Marine - Frégates
Alors que les deux premières frégates de surveillance. Floréal et Prairial, viennent d’être affectées outre-mer, la tête de série des La Fayette a été mise à flot le 13 juin 1992, à Lorient. Avec ces nouveaux bâtiments, qui prennent la relève d’avisos-escorteurs anciens et fatigués, la France conserve sa capacité de présence et de vigilance dans ses zones d’intérêt les plus lointaines. Ces deux programmes, sans pour autant l’enrayer, ralentissent la décroissance de la flotte de surface.
L’ossature de la Marine
Le rôle de premier plan confié aux Sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE), véhicules de notre dissuasion stratégique, ou aux porte-avions, régulièrement engagés dans des opérations depuis une quinzaine d’années, ne doit pas effacer celui, tout aussi nécessaire, des bâtiments de surface. Dans nos approches comme sur les mers du globe, ils assurent les missions les plus diverses : sûreté de la Force océanique stratégique (Fost), présence, vigilance, éclairage, protection de force navale et du trafic maritime, soutien logistique, transport de troupes, lutte contre les mines, sauvetage et assistance…
Au nombre de ces bâtiments, le navire de combat par excellence est la frégate. Elle se caractérise par son endurance, par la qualité de ses équipements et par la puissance de ses armes. Si toutes les frégates ont en commun une bonne aptitude à la lutte anti-navires – que leur confèrent les missiles mer-mer –, elles ne sont pas entièrement polyvalentes.
Les frégates de premier rang
Parmi les frégates de fort tonnage, certaines sont spécialisées dans la lutte anti-sous-marine (ASM) et, pour ce faire, dotées de sonars remorqués, d’hélicoptères et de missiles porte-torpilles. Ce sont pour l’essentiel les trois type Tourville de 5 000 tonnes et les sept type Georges Leygues un peu plus légères dont la dernière, le Latouche-Tréville, admise au service actif en 1990, possède les systèmes de lutte anti-sous-marine les plus récents.
D’autres, à vocation antiaérienne, sont équipées de radars puissants et de missiles mer-air qui assurent la défense de zone. Il s’agit aujourd’hui des deux frégates du type Suffren armées du missile Masurca et de deux nouvelles unités, le Cassard et le Jean Bart, munies du Tartar et d’un système de combat des plus performants, qui sont entrées en service respectivement en 1988 et 1991.
Toutes peuvent emporter des hélicoptères, qui prolongent notablement leurs facultés sensorielles et leurs capacités d’action.
Les frégates de deuxième rang
Complétant les forces de haute mer et composées d’unités plus légères, les forces dites « de présence » assurent, dans les approches métropolitaines et autour de nos départements et territoires d’outre-mer, les tâches ayant trait plus particulièrement au respect de notre souveraineté. Elles participent aussi à la défense de nos intérêts où qu’ils soient.
Les avisos-escorteurs, dont la silhouette était familière dans tous les ports du globe, ont vieilli ; après trente années d’activité, les tout derniers seront prochainement désarmés ; ils sont progressivement remplacés à la fois par les La Fayette et par les Floréal.
Pour remplir aujourd’hui les missions de présence, de souveraineté et de service public loin de la métropole, la Marine a besoin de bâtiments de 2e rang qui puissent opérer dans des zones à risque limité – c’est le cas des approches de nos possessions outre-mer qu’il faut surveiller en permanence –, mais aussi dans des zones instables où des crises de niveau élevé peuvent surgir brusquement : là, il faut être vigilant et pouvoir, s’il en est besoin, monter rapidement en puissance.
Deux programmes complémentaires
Correspondant aux premiers critères, les frégates de surveillance, dont la livraison s’échelonne de 1991 à 1994, sont des bâtiments peu armés et endurants. Ils emportent un hélicoptère, qui accroît avantageusement leurs possibilités de surveillance, dans des espaces maritimes aussi vastes que les Zones économiques exclusives (ZEE), et de liaison avec des îles peu accessibles depuis la mer. Construits aux normes des chantiers civils, ces bâtiments ne sont pas conçus pour encaisser des coups et leurs capacités de combat réduites ne les autorisent pas à prendre place au sein d’une force navale.
Les frégates du type La Fayette, pour leur part, sont destinées à agir dans les zones de crise. Véritables bâtiments de combat en dépit de leurs dimensions modestes, elles ont les caractéristiques nécessaires pour opérer sous menace : le flotteur a été étudié pour faire face aux avaries de combat, et les systèmes d’armes et de transmissions permettront à ces navires de renforcer les capacités de lutte anti-navires d’une force navale nationale ou internationale. Six bâtiments sont prévus ; les trois premiers sont construits par l’arsenal de Lorient, les trois suivants doivent être commandés cette année.
En décidant de réaliser ces deux programmes complémentaires, la France a choisi le parti de la stricte suffisance : disposer, au moindre coût, du nombre de bateaux indispensable pour être efficacement présente dans les zones d’intérêt national.
De nécessaires compromis
Les changements géostratégiques survenus depuis trois ans ont créé dans les opinions occidentales une impatience à toucher les « dividendes de la paix ». Partout en Europe, l’effort budgétaire consacré à la défense se relâche. Cependant, dans un monde où la menace sera de plus en plus diffuse, notre marine aura toujours besoin d’une bonne capacité d’alerte et de vigilance, mais aussi d’une grande capacité d’action. Pour réaliser cet équilibre, il faut faire des choix qui résultent de compromis.
Le premier compromis, qui concerne la nature des moyens, est à rechercher entre le nombre de bâtiments et leur valeur militaire propre. Comme ils n’ont pas le don d’ubiquité, il faut opter entre des navires très performants mais en nombre limité, et des navires plus rustiques mais plus nombreux.
C’est bien à cet objectif que répond la construction des frégates de surveillance : d’une part, elles ne seront pas exposées aux affrontements brefs et brutaux qui peuvent se produire en zone de crise, d’autre part, elles seront en nombre suffisant pour couvrir les ZEE de nos départements et territoires d’outre-mer (DOM-TOM).
Un deuxième compromis doit être trouvé entre polyvalence et spécialisation. Ce que l’on gagne en souplesse avec un bâtiment polyvalent, on le perd en rendement de chacun de ses composants, car il est rare que les unités aient à utiliser simultanément et au même endroit des capacités très différentes. C’est pourquoi les frégates du type La Fayette n’auront qu’une capacité ASM réduite, car cette menace n’a pas été jugée prioritaire dans leurs zones de déploiement. À l’inverse, de bonnes capacités dans tous les domaines sont exigées de bâtiments majeurs, comme les frégates antiaériennes qui, peu nombreuses, auront à agir dans des environnements tactiques variés.
Un troisième compromis doit se faire entre la dispersion géographique des forces pour couvrir de plus vastes zones et leur regroupement pour être localement plus puissant. C’est un problème qui s’est posé de tout temps au chef militaire ; il est aigu pour la Marine, parce que nos intérêts sont dispersés à travers le monde, et parce que notre zone d’intérêt prioritaire s’étend.
Ces exemples illustrent bien la difficulté de l’action maritime, qui met en jeu deux logiques peu conciliables : d’une part, la présence et la maîtrise des espaces maritimes fondées sur la permanence et sur la dispersion des moyens ; d’autre part, la capacité de montée en puissance et l’action fondées sur la disponibilité et sur la concentration des moyens.
Conclusion
Alors que le remplacement des frégates de premier rang, à vocations ASM et antiaérienne, interviendra durant le premier quart du prochain siècle, l’arrivée des frégates de second rang, types Floréal et La Fayette, renouvelle une part des forces de surface.
Il devenait urgent de mettre en service les frégates de surveillance, dont certaines missions sont actuellement confiées à des avisos prélevés sur les flottilles de métropole. Quant aux La Fayette, elles seront les seuls bâtiments de combat, en dehors du porte-avions Charles-de-Gaulle, à entrer en service dans la décennie qui s’ouvre. ♦