Défense à travers la presse
Lorsque le gibier est rare, le chasseur est aussi malheureux qu’un touriste sous la pluie, mais que dire du « revuiste » de presse qui cherche et ne trouve rien ? En ce mois de mai, les problèmes de politique intérieure ont éclipsé les questions de défense. Non que le sujet ait subitement disparu de nos préoccupations : ne devrait-il pas d’ailleurs s’y trouver constamment présent ? Mais l’actualité immédiate fait la mode et suscite seule les commentaires.
Les pays européens, et principalement ceux de l’Alliance atlantique, sont pourtant confrontés à une révision de leur stratégie, tant en raison de l’effondrement du bloc communiste qu’à partir des leçons offertes par le conflit du Golfe, leçons qui s’imposent à notre réflexion. Sans doute, après les turbulences, l’esprit souhaite-t-il le calme et le temps qu’exige une saine méditation. Celle-ci fera surgir ses effets un jour prochain. Dans l’immédiat, la glane reste fort réduite.
François d’Alançon dans La Croix du 2 mai 1991, anticipait sur les décisions de l’Otan en fin de mois (1) et situait le problème d’une défense européenne dans un contexte résolument politique :
« Au fil des semaines, la question de la défense s’impose comme le test de la capacité des Douze à exister politiquement, tant il est vrai qu’une politique étrangère commune ne peut se concevoir sans une définition claire de l’identité européenne en matière de sécurité. Chez les experts, on s’inquiète du vide stratégique créé en Europe par le démantèlement du Pacte de Varsovie et l’instabilité de l’URSS. Il ne s’agit pas seulement d’un cas de figure : comment réagiraient les pays européens en cas de conflit sur un problème de contentieux territorial ou ethnique, par exemple entre la Roumanie et la Hongrie ? »
Notre confrère rapporte ensuite les solutions envisagées à Bruxelles, au sein de l’Otan ou de l’Union de l’Europe occidentale (UEO) avant de poursuivre :
« Avec cette nouvelle stratégie, on se heurte à un débat de fond. Pour les États-Unis et la Grande-Bretagne, soutenus par les Pays-Bas et le Portugal, les décisions ayant trait à la défense de l’Europe doivent continuer à être prises au sein de l’Otan. Autrement dit, les Britanniques sont prêts à renforcer l’UEO comme une passerelle entre l’Union politique des Douze et l’Otan, mais subordonnée à cette dernière. Une position différente de celle de la France, suivie par sept autres États membres de la CEE, pour qui le renforcement de l’UEO doit être compris comme l’embryon d’une véritable défense européenne commune que la CEE aurait vocation à intégrer. Comme si la construction d’un nouveau système de sécurité et de relations multiples sur le continent européen passait aussi par une vision décomplexée de la relation transatlantique ».
On ne peut nier que les questions afférentes à une défense européenne commune impliquent une réelle évolution vers l’unité politique si l’on entend assurer une certaine indépendance à cette défense. En ce sens, la question militaire reste un bon témoin de la volonté des Douze. Cela ne saurait toutefois suffire : la sécurité est un problème constant, l’Union politique est une perspective recevable ou non. On ne peut donc sacrifier la première aux espoirs qu’alimente l’union.
C’est du reste pourquoi, à la fin de mai à Bruxelles, les pays membres de l’Otan ont décidé de remanier leur dispositif militaire en Europe. Le nouveau dispositif est sous forte influence britannique, nous assure Jacques Isnard dans Le Monde du 29 mai 1991 :
« L’Otan, conçue pour faire face au danger quasi exclusif du Pacte de Varsovie, cherche à adapter ses structures militaires à l’éventualité, dans les années à venir, d’une variété encore mal définie de menaces… Les plans examinés par les ministres de la Défense visent donc à déployer des forces réduites en effectifs mais plus mobiles, appelées à agir en catastrophe là où le besoin s’en ferait sentir pour endiguer une agression brutale ou inopinée. Ces forces sont aussi assurées de disposer de plus de temps, grâce au recul territorial des Soviétiques auxquels il faut désormais plus de six semaines pour mobiliser leurs quarante divisions. Le nouveau déploiement allié en Europe repose sur l’existence de trois catégories d’unités. Son originalité principale réside en la constitution d’une force de réaction rapide et en la mise sur pied de corps multinationaux. D’ores et déjà, il paraît exclu que les pays membres de l’Otan obtiennent, de cette réorganisation, des économies budgétaires dans l’immédiat ».
Jacques Isnard énumère ensuite la composition des forces qui devront assurer la sécurité de l’Europe avant d’en analyser le mode d’intervention :
« La mission de cet ensemble de forces (c’est le nouveau concept, dit de Joint Precision Interdiction) est de pouvoir aller frapper, bien au-delà des États de l’Europe orientale, dans la profondeur du dispositif adverse dès l’instant où l’Otan détecterait des mouvements de troupes hostiles. Les armées françaises, qui devraient être réduites de moitié en Allemagne avant 1994, sont restées à l’écart du projet de réorganisation du dispositif allié. Au ministère de la Défense, on note néanmoins que cette réforme de l’Otan est plus propice à des convergences avec les thèses françaises que ce n’était le cas par le passé ».
Pour asseoir son affirmation, notre confrère se réfère à la Brigade franco-allemande (BFA) qui, à ses yeux semble-t-il, a inspiré l’idée de corps multinationaux au sein de l’Otan : la preuve est encore loin d’être faite de l’efficacité de telles formations hybrides. Manifestement, l’Otan reste encore au seuil d’une réelle réévaluation de ses possibilités et de ses objectifs. De plus, l’arme nucléaire paraît rester dans l’ombre et ne plus avoir son rôle propre de dissuasion…
30 mai 1991
(1) Voir « faits et dires ».