Armée de terre - L'Armée de terre, demain…
L’année 1990 est certainement l’une des plus importantes du siècle. L’effondrement de l’économie soviétique et des républiques populaires, l’unification des deux Allemagne, la poussée des nationalismes, les négociations sur le désarmement, la crise du Golfe sont le reflet d’une tendance que l’on peut déjà considérer comme lourde, bien qu’il soit encore trop tôt pour savoir où elle nous mène vraiment.
Aussi convient-il de ne pas baisser notre garde. L’instabilité rend la situation internationale dangereuse. Si l’éventualité d’une crise paroxysmique entre deux blocs semble bien s’éloigner, les menaces de conflits, certes limités mais d’intensité plus grande que ceux que nous avons connus ces dernières années, en Afrique par exemple, vont probablement se multiplier, aussi bien en Europe que hors d’Europe.
Parallèlement, d’autres paramètres s’imposent et correspondent à des décisions gouvernementales dans le cadre des changements géopolitiques.
Si le Titre III du budget 1991 marque un effort important au profit de la condition militaire, le Titre V est moins satisfaisant. Le pouvoir d’achat dont disposera l’Armée de terre sera de 10 % inférieur à ce qu’avait prévu la loi de programmation. Et celle qui devrait être volée au printemps devrait se traduire, dans l’état actuel des choses, par un manque à gagner budgétaire important.
Comme les autres armées européennes, le format de l’Armée de terre devra être réduit sensiblement. Ses effectifs devront passer de 285 500 hommes à 250 000 en 1994. Cette réduction est cohérente avec la réduction du service national à 10 mois, mais il faudra prendre des mesures techniques, afin de lisser les effets du changement de durée.
Le rapatriement des Forces françaises en Allemagne (FFA) est d’ores et déjà engagé et se traduira en 1991 par la dissolution d’un état-major et de onze régiments. Il se prolongera jusqu’en 1994, sans que l’on sache exactement aujourd’hui le volume des forces qui resteront sur place en fonction des éventuels souhaits allemands.
Grandes tendances
En prenant en compte ces paramètres, il appartient de définir quelques grandes tendances. Tout d’abord, l’Armée de terre devra peut-être faire face en Europe à des crises globalement plus éloignées de ses bases de départ nationales. La dissuasion restera le fondement de notre concept, mais ne saura à elle seule régler tous les conflits. On assistera également à une explosion des espaces stratégiques, tandis que, sous l’effet de la technologie, se réduiront les délais d’exécution. Ensuite, la nature des éventuels conflits européens et périphériques convergera. Enfin, l’Armée de terre devra s’adapter à ces tendances dans un contexte d’incertitude budgétaire.
Il importe donc qu’elle renforce dès maintenant ses capacités de protection et de mobilité, de surveillance et de renseignement, de souplesse et de commandement, d’action dans la profondeur et de contre-mobilité, mais dans une configuration plus resserrée. Il est aussi souhaitable que celle-ci permette de s’adapter rapidement aux exigences de l’évolution nationale et internationale et de prendre en compte le maximum de situations stratégiques. Aussi n’est-ce pas à une simple réduction de ses moyens à laquelle l’Armée de terre doit faire face, mais plutôt à la nécessité d’amorcer une dynamique basée sur un nouveau projet.
Tronc commun et modules
Il est envisageable d’organiser l’Armée de terre, à partir d’un tronc commun, en un ensemble de modules adaptables à un éventail de missions le plus large possible compte tenu de l’imprécision actuelle sur les menaces futures.
Elle se composera désormais de deux corps d’armée et de la Force d’action rapide (FAR). La suppression du 1er Corps d’armée (CA) est déjà effective. Le passage de 4 à 3 « pions » enlève indéniablement un élément de souplesse stratégique et de puissance, d’autant plus que chaque CA ne comprendra probablement que deux Divisions blindées (DB) et une Division d’infanterie (DI). Il importe de compenser cela par plus de mobilité et d’agilité, ainsi que par une capacité accrue à l’acquisition et au traitement du renseignement. Dans cette hypothèse, chaque DB disposerait de quelque 250 chars, regroupés au départ dans des régiments à 70 comme ils le sont déjà aux FFA.
Par la suite, en fonction des expérimentations actuellement menées, ces régiments pourraient passer à 80 chars (RC 80), chacun fournissant deux groupes d’escadrons (GE 40) en cas d’engagement, ce qui donnera plus de souplesse tactique au corps de manœuvre. Deux de ces divisions devraient être transportables sur porte-chars, permettant de renforcer rapidement l’un ou l’autre corps d’armée. Les divisions d’infanterie devraient être également modifiées par augmentation de certaines de leurs capacités en reconnaissance et en VAB HOT (Véhicule de l’avant blindé équipé de missiles antichars Haut subsonique optiquement téléguidé).
Pourquoi ne pas doter chaque corps d’armée d’une brigade aéromobile comportant un gros régiment d’hélicoptères et des unités d’infanterie spécialisées dans les actions aéromobiles ? Ces brigades, qui disposeraient au départ de moyens limités, matérialiseraient la possibilité d’une projection anticrise des corps d’armée et pourraient s’adapter à l’avenir en fonction de l’évolution des menaces.
FAR renforcée
Les équipements de la FAR doivent être renforcés, en dotant tout ou partie des régiments de la 11e Division parachutiste (DP) en véhicules légers aérotransportables en C-130 Hercules ou en C-160 Transall, afin de leur donner au sol une capacité de déplacement tactique immédiate. Des VAB leur procureraient en plus une capacité de protection. La systématisation d’une double dotation de matériels pour les troupes professionnalisées est d’ailleurs à étudier tout comme la possibilité d’équiper la FAR en Roland sur roues, en lance-mines légers et en LRM (lance-roquette multiple) sur VLRA (Véhicule léger de reconnaissance et d’appui).
Un tel projet peut paraître ambitieux, mais ce serait oublier qu’en matière d’équipement il faut raisonner sur 10 ou 15 ans. Les discussions sur l’importance du parc de chars Leclerc sont en ce sens prématurées, puisque le chiffre de 600 ou 700 ne sera dépassé que dans les premières années du XXIe siècle. Reste que ce projet s’inscrit dans un contexte de déflation des effectifs dont il importe toutefois de ne pas grossir démesurément les effets en ce qui concerne les personnels d’active. Sur 80 000 cadres, 7 000 devront quitter le service en quatre ans. Pour faire image, cela reviendrait, pour une PME de 80 personnes, à débaucher deux employés par an pendant quatre ans. ♦