Afrique - Afrique du Sud : à qui les troubles profitent-ils ? - Les Pays les moins avancés (PMA) en détresse
L’évolution de l’Afrique du Sud ne pourrait pas être considérée comme irréversible si elle n’était que la conséquence des pressions internationales. Que celles-ci se relâchent et – à supposer qu’elles fussent les seules à susciter l’élan réformateur – les errements du passé seraient vite ranimés, entraînant une réaction qui reconstituerait l’apartheid [NDLR 2021 : politique de ségrégation raciale en place depuis 1948], sans doute sous une autre forme mais avec les mêmes résultats dangereux. En revanche, si l’on estime en général qu’avec la libération de M. Nelson Mandela, la reconnaissance des partis politiques interdits, la suppression progressive des dispositions légales constituant le « petty apartheid », une page de l’histoire sud-africaine est définitivement tournée, c’est que l’on a pu constater, avec la montée d’une génération nouvelle, qu’en deux décennies l’action des enseignants, des associations culturelles et des Églises avait transformé profondément la mentalité d’une grande partie de la communauté blanche. La politique que mène actuellement le gouvernement n’aurait eu aucune chance de s’imposer si elle n’avait été rendue possible par les initiatives des deux prédécesseurs de M. Frederik de Klerk (président de l’État de la République d’Afrique du Sud depuis 1989) qui ont renforcé les pouvoirs du chef de l’État, ont délié celui-ci de la dépendance exclusive d’une seule communauté et ont provoqué l’éclatement du parti national afin que la majorité agissante de cette formation pût se situer au centre.
Dans un problème aussi complexe que celui que connaît l’Afrique du Sud, les données psychologiques ont sans doute autant d’importance que les impératifs moraux ou idéologiques. Il fallait donc que, de la manière la plus large possible, la population blanche fût amenée sans hâte à reconnaître que l’immobilisme, dans lequel elle se complaisait, ne lui assurait qu’une stabilité provisoire et factice, à juger qu’un saut dans l’inconnu conduirait à la découverte d’une sécurité plus concrète et plus stable, à admettre enfin que les règles du jeu politique devaient être établies après avoir été discutées par des partenaires ayant chacun autorité sur une fraction de l’opinion réelle et qu’elles ne pouvaient plus être imposées par l’un d’entre eux. D’où l’obligation de reconnaître les courants politiques en acceptant même les plus extrémistes.
Les populations noires n’ont pas eu à subir une évolution semblable. Qu’elles eussent résidé dans les bantoustans [NDLR 2021 : régions créées pendant l’apartheid réservées aux populations noires] ou qu’elles appartinssent depuis plusieurs générations à la catégorie des « noirs urbanisés » qui, vivant loin de leur milieu traditionnel, n’en sont pas pour autant tout à fait détribalisés, elles étaient soumises à des dispositions psychologiques plus simples : ou les individus acceptaient l’état que leur réservait le système constitutionnel, ou ils se révoltaient. Dans ce dernier cas, les moins nombreux se lançaient dans la rébellion active, les autres attendaient, pour se prononcer publiquement, les premiers signes de défaillance du gouvernement et de la communauté blanche. L’évolution consistait donc pour eux à passer d’une attitude de réprobation passive à une hostilité ouverte. Cela n’impliquait pas une lente transformation des mentalités. Par ailleurs, tandis que la mésentente qui opposait les Afrikaners [NDLR 2021 : Sud-Africains blancs descendants des premiers colons non-britanniques] et les Britishers s’était estompée avec la mutation sociale d’une grande partie des premiers, l’évolution des opinions de tous concernant la politique africaine et l’oubli du passé, les règles de l’apartheid avaient creusé plus profondément la trace laissée par les rivalités qui avaient opposé, dans l’histoire, les plus importantes ethnies. C’est ainsi que les mouvements anti-apartheid et les syndicats professionnels nés de l’essor économique, associations qui, au départ, souhaitaient recruter leurs membres sur une base nationale ont pris rapidement une consonnance « tribaliste », d’un côté les Xhosas et leurs alliés, de l’autre, les Zoulous plus isolés parce que plus craints.
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