Il y aura bientôt trente ans prenait corps à Dumbarton Oaks le projet d’une Organisation des Nations unies capable, en mettant la puissance au service de la paix, d’assurer la sécurité collective avec une efficacité qui avait fait défaut à la Société des Nations (SDN). Professeur de Droit international, l’auteur rappelle comment, par suite de la désunion de ses fondateurs, l’ONU fut privée de puissance en même temps que s’opérait un glissement de pouvoir du Conseil de sécurité vers l’Assemblée. Dans ces conditions, le rôle de son Secrétaire général prenait un relief particulier. La personnalité de M. Kurt Waldheim doit rendre à l’ONU l’autorité qui lui est indispensable et lui permettre de parfaire son universalité. Il n’en reste pas moins nécessaire d’apporter quelques réformes à l’Organisation.
L'ONU de Trygve Lie à Kurt Waldheim
Bien que fort décourageante, l’expérience de la Société des Nations avait introduit l’idée de la nécessité historique d’une grande organisation internationale regroupant tous les États. Dès le 1er janvier 1942, en plein conflit mondial, les Nations « unies »… dans le combat contre les Puissances de l’Axe s’engagent à élaborer un système de sécurité collective pour le temps de paix. Le 30 octobre 1943, à Moscou, les ministres des Affaires étrangères des États-Unis, de Grande-Bretagne et d’Union Soviétique manifestent la volonté de poursuivre leur collaboration après la victoire et proclament la nécessité d’établir aussitôt que possible une nouvelle organisation internationale. Le projet prend forme à l’automne 1944, à Dumbarton-Oaks, près de Washington, lors des négociations que les deux puissances anglo-saxonnes nouent successivement avec l’U.R.S.S. et la Chine : la France, dont le gouvernement provisoire ne sera reconnu de jure que le 23 octobre de la même année, n’est pas invitée. Les points en suspens — représentation de l’U.R.S.S., modalités de vote au sein du Conseil de Sécurité — sont réglés à Yalta, au cours des entretiens du président Roosevelt, très malade déjà, avec Churchill et Staline ; les trois Grands peuvent dès lors convoquer la Conférence qui, à partir du 25 avril 1945, à San Francisco, préparera la Charte de l’Organisation.
En réalité, la préoccupation d’efficacité des « Pères Fondateurs » des Nations Unies est apparue, dès 1943, dominante : il importe d’en finir avec la passivité de la Société des Nations. La nouvelle organisation sera réellement représentative, c’est-à-dire à vocation universelle — même si les États vaincus sont provisoirement tenus à l’écart — alors que la S.D.N. était essentiellement européenne. Dans l’exercice de sa mission, elle devra traiter en profondeur les problèmes politiques, économiques et sociaux : une constellation de véritables « services publics internationaux » se déploie autour d’elle — des organisations internationales de l’aéronautique, de l’agriculture, des télécommunications, de la santé, de la culture, de la monnaie et du développement venant compléter l’ancien « bureau international du travail ». Et si la Charte, signée le 26 juin 1945 à San Francisco, affirme le souci des Nations Unies de « préserver les générations futures du fléau de la guerre », elle édicte nombre de règles destinées à éviter un retour aux hostilités : la renonciation des États-membres à l’emploi ou à l’usage de la force, l’obligation d’avoir recours à des modes de règlement pacifique pour résoudre leurs différends, le devoir de prêter assistance à l’organisation dans toute action préventive ou coercitive contre un agresseur.
Surtout, l’intention des vainqueurs du conflit mondial est de fonder un véritable pouvoir international — c’est-à-dire, en pratique, de maintenir le directoire du temps de guerre : à Yalta, les Trois Grands ont introduit dans le projet de Charte les dispositions qui garantiront le maintien de leur prééminence. La S.D.N. n’était qu’un « club » d’États souverains et égaux, paralysé par le principe d’unanimité. La nouvelle organisation sera menée par un groupe d’États puissants, par un directoire efficace. Il ne s’agit plus de sombrer dans le juridisme, mais d’entreprendre une action réaliste ; l’heure n’est plus à la constitution d’une sorte de « tribunal des nations » mais à la mise en place d’une « gendarmerie internationale » ; selon l’excellente formule de René-Jean Dupuy, l’objectif n’est plus « la paix par le droit » mais « la paix par la police des Grands ». Un hommage rituel est, certes, rendu à la souveraineté et à l’égalité des États : l’Assemblée Générale, ouverte à tous les États-membres, incarnera la « démocratie à l’échelle internationale » ; mais son domaine de compétences, théoriquement très vaste, est, en fait, superficiel — l’Assemblée ne peut faire aucune recommandation sur une question tant que le Conseil de Sécurité s’en trouve saisi ; elle doit renvoyer au Conseil toute affaire qui « appelle une action ». En réalité, concentrant tous les pouvoirs en matière de maintien de la paix, sa suprématie absolue assurée sur l’Assemblée, le secrétaire général conçu comme son agent d’exécution, le Conseil de Sécurité institutionnalise l’hégémonie des « Grands » — ses cinq membres permanents. Et si une intervention militaire s’avère nécessaire, c’est le Comité d’État-Major, composé des représentants des cinq Grands, qui sera chargé de son exécution technique ; de même que, dans l’attente de la conclusion des accords militaires spéciaux qui définiront les conditions et limites de la fourniture des forces par les États-membres, ce sont les cinq Grands qui pourront « entreprendre en commun, au nom des Nations Unies, toute action qui pourrait être nécessaire pour maintenir la paix et la sécurité internationale ». Il est vrai que les articles 43 et 106 de la Charte des Nations Unies, qui énoncent ces dispositions essentielles pour le maintien de l’ordre international, ne seront jamais appliquées : elles supposaient maintenu le directoire des Grands, dont on sait qu’il ne fut qu’éphémère.
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