Afrique - Afrique du Sud : M. Mandela à la recherche d'un dessein négociable - L'Afrique noire est-elle vraiment en perdition ?
M. Nelson Mandela, après une attente que l’on fit volontairement durer de part et d’autre, fut libéré le 18 février 1990 et reçut, au Cap, le triomphe que son courage avait mérité. Il a aussitôt rassuré l’opinion africaine sur la fermeté de sa détermination à détruire l’apartheid, mais, depuis lors si l’on en croit ses propos publics, il semble à la recherche d’une doctrine pragmatique qui tienne compte de tous les paramètres qu’il lui faut affronter. Les militants de l’ANC (Congrès national africain), surtout les jeunes, ont du mal à renoncer aux promesses contenues dans les formules de propagande les plus lapidaires. Lui-même ne veut pas rompre l’engagement de faire libérer, avant l’ouverture d’une négociation, les prisonniers politiques, eussent-ils commis des crimes ; il n’a jamais cessé de légitimer la violence. Dans un même temps, il est placé devant la nécessité contradictoire d’avoir à retirer de son programme les thèmes qui peuvent bloquer l’évolution de la communauté blanche démocratiquement représentée ; il faut qu’il le fasse sans se trahir lui-même et sans provoquer de scission dans sa famille politique. Il doit aussi tirer les leçons de la crise où s’enfoncent les autres pays africains, donc conserver le système économique actuel qui se trouve être le plus performant du continent, au lieu de vouloir le réformer au nom de la justice sociale, promesse faite à l’époque où Moscou se présentait comme l’exemple à suivre et n’accordait son aide qu’au prix d’un consentement. Il conviendrait aussi qu’il tînt compte du fait que l’influence étrangère n’est plus orientée de la même façon : ce sont les États-Unis et les pays occidentaux qui contraignent Pretoria à abandonner l’apartheid ; ce sont l’URSS et les pays dits socialistes qui conseillent à l’ANC d’adopter une attitude plus souple.
Le discours prononcé le 2 février 1990 par M. Frederick de Klerk (président de l’État de la République d’Afrique du Sud) devant le Parlement sud-africain développe les principes d’une doctrine parfaitement assimilée par l’équipe majoritaire puisque, au préalable, elle fut l’objet de discussions au gouvernement et surtout au Caucus (commission du parti national à l’Assemblée, organisme où s’élabore la politique du gouvernement) du parti national. Il s’adresse, par-delà les députés, à la communauté blanche qu’il tend à rassurer tout en soulignant l’inéluctabilité de l’évolution, aux partis noirs, métis et indiens qu’il veut pousser à accepter la négociation destinée à concevoir une nouvelle Constitution, à l’opinion occidentale sur laquelle il s’aligne en mettant en valeur l’idéal de la démocratie, en souhaitant aussi qu’elle ne se montre pas trop impatiente, enfin, aux gouvernements du sous-continent de l’Afrique australe. Une analyse plus détaillée de ce discours permettra de mieux saisir l’importance et les limites de ces engagements. M. Mandela devra tenir compte de celles-ci, s’il les estime justifiées, pour élaborer sa propre doctrine.
Après avoir montré que la seule alternance à la violence était la rédaction d’une Constitution dont le texte aurait été négocié par les dirigeants représentatifs de la population, M. de Klerk apaise les craintes de la communauté blanche par quatre affirmations : 1. le Parlement sera partie prenante aux préludes des négociations et aux discussions elles-mêmes ; 2. la rédaction d’une nouvelle Constitution « serait inopportune » si elle ne soulignait pas que la « reconnaissance des droits individuels », dans un pays dont la composition nationale et particulière n’impliquait pas la disparition des problèmes « liés à l’existence d’un peuplement hétérogène » ; 3. les mesures de décrispation que le gouvernement va prendre sont rendues possibles : les événements survenus en URSS et en Europe centrale ayant affaibli les moyens des organisations qui prônaient la violence, la police est convaincue que, dans les circonstances actuelles, elle est capable d’assurer l’ordre sans faire appel aux règles d’exception ; 4. les détenus « condamnés pour meurtre, acte de terrorisme ou incendie criminel » ne seront pas compris dans les mesures de Libération.
Il reste 84 % de l'article à lire