L’Archipel du Goulag va bientôt paraître en français. Il faut s’en féliciter : on a déjà beaucoup trop parlé de cet ouvrage, à tort et à travers, sans l’avoir lu, sur la foi de citations tronquées ou de renseignements intéressés de seconde main.

La raison de cette exceptionnelle publicité est manifestement politique. Deux attitudes se sont conjuguées dans ce domaine. Les uns n’admettent pas qu’on puisse transiger sur la liberté d’expression. D’autres — souvent les mêmes — considèrent l’URSS et le monde communiste avec une méfiance systématique et saisissent la moindre occasion pour proclamer : « Nous vous l’avions bien dit ! ».

Les uns et les autres trouvent apparemment dans l’Archipel un point d’appui solide pour étayer leurs thèses. Les tenants de l’intégrisme en matière de liberté d’expression s’indignent du silence qu’on a cherché à imposer à l’écrivain dans son pays et découvrent dans le contenu même du livre une frappante illustration des conséquences néfastes, pour ne pas dire abominables, de l’étouffement de la pensée et du dirigisme culturel. Les méfiants, quant à eux, sont confirmés dans leurs soupçons : l’image que Soljenitsyne nous présente du régime soviétique, que ce soit avant, pendant, ou après le règne de Staline, est accablante et ne peut provoquer autre chose que l’écœurement.