À propos de l'assassinat de Mohamed Boudiaf.
Afrique - Algérie : les raisons d'un assassinat
Le 6 octobre 1981, le président Anouar el Sadate est assassiné par un lieutenant de son armée proche d’une organisation activiste islamique ; le 31 octobre 1984, Mme Indira Gandhi est à son tour abattue par deux sikhs de sa garde personnelle. Ces deux précédents, où l’extrémisme religieux a armé le bras des assassins, ont immédiatement incité les observateurs à mettre en cause le Front islamique du salut (FIS) dans les événements du 29 juin 1992 à Annaba. Son implication semblait ne faire de doute, d’autant que le Front avait aussitôt diffusé un communiqué annonçant « la bonne nouvelle au peuple algérien et affirmant sa certitude de voir se concrétiser l’instauration d’un État islamique ». Dès le lendemain, cependant, les responsables du FIS démentaient leur participation à l’attentat qui venait de coûter la vie au président Boudiaf. Cela fut considéré comme une manœuvre destinée à écarter les mesures de représailles.
Le FIS avait tout lieu d’être hostile au chef de l’État dont l’arrivée au pouvoir, après l’éviction du colonel Chadli, l’avait dépossédé d’une victoire électorale certaine, mais sans doute inacceptable puisqu’elle allait conduire à remettre en question les institutions mêmes du pays, ce qui n’était pas l’objet de la consultation. Frustré mais nullement désarmé, le Front perpétrait régulièrement des attentats contre les forces de l’ordre : pourquoi ne saisirait-il pas l’occasion d’éliminer le chef de l’État lui-même ? Or, l’assassin présumé, le lieutenant Boumaarafi, était connu pour ses sentiments pro-islamistes et on rapporte qu’il avait déjà eu l’intention de s’en prendre au colonel Chadli Bendjedid après l’arrestation des dirigeants islamistes. Ces éléments paraissent suffisamment concordants pour qu’on ne puisse nier la responsabilité du FIS. Et pourtant !
La commission d’enquête, dans ses conclusions rendues publiques le 25 juillet, n’étaye aucunement cette thèse. Elle reconnaît que l’assassinat du président Boudiaf n’est pas l’œuvre d’un tueur ayant agi seul par fanatisme religieux, mais résulte d’un complot. Elle insiste surtout sur les négligences des services de sécurité : le lieutenant Boumaarafi n’a-t-il pas été intégré à la dernière minute dans l’équipe de protection rapprochée malgré l’opposition de son supérieur hiérarchique ? Toutefois, si la commission écarte l’idée de l’acte isolé et met gravement en cause les responsables de la sécurité présidentielle, elle n’éclaire en rien sa version du complot. Devrait-on en conclure qu’il aurait été fomenté par le FIS ? Elle souligne en effet que l’officier inculpé « épouse les revendications des mouvements islamiques pour instaurer un État islamique afin de se débarrasser de l’injustice et des despotes. L’origine de l’injustice, à son avis, est incarnée par le sommet de l’État ; c’est pour cela qu’il considère ne pas avoir tué Mohamed Boudiaf en tant que personne, mais en sa qualité de chef d’État ». Si son geste peut s’expliquer par de telles considérations, elles ne démêlent en rien la trame du complot : ce n’est tout de même pas ce lieutenant qui a agencé la carence du service de protection, il n’en avait aucunement l’autorité.
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