L'hostilité de la Chine à l'égard de l'Union soviétique, qui tient à des raisons géopolitiques profondes, commande en fait la vision marxiste que Pékin se donne de l'ensemble du monde. L'auteur en fait ici une analyse très claire. Il ne semble pas par ailleurs que l'actuelle campagne contre les fantômes de Confucius et de Lin-Piao puisse infléchir l'orientation de cette politique. Toutefois, s'agissant d'un monde aussi difficile à appréhender, la prudence s'impose en matière d'interprétations et de prévisions…
La Chine face aux grandes puissances en Asie
Il y a peu encore l’on s’accordait de plus en plus à considérer la zone Asie-Pacifique comme la région où se jouerait le sort du monde dans les années à venir, l’Extrême-Orient ayant pris la relève de l’Occident comme théâtre de l’affrontement des puissances à responsabilités mondiales. Les fourmilières humaines de l’Asie et les vastes espaces stratégiques du Pacifique ne paraissaient-ils pas destinés à devenir l’enjeu d’une compétition mettant aux prises les deux Super-Grands d’aujourd’hui, les États-Unis et l’Union Soviétique, et ceux de demain, la Chine et le Japon ? La récente crise énergétique a certes déplacé l’intérêt et mis en relief le rôle grandissant des pays producteurs de pétrole pour la plupart concentrés au Proche-Orient. Mais on ne peut pour autant tenir pour négligeable l’évolution en cours dans une région où les positions sont loin d’être aussi tranchées qu’en Europe, où la prépondérance d’une super-puissance est loin d’être aussi marquée qu’en Amérique latine, et où surtout l’existence de pôles autonomes régionaux introduit une donnée nouvelle dans l’équilibre précaire observé actuellement.
La partie que la Chine s’efforce de jouer dans ce contexte n’est pas simple. Née il y a à peine vingt-cinq ans, la République Populaire s’est employée depuis à retrouver la grandeur passée du pays tout en voulant demeurer fidèle à l’idéologie qui a permis à ses fondateurs de prendre le pouvoir : indépendance et vision marxiste du monde sont deux des principales clefs de la diplomatie chinoise. Ce sont elles qui éclaireront l’attitude de Pékin dans sa confrontation avec ses rivaux pour la suprématie en Asie.
L’indépendance est une notion qui n’a cessé d’imprégner les chefs du PC chinois depuis les origines de ce dernier. Ses fondateurs ont ressenti l’humiliation du pays au temps des concessions étrangères ; le PC lui-même s’est forgé dans la lutte contre l’occupant japonais et contre le Kuo-Min-Tang présenté comme lié aux intérêts extérieurs ; l’expérience enfin de l’alliance soviétique des années 50 a démontré aux dirigeants chinois les dangers de l’asservissement tout fondé qu’il fût sur une communauté idéologique. Aussi le radicalisme de la Révolution Culturelle, comme son devancier du Grand Bond en Avant, a-t-il pu paraître porter au pinacle cette valeur suprême de l’indépendance, la Chine se faisant fort de trouver en elle-même, sans recours à un quelconque modèle étranger, la solution aux problèmes posés par son développement et son avenir. Mais, indépendamment de l’échec de cette tentative sur le plan intérieur, l’isolement total du pays à l’extérieur, la confrontation avec les deux plus grandes puissances du monde et la montée des dangers ressentie lors des incidents sur l’Oussouri ont marqué les limites de l’expérience. À la recherche d’une indépendance en quelque sorte négative, fondée sur le refus et le repliement sur soi-même, a succédé la recherche d’une indépendance « positive », basée sur l’ouverture et le contact. Deux prises de conscience ont puissamment contribué à cette évolution : d’une part, face à une menace soviétique jugée inquiétante et sur laquelle il conviendra de revenir ci-dessous, la nécessité d’éviter à tout prix un tête-à-tête avec ce dangereux voisin et donc de se trouver le maximum d’alliés réels ou « objectifs », quelles que soient les objections sur le plan des principes qui puissent être élevées à rencontre de tel ou tel pays ; d’autre part, l’urgent besoin de sortir du sous-développement économique, condition essentielle pour une pleine maîtrise de la politique étrangère, et donc l’obligation de faire appel à des concours extérieurs, au moins pour certaines technologies hautement élaborées que l’industrie chinoise, déjà largement sollicitée par ailleurs (et entre autres par l’armement atomique), ne peut produire.
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