Maîtrise des armements et désarmement
Jusqu’à présent, c’est aux ouvrages du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), et en particulier au SIPRI Yearbook qu’il fallait faire appel pour pouvoir se référer aux textes des accords internationaux contemporains relatifs au désarmement. Voici donc un livre de langue française qui comble un vide dans la bibliothèque de tous ceux qui, chez nous, s’intéressent aux problèmes de géopolitique. Ce volume limite cependant son objet aux accords et traités concernant les armes nucléaires, et il s’arrête dans le temps à 1987, année où fut conclu à Washington entre les États-Unis d’Amérique et l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) le traité sur l’élimination de leurs missiles nucléaires à portée intermédiaire et à plus courte portée (FNI). Il en résulte que n’y figure pas le traité signé à Moscou le 31 juillet 1991 sur la réduction des armements stratégiques (START) des deux Grands – on les appelait encore de la sorte alors –, non plus que les accords concernant la réduction des armes conventionnelles (FCE) ou les mesures plus générales de confiance.
Ce livre n’en est pas moins publié de façon très opportune, puisque nous allons avoir à repenser entièrement les problèmes de désarmement et de maîtrise des armements nucléaires, devant la situation radicalement nouvelle qu’ont provoquée en la matière, d’une part l’éclatement de l’Union soviétique et la situation de déshérence qui en résulte pour son considérable arsenal nucléaire, et d’autre part la prolifération dans « le Sud » de missiles à portée intermédiaire pouvant être les vecteurs d’armes de destruction massive. Pour nous préparer à cette réflexion, nul n’était plus qualifié en France que Jean Klein, directeur de recherches au CNRS (Centre national de la recherche scientifique) et attaché à l’Ifri (Institut français des relations internationales), car il s’est tout particulièrement consacré depuis longtemps à l’étude des problèmes de désarmement ; à ce sujet il a publié, outre de nombreux articles dans les revues françaises et étrangères, un livre intitulé Sécurité et désarmement en Europe, qui fut particulièrement remarqué (Travaux et recherches de l’Ifri, 1987). Effectivement, dans le long et très enrichissant avant-propos qui présente l’ouvrage, il nous brosse de façon très complète l’histoire du désarmement depuis 1945, et en dégage avec finesse les motivations et les philosophies, toutes données qu’il est indispensable de bien connaître et de bien comprendre avant d’appréhender l’avenir.
C’est ainsi que Jean Klein, après nous avoir rappelé l’échec du système de sécurité collective imaginé par la Société des Nations (SDN) après la Première Guerre mondiale, et la relance au lendemain de la Seconde Guerre mondiale de l’idée de désarmement par l’Organisation des Nations unies (ONU), nous remet en mémoire « le dialogue de sourds » qui se noua alors sur ce sujet entre l’Ouest et l’Est, jusqu’à la présentation en juin 1954 d’un plan franco-britannique de désarmement général, mais progressif et équilibré, qui visait en particulier l’élimination totale des armes nucléaires. Il nous raconte ensuite comment, lorsque cette perspective trop ambitieuse dut être abandonnée au début des années 1960, les deux Grands s’orientèrent vers des accords de stabilisation de l’équilibre nucléaire et de consolidation du statu quo stratégique, qui « correspondaient aux exigences de (leur) coopération… et ne posaient pas de problème majeur (pour leur) contrôle… assuré par des moyens techniques nationaux ».
L’auteur développe ensuite les différentes étapes de cette nouvelle approche, dite de l’arms control, expression que nous avons traduite assez mal par « maîtrise des armements ». Il nous montre qu’elle fut pour chacun « l’envers de leur stratégie nucléaire », où « ils communiaient dans le refus de la grande guerre », sans « renoncer à la compétition technico-stratégique pour accroître leur marge de liberté ». Il nous rappelle aussi que l’aménagement de l’ordre bipolaire avait pour corollaire le « désarmement des autres », et il commente plus loin de façon particulièrement opportune le « traité de non-prolifération » (TNP), en en soulignant les insuffisances. La recherche de tous ces objectifs fut ainsi tentée par des « accords de portée limitée », ceux dont l’ouvrage met justement à notre disposition les textes intégraux.
Après avoir évoqué la « crise de l’arms control » dans le milieu des années 1970, alors que l’on était entré dans « l’ère des soupçons », Jean Klein évoque les perspectives du désarmement nucléaire qui paraissaient optimistes à certains dans les années 1990, après le traité de Washington de 1987 sur les FNI et le traité START signé à Moscou en 1991. Tel n’était pas cependant son point de vue en ce qui concerne le cadre Est-Ouest au moment où il a signé son avant-propos, et ce ne l’était pas non plus lorsqu’il a donné le bon à tirer de son article de Politique Étrangère (3/91) sur la réglementation des armements dans le cadre Nord-Sud. Il l’est certainement encore beaucoup moins actuellement, après les bouleversements dans la situation internationale qui se sont produits depuis. Toutefois, cela n’enlève rien, bien au contraire, à l’intérêt des commentaires de notre ami et à l’utilité de disposer de la documentation qu’il a réunie dans cet ouvrage, ne serait-ce que pour éviter de réinventer le passé. ♦