Défense en France - Le Collège interarmées de défense (CID)
Créé sur proposition du Chef d’état-major des armées (Céma) par décision ministérielle du 24 octobre 1991, le Collège interarmées de défense (CID) ouvre ses portes le 1er septembre 1993 à l’École militaire, sous la direction du vice-amiral Marc Merlo. Il regroupera pendant un an, au sein d’une même promotion, en vue d’un enseignement à dominante interarmées, les futurs brevetés de l’Enseignement militaire supérieur du 2e degré des armées, soit 280 à 300 stagiaires, dont 110 étrangers (voir chronique de juillet 1992).
Cadre général
Le Collège se substitue aux Écoles supérieures de guerre terre, marine, air et interarmées, à l’École supérieure de la gendarmerie nationale et au Cours supérieur interarmées, qui cessent d’exister. Il relève du Céma, et son directeur est subordonné au directeur de l’Enseignement militaire supérieur, qui est également directeur de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), et qui préside le Conseil d’orientation de cet enseignement (COEMS).
Les chefs d’état-major de chaque armée et le directeur de la Gendarmerie conservent la responsabilité de la sélection et de la formation préalable de leurs officiers, en se conformant aux mesures d’harmonisation proposées par le COEMS. Le directeur du CID est secondé par un officier général directeur des études, qui dispose de 5 adjoints, un par armée, un pour la gendarmerie, et un adjoint « international ».
La scolarité est de 10 mois pleins : 7 mois d’interarmées et 3 mois d’enseignement spécifique d’armée, qui sont répartis dans l’année (3 fois un mois). Le corps professoral est unique et diversifié. Il comprend un encadrement militaire permanent et des intervenants militaires et civils de haut niveau.
L’implantation géographique du Collège a été fixée dans les bâtiments entourant la cour Berthier (cour des tennis), et dans le bâtiment de l’amphithéâtre des Vallieres. Son fonctionnement définitif impose l’aménagement de locaux, dont un amphithéâtre de 600 places, planifié dans le schéma directeur de l’École militaire.
Les stagiaires
Âgés de 35 à 40 ans, les 170 stagiaires français proviennent de l’Armée de terre (50 %), de l’Armée de l’air et de la Marine (20 % chacune), de la Gendarmerie (10 stagiaires), de la DGA et des Essences (4 ingénieurs) et du Service de santé (2 à 3 médecins).
La première promotion attend 34 stagiaires venant de pays de l’Otan, 18 du reste de l’Europe dont 12 des pays de l’Est, 35 d’Afrique noire, 16 des pays arabes et 23 d’autres pays (Asie, Amérique latine). Les stagiaires français entrent en septembre, le mois de juillet final étant consacré à une phase d’enseignement national (nucléaire, renseignement). Les stagiaires étrangers entrent en juillet, mois consacré à un stage pré-CID.
La promotion est organisée en 4 divisions : la division A internationale comprend 90 stagiaires dont une dizaine de Français ; les divisions B, C, et D, une soixantaine de stagiaires dont une dizaine d’étrangers. Les divisions sont articulées en groupes spécifiques d’armée pour la division A, interarmées pour les autres divisions. Un voyage d’études est organisé aux Antilles ou à La Réunion pour la division A, en Europe ou au Maghreb pour les autres divisions.
L’enseignement
« Le CID vise à développer l’esprit et la compétence interarmées des officiers en mettant en commun et en valorisant le professionnalisme de chacun d’entre eux, à promouvoir l’ouverture et la vision prospective sur le monde, la réflexion stratégique et tactique, la recherche de l’interopérabilité dans tous les domaines aussi bien interarmées qu’interallié, la prise en compte des perspectives de défense européenne. Le CID prépare des officiers supérieurs à assumer de hautes responsabilités au sein de leur armée d’appartenance, et dans les états-majors et organismes interarmées ou interalliés » (cf. Sirpa actualités du 12 mars 1993).
L’enseignement spécifique d’armée a pour but de parfaire les connaissances des officiers sur leur armée d’appartenance et sur les principales armées étrangères, avec lesquelles des échanges sont organisés. Il comprend un cycle de sécurité intérieure.
L’enseignement interarmées est dispensé dans trois grands domaines : opérations, management et techniques d’action (MTA), enseignement général, complétés par des études à option.
Fondé sur la connaissance des autres armées, l’enseignement opérationnel (50 % du temps) a pour finalité de préparer des officiers d’état-major à la planification et à la conduite d’opérations diversifiées : opérations majeures, actions de prévention, actions humanitaires. Des cas concrets seront appliqués aux théâtres de l’Europe, de la Méditerranée, du Proche-Orient et de l’Afrique noire. Trois exercices interarmées seront orientés principalement sur la projection des forces.
L’enseignement MTA (20 % du temps) vise à compléter la maîtrise des techniques bureautiques, qui devraient être acquises avant l’entrée au CID. Il développera des méthodes communes d’analyse et de synthèse, et une ouverture sur le management en milieu civil. Le professeur Barral sera chargé d’un cycle sur la stratégie des médias.
L’enseignement général a pour finalité de compléter les connaissances des stagiaires en géostratégie et en géopolitique. Il sera confié au professeur Alexandre Adler pour la stratégie et les relations internationales, au professeur Raoul Girardet pour les relations entre la société et la défense, à Yves Boyer pour l’innovation technologique. La pratique de la langue anglaise sera poursuivie. « La pédagogie sera aussi moderne et participative que possible. Elle devra responsabiliser les officiers, travaux personnels et collectifs se valorisant mutuellement » (cf. Sirpa actualités du 12 mars 1993). Il s’agira de les habituer à penser « interarmées » et à être ouverts au changement et à la prospective.
Moyens d’enseignement et schéma directeur
Le CID devra disposer de moyens modernes et de qualité. L’amphithéâtre de 600 places doit être construit derrière le mess des sous-officiers. En attendant sa livraison en 1995, les amphithéâtres des Vallières (220 places) et de Bourcet (100 places) seront reliés par déport audiovisuel. Pour le logement des stagiaires étrangers, un hôtel est en cours d’acquisition au Kremlin-Bicêtre.
Dès la rentrée de 1993, les moyens informatiques comprendront un réseau unique pour les professeurs et les stagiaires des 4 divisions, une salle informatique par division et des micro-ordinateurs pour chaque stagiaire. Un atelier d’impression et des moyens de reproduction répondront aux besoins des professeurs et des stagiaires.
À plus long terme, le Collège devra disposer : d’un atelier de télévision permettant l’autoscopie des stagiaires ; d’un atelier de réalisation de supports audiovisuels ; d’un laboratoire de langues de 40 cabines, de salles spécialisées (télévisions étrangères, enseignement assisté) et de capacités de traduction écrite et orale ; d’un centre de simulation tactique interarmées (dans le style du Janus qui rend de remarquables services à l’ESG) ; d’un centre de documentation qui pourrait devenir le centre de documentation des armées, ouvert aux chercheurs. Ces moyens devraient être inscrits au schéma directeur de l’École militaire, qui a été présenté le 5 mars à la presse. Ce schéma est une œuvre collective à laquelle sont associés le ministère de la Culture et la mairie du 7e arrondissement. Ce projet ambitieux et coûteux est programmé en deux phases : 500 millions de francs de 1994 à 2003, 700 M après 2003.
Mettant en valeur les bâtiments classés dus à l’architecte Gabriel, le schéma est organisé autour de trois pôles : soutien et accueil dans la partie Est, du côté de l’avenue Duquesne (suppression du manège et des garages, restauration autour de la cour du mess des officiers, logement pour 240 MDR et cadres, garages souterrains) ; enseignement dans la partie ouest (centres de documentation et de simulation tactique sous la cour Morland) ; sport du côté de l’avenue Lowendal (centre équestre avec nouveau manège, gymnase et piscine en sous-sol). Une circulation souterraine des usagers est prévue d’Est en Ouest. En fin de semaine, l’axe Champ de Mars-Cour Morland serait ouvert au public.
Formation amont
Le CID s’inscrit dans le cursus de formation des officiers. Après l’école de formation initiale, des formules différentes ont été adoptées pour amener au CID de « bons professionnels » de chaque armée.
L’Armée de l’air organise un cours des capitaines par correspondance, d’une durée de 5 ans. Pour la Marine, le cours de spécialité est remplacé par un stage d’un an à l’École des systèmes d’armes navals (Escan), dont l’enseignement est partagé entre le technique et l’opérationnel. Pour ces deux armées, l’entrée au CID est précédée d’un stage d’information de huit jours.
L’Armée de terre réserve actuellement l’École d’état-major (EEM) aux officiers non-candidats au CID. Elle organise pour les officiers reçus au concours d’entrée une année de stage au Cours supérieur d’état-major (CSEM). Celui-ci a commencé à l’École militaire le 1er septembre dernier pour la première promotion du CID. Ultérieurement, il est envisagé que tous les capitaines suivent le stage de l’EEM ; les candidats au CID passeraient ensuite 7 mois au CSEM.
Une préparation d’un an avant le CID facilite la gestion des personnels. Son but est en fait de mettre les stagiaires terre, qui n’ont commandé qu’une unité élémentaire, au niveau des marins qui ont eu un commandement à la mer, et des aviateurs qui ont commandé une escadre. La complexité de l’engagement des forces terrestres dans un milieu non homogène impose que les stagiaires arrivent au CID en maîtrisant les problèmes de commandement d’un groupement de forces, la coordination des armes au niveau de la Far et du corps d’armée, et la procédure interalliée (les ordres et comptes rendus sont rédigés en Landrep). L’année préparatoire permet enfin de compléter les formations linguistiques (164 heures d’anglais) et informatiques, qui dans le futur devront être acquises lors de la formation initiale à Coëtquidan.
La Gendarmerie a estimé nécessaire un stage de préparation de 4 mois, en vue d’amener au CID de bons spécialistes de leur arme, aptes aux opérations d’envergure, connaissant les autres services de police, maîtrisant l’anglais et la bureautique. Elle conserve en amont le stage des commandants de compagnie d’une durée d’un mois, et le diplôme d’état-major de gendarmerie d’une durée de 5 mois.
Pour ne pas conclure
Quelques anciens des écoles de guerre s’interrogent sur la nécessité du changement. Attachés aux institutions prestigieuses du passé, ils ont le souvenir d’écoles qui formaient l’élite de nos chefs militaires avec les méthodes pédagogiques les plus modernes, et d’un CSI qui dispensait en 5 mois une formation interarmées de bon niveau. Ils se demandent si le coût des travaux envisagés (la valeur de 40 chars Leclerc), et le lourd fonctionnement du CID ne sont pas excessifs, eu égard aux coupes budgétaires opérées sur la défense. Ils s’interrogent sur la non-cohérence des enseignements en amont, sur l’utilité de former autant d’officiers supérieurs au moment où nos effectifs s’amenuisent, et d’accueillir autant d’étrangers, risquant de réduire la cohésion d’une promotion. Le changement de dénomination les inquiète, alors que nos soldats sont engagés dans de vraies situations de guerre, et dans des missions aussi confuses que l’est notre politique étrangère (voir l’article de Maurice Torrelli dans le numéro de mars 1993). Défendre quoi ?
Les promoteurs du Collège, passionnés par la réforme qu’ils sont chargés de conduire, et c’est humain, répondent que la nouvelle formule favorise une meilleure intégration (interarmées, interopérable, interalliée, internationale) entre les officiers, et les met en communication permanente. Ils rappellent que la coordination interarmées a été déplorable dans la guerre du Golfe et qu’il faut tirer la leçon des actions militaires les plus récentes, aussi confuses qu’elles paraissent. Ils soulignent que les armées françaises ont atteint des tailles sous-critiques et qu’elles ne sont plus capables d’opérations autonomes d’envergure. Dans cette perspective, le CID peut servir de modèle et de précurseur à une Académie européenne de défense, qui devrait voir le jour à moyen terme. Le directeur du CID reconnaît enfin que le Collège reste une École de guerre, et ne renie pas les acquis du passé quand il écrit : « Comme hier dans les écoles de guerre, le CID devra continuer à former et à distinguer nos meilleurs chefs de guerre, aptes non seulement à apprécier, décider, convaincre et agir, mais aussi et encore plus qu’hier aptes à s’adapter aux changements et aux évolutions qui ne manqueront pas de transformer les conditions de leur action au fil de leur carrière ». ♦