Défense en France - Réorganisation ministérielle
Deux organismes ont été créés par décrets du 16 juin 1992 : la Direction du renseignement militaire (DRM), et la Délégation aux affaires stratégiques (DAS). Cette dernière en fait n’est pas nouvelle, puisqu’elle remplace la Délégation aux études générales (DEG), créée en 1987 par M. Giraud pour coiffer le groupe de planification et d’études stratégiques (Groupes) de M. Hernu, qui lui-même remplaçait le centre de prospective et d’évaluation (CPE) de M. Messmer. Ces modifications sémantiques ne semblent pas avoir transformé la mission des organismes dissous, qui étaient chargés d’étudier les problèmes de stratégie, d’apprécier les options possibles à long terme, de participer à la programmation des armements. Les textes des décrets successifs reprennent sensiblement les mêmes expressions. La seule innovation de la DAS consiste en sa fonction de conseiller du ministre pour les négociations internationales et la coopération.
On notera que toutes ces attributions sont également confiées à la présidence de la République, au ministère des Affaires étrangères qui dispose d’un Centre d’analyse et de prévision (CAP), et au Secrétariat général de la défense nationale (SGDN), qui dépend du Premier ministre et dispose d’une direction de l’évaluation et de la documentation stratégiques. À son niveau, le Chef d’état-major des armées (Céma) élabore les plans d’emploi et les programmes de planification, met en œuvre la coopération militaire et suit les négociations internationales. Il doit donc s’établir entre ces différents échelons de responsabilité une concertation qui permette de définir qui fait quoi, et de coopérer dans l’intérêt supérieur de l’État. Le nouveau délégué, M. Jean-Claude Mallet, conseiller d’État, était chargé des affaires internationales au cabinet de M. Joxe ; il connaît donc bien les responsabilités respectives de chacun et leur imbrication dans les rouages de l’administration publique.
La Direction du renseignement militaire, en revanche, est une création nouvelle. Son directeur, le général Jean Heinrich, « assiste et conseille le ministre chargé des Armées (1) en matière de renseignement militaire ». « La DRM relève du [Céma] dont elle satisfait les besoins en renseignement d’intérêt militaire ». Sa mission couvre tous les domaines du renseignement : orientation et animation de la recherche humaine et technique, exploitation et synthèse du renseignement militaire, programmation des moyens de recherche et de traitement, formation et gestion des personnels spécialisés. À cet effet, elle disposera de 450 personnes, réparties entre cinq sous-directions : recherche, exploitation, technique, prolifération-armement, administration-ressources humaines. Le directeur et les deux premières sous-directions resteront boulevard Saint-Germain, en partie dans le futur Centre d’opérations interarmées (COIA) en construction. Les autres sous-directions seront implantées à Creil, en même temps que d’autres organismes à vocation « renseignement » rattachés à la DRM, comme le Centre d’information sur le renseignement électromagnétique (Cirem), le Centre principal Hélios-France (CPHF), et plus tard le Centre de formation et d’interprétation interarmées d’imagerie (CF3I).
Les bureaux « renseignement » des trois armées ont été regroupés, avec le Cerm, au sein de la DRM, et les chefs d’état-major disposent d’officiers de liaison chargés de recueillir à la DRM les informations nécessaires à l’exercice de leurs responsabilités, ce qui implique des moyens de transmission informatisés. À l’inverse, un officier de liaison de la Direction de la protection et de la sécurité de la Défense (DPSD), un de la Gendarmerie, un ingénieur général et quelques dizaines de personnels de la Délégation générale pour l’armement (DGA) seront affectés à la DRM.
Les problèmes de coordination à résoudre ne seront pas moindres que ceux évoqués pour la DAS. D’une part le SGDN est chargé « d’animer la recherche du renseignement dans les domaines intéressant la défense et d’en assurer l’exploitation ». D’autre part, la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) « a pour mission… de rechercher et d’exploiter les renseignements intéressant la sécurité de la France » (2) ; elle joue en outre un rôle pilote dans la recherche électromagnétique et exécute dans ce domaine des missions d’intérêt militaire. Le décret de création ne précise pas comment la DRM orientera les recherches conduites par la DGSE à son profit. Quant à la répartition concurrente des fonctions de recherche et d’exploitation, il semble qu’elle soit liée à la réalité des tâches ministérielles, qui ne correspond plus à la dyarchie instituée par l’Ordonnance de 1959. Il existe, il est vrai, des comités de concertation : Comité interministériel du renseignement (CIR), Comité du renseignement militaire, Comité permanent du renseignement (3). Il est probable que des liaisons permanentes sont prévues, qui évitent de remonter chaque fois à ces comités.
Une procédure de coordination est en cours d’élaboration pour le suivi de carrière des personnels spécialisés, qui sont actuellement gérés par au moins cinq directions différentes.
La planification des matériels de recherche et de traitement exigera enfin une coopération étroite avec les états-majors et les directions de la DGA. Il importe en particulier de faire comprendre aux partisans du « tout spatial » que leur technique n’en est qu’une parmi d’autres, et que l’efficacité du renseignement dépend de la complémentarité des moyens, les uns perfectionnés, les autres rustiques. Le mieux n’est pas toujours sûr, et les abandons ou étalements de certains programmes (Berry, Sarigue, Brevel, Orchidée (4)) ne sont pas toujours judicieux.
La difficulté de la tâche est à la hauteur de l’ambition affichée : obtenir que le renseignement militaire, en temps de paix, de crise ou de guerre, précède la décision. ♦
(1) On notera que les décrets, conformément à l’Ordonnance de 1959, n’utilisent pas le terme de ministre de la Défense.
(2) Ne disposant pas de toutes les sources d’information, la DGSE n’a pas la possibilité d’établir les synthèses exhaustives. Elle est chargée cependant de « fournir les synthèses de renseignement dont elle dispose ».
(3) Voir dans Stratégique du 1er trimestre 1992 : « Le renseignement militaire après la guerre du Golfe ».
(4) NDLR 2023 : Bâtiment d’expérimentation Berry équipé de moyens matériels pour l’interception et la goniométrie des transmissions radioélectriques et électroniques. Avion DC-8 Sarigue (Système aéroporté de recueil des informations de guerre électronique). Drone franco-allemand Brevel (abréviation de Brême-Vélizy). Hélicoptère Puma Orchidée (Observatoire radar cohérent héliporté d’investigation)