Ramsès 2013, gouverner aujourd’hui ?
Ramsès 2013, gouverner aujourd’hui ?
L’Institut français des relations internationales (Ifri) enfonce son clou : en 2012 « Les États submergés ? », en 2013 « Gouverner aujourd’hui ? ». Les points d’interrogation sont de politesse. Si vous voulez dormir tranquille, ne lisez pas. Si vous tenez à savoir comment le monde va finir, allez-y !
En bon valseur, Thierry de Montbrial ouvre le bal. L’Europe est en panne. C’est en y forçant les peuples qu’on l’a construite. On ne progressera vers l’union qu’en agissant de même, recommandation antidémocratique qui, on le verra, colore tout l’ouvrage. Sur notre flanc Sud les quatre « grands », Égypte, Turquie, Iran, Israël, s’observent. Pour l’heure, le feu est en Syrie et Dieu sait quand il s’éteindra : statu quo impossible, solutions toutes mauvaises. Mais cela, inquiétant sans doute, est dérisoire en considération de la numérisation du monde, qui annonce, pour le moins, la fin de la politique. Les « réseaux sociaux » suscitent une société civile mondiale, accumulant un capital d’émotion (bien illustré par le succès médiatique de notre Vieillard Indigne) prêt à exploser à tout instant, à la façon d’un « coup de grisou ». Alternative annoncée : anarchie ou dictature. Anarchie exclue, la dictature reste la solution. Souhaitable par défaut, la dictature est-elle possible ? Pas sûr ! C’est pourtant cela, ou le désespoir. Je doute que Thierry de Montbrial se retrouve dans cette brève analyse. Il me pardonnera d’avoir poussé au bout ses fortes intuitions.
La première partie de l’ouvrage confirme ces perspectives apocalyptiques. Dominique David évoque un monde « zéro-centré » et, devant l’impossibilité de « gouverner aujourd’hui », ose demander : « le monde doit-il être gouverné ? ». Bigre ! Julien Nocetti va plus loin dans l’intelligence destructrice, évoquant les projets d’e-gouvernance et de gouvernance sans gouvernement. Et les États ? Qu’ils se débrouillent, c’est à eux de s’adapter… aux choses. Voici l’autre nom de la fin du monde : chosification de l’humain. Cela dit, le reste n’est que bricolage. Lorsque Élye Tabenbaum parle d’interventions extérieures, est-ce un gag ?
Au chapitre de l’économie, l’Ifri est à son affaire. Trop peut-être, son « expertise » l’amenant à parler avec une autorité qui frise l’impudence. Ainsi Jean-Michel Quatrepoint parle-t-il « d’États qui commencent à peine à comprendre que… ». Sur l’Europe, l’optimisme n’est pas de mise. Retour à la démocratie et à la pente vertigineuse où la mode la pousse. L’Europe s’est faite contre les peuples, ce n’est qu’ainsi qu’elle progressera. Scandale pour nos républicains, certes, mais ceux-ci retardent. La populace est plus populacière que jamais elle ne fut. Informée à gogo, c’est sûr, inculte plus encore, d’où résulte son arrogance. Sur le monde arabe, Ramsès est, sous la direction de Mansouria Mokhefi, d’une prudente objectivité. Il est trop tôt pour juger du Printemps arabe, lequel nous a fait découvrir brutalement que les dirigeants qui tenaient ce monde en ordre étaient d’affreux dictateurs. De la Syrie, Margaux Thuriot brosse un tableau véridique, à l’écart des simplifications vertueuses : l’appareil d’État tient bon, l’opposition n’a pas de « réalité » et les minorités, inquiètes, attendent. On appréciera, encore, l’excellent article de Mansouria Mokhefi sur le Qatar, État-monstre, mais monstre fort subtil. En Afrique, on attend Alain Antil sur le drame malien. Son analyse est excellente. Tobias Koepf ne craint pas d’aborder le sujet qui fâche, nos interventions militaires : nos dirigeants successifs, l’un après l’autre, enterrent la Françafrique. C’était le bon temps, non ? De l’Asie, traitée sous l’autorité de Françoise Nicolas, on retiendra que Chine et Inde traversent « une phase de doute ». Le doute est à la mesure de l’enthousiasme précédent. Le Pakistan continue de tenir sa place de poudrière, islamiste et nucléaire. Seul le Myanmar (vous connaissez ?) est un lieu d’optimisme. Hélas ! Avec l’Amérique et Philippe Moreau Defarges, retour au pessimisme : le déclin des États-Unis est assuré. Ce n’est pas une bonne nouvelle. Enfin, le texte d’Anne-Lorraine Bujon de L’Estang tombe à pic : traitant des mormons, « minorité modèle », elle nous montre que la candidature de Mitt Romney est moins exotique qu’on ne la croyait.
Nous avons suffisamment loué la lucidité des auteurs de ce Ramses et l’excellence de leur titre pour nous permettre une méchanceté finale ; mais est-ce si méchant ? Que gouverner soit devenu impossible, c’est le fait du numérique. C’est aussi la conséquence d’une intelligence exercée à tout va et qui dévoile les événements avant même qu’ils n’adviennent. De cette intelligence, l’Ifri déborde, accélérant, à sa petite manière, la course à l’abîme. Sans doute la fin du monde est-elle une perspective qui ne saurait affoler un chrétien. Où se cache-t-il, celui-là ?