Le « splendide isolement » albanais appartient-il déjà au passé ? Deux événements majeurs semblent y avoir provoqué quelques failles : l'invasion de la Tchécoslovaquie et le rapprochement sino-américain. Dans quelles directions les brèches peuvent-elles s'accentuer ? Telle est la question que se pose l'auteur, jeune chercheur bien au fait des problèmes balkaniques.
Situation et perspectives de la politique étrangère de l'Albanie
Pour nombre d’observateurs, la politique extérieure albanaise se caractérise globalement par une grande rigueur dans l’énoncé des principes qui la gouvernent et l’animent. Cette rigueur se traduit en particulier par l’expression d’une aversion irrépressible à l’égard de l’Union Soviétique et d’une condamnation sans appel des États-Unis. À l’opposé, elle professe une amitié indéfectible à l’égard de la « Chine-sœur ». Entre ces deux extrêmes, la diplomatie albanaise présente l’image d’un isolement drapé dans la fierté nationale et une stricte orthodoxie marxiste-léniniste. Pour être sommaire, cette présentation n’est pas dénuée d’une part de vérité. Elle exclut toutefois certaines virtualités d’évolution que l’on a pu déceler depuis 1968 et qui pourraient, à l’avenir, acquérir plus de substance.
Hostile, l’Albanie l’est en premier lieu à tout ce qui est soviétique, à toute initiative provenant du Kremlin ou inspirée de lui. Sans doute estime-t-elle avoir ses raisons, fondées sur l’expérience d’un passé récent. La rupture politique et diplomatique avec Moscou, en 1961, n’est pas si ancienne que les dirigeants en aient déjà oublié les causes et n’en aient pas tiré la leçon (1). L’intervention militaire du 21 août 1968 en Tchécoslovaquie n’a pu, à leurs yeux, que justifier le bien-fondé de leur méfiance à l’égard du Kremlin. C’est d’ailleurs à la suite de cet événement que l’Albanie s’est retirée officiellement du Pacte de Varsovie, aux activités duquel, au demeurant, elle ne participait plus depuis longtemps, de même qu’elle était absente du CAEM (Comecon). Aussi bien les relations bilatérales avec les pays d’Europe Orientale sont-elles, pour reprendre une expression de M. Hodja, « tombées bas » (2). La Roumanie, avec laquelle les relations se développent « normalement », fait exception à cette règle, sans pour autant que les échanges politiques revêtent un caractère spectaculaire. Du moins cette exception est-elle notable bien qu’elle confirme surtout la spécificité de l’attitude de Bucarest dans le camp socialiste. Quant aux rapports avec Moscou, il paraît inutile d’insister sur leur état actuel, qui confine à l’inexistence (3). Les « nouveaux tsars du Kremlin » sont, du reste, rendus responsables de la médiocrité des rapports avec les pays de démocratie populaire (4).
Hostile, le Parti du Travail albanais l’est systématiquement à l’égard des États-Unis pour des raisons doctrinales évidentes, ce pays représentant l’archétype du capitalisme et de l’impérialisme. Il en résulte, de la part de Tirana, un militantisme foncier à rencontre de Washington, qui se traduit par d’incessantes dénonciations de sa volonté d’« asservir les peuples ». La guerre du Vietnam, les affaires indochinoises, le Proche-Orient, le Chili, le Tiers-Monde, etc., ont, à cet égard, fourni à Tirana un arsenal inépuisable de prétextes à condamnation.
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