par la clarté de sa présentation, assorti de nombreux tableaux, encarts spécifiques, graphiques et cartes, comportant en outre une annexe statistique récapitulant les principales données actuelles de l’économie mondiale, muni enfin d’un index par matières, par pays et par noms propres, qui en rend la consultation très aisée, cet ouvrage est non seulement d’une lecture passionnante, dans la mesure où il vous « met à la disposition de l’événement » pour reprendre la formule de Talleyrand citée par Thierry de Montbrial dans son introduction, mais il constitue aussi un document de référence indispensable pour tous ceux qui s’intéressent à la géopolitique et à la géostratégie. ♦