Allocution du Cemat à l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) le 30 avril 1974.
Entretien avec le Chef d'état-major de l'Armée de terre (Cemat)
Dans l’impossibilité de répondre à chacune des 44 questions qui m’ont été posées, j’ai adopté la solution que me proposait l’Institut et qui consistait à les regrouper par catégories pour y apporter des réponses d’ensemble.
Nous n’allons pas voler très haut aujourd’hui puisque nous allons examiner les problèmes de la vie courante de l’Armée de Terre. Mais vous avez raison de vous y intéresser car en fait ils posent des questions importantes. Nous ne ferons pas de la haute stratégie d’emploi des forces, je vais devant vous faire mon métier de chef d’état-major de l’Armée de Terre comme je le ferais lors d’un grand rapport avec mes subordonnés.
Comment concevez-vous l’emploi combiné des forces du territoire et des forces de manœuvre disposant à présent de l’arme nucléaire tactique et, peut-être dans le futur, subkilotonnique ? Cette manœuvre globale est-elle susceptible d’entraîner une redistribution des effectifs entre les deux types de forces, une réorganisation et une fusion de certains services dans un but d’économie, de simplification et d’efficacité ?
Avant de parler d’emploi combiné des forces, de redistribution des effectifs et de fusion de certains services, permettez-moi de vous rappeler brièvement ce qu’est l’Armée de Terre : 20.000 officiers, 55.000 sous-officiers, 22.500 gradés, 8.000 engagés non gradés, au total près de 105.500 pour l’active. Il faut y ajouter 3.000 aspirants, 4.500 sous-officiers et 213.000 hommes du rang, soit 220.500 provenant du contingent. En bref 320.000 hommes dont 1/3 d’active et 2/3 du contingent.
Comment se répartissent ces personnels entre les diverses catégories de forces ? 150.000 hommes sont dans les forces de manœuvre, 52.000 hommes dans la DOT, 9 à 12.000 dans la force terrestre d’intervention et le reste, la différence, essentiellement dans les écoles, les unités de soutien et d’infrastructure.
Examinons un peu plus en détail ces forces. Pour répondre à l’emploi combiné évoqué par l’une de vos questions, il faut à la France, dans le cadre du concept de dissuasion, un corps de bataille aéroterrestre comprenant les forces de manœuvre de l’Armée de Terre et la F.A.T.A.C, puis des forces de défense du territoire et enfin une force d’intervention.
Il me semble nécessaire de dire un mot de l’organisation avant d’examiner les possibilités de faire passer les effectifs d’une catégorie dans une autre. Dans l’objectif du Plan de 15 ans ces forces de manœuvre comprennent une armée, deux corps d’armée, cinq divisions, quinze brigades mécanisées modernisées. Or, actuellement, nous n’avons pas quinze brigades mécanisées homogènes mais dix brigades mécanisées et cinq brigades motorisées. À la fin du Plan nous aurons les quinze brigades mécanisées modernisées.
Qu’est-ce qu’une brigade ? C’est un régiment de chars sur AMX 30 à quatre escadrons de chars et un escadron porté et deux régiments mécanisés avec deux escadrons de chars et deux compagnies d’infanterie mécanisée. Outre ces éléments, la brigade comprend une compagnie d’éclairage de brigade, un régiment d’artillerie de 155 automouvant (appelé à être remplacé par du 155 automoteur à grande cadence de tir sur châssis de char AMX 30 plus une batterie de lance-roquettes multiples qui est actuellement à l’étude).
Il y a dans une division trois brigades et des éléments organiques divisionnaires.
Qu’est-il prévu de plus à l’échelon des corps d’armée ? Deux régiments d’acquisition d’objectifs (ROA), deux régiments NBC, six régiments Pluton, huit régiments Roland (le Roland est le futur engin sol-air), deux régiments de guerre électronique, six régiments de cavalerie légère blindée, quatre régiments d’infanterie de corps d’armée sur VAB (véhicule de l’avant blindé), deux groupements d’aviation légère de l’armée de terre de corps d’armée.
Pour les forces du territoire, nous envisageons à la fin du Plan vingt-sept régiments d’infanterie, sept régiments de cavalerie légère blindée (un par Région) et trois brigades de forces terrestres de DOT (les 17e et 27e brigades alpines et la 9e brigade de Bretagne qui est à la fois une force d’intervention et une force de DOT). Enfin, la force d’intervention est essentiellement constituée par la 11e division parachutiste et le groupement de légion étrangère. À cet ensemble des forces d’active s’ajoutent des forces de réserve, qui sont très importantes.
À la mobilisation, treize régiments d’infanterie du territoire doublent leurs effectifs, tandis que nous organisons quatorze régiments d’infanterie des forces du territoire supplémentaires à partir des écoles ou des centres d’instruction. Ce sont là de très bonnes unités, de même que les régiments de cavalerie légère blindée provenant de dédoublements des régiments d’active et des régiments d’écoles : enfin soixante-dix-sept régiments d’infanterie divisionnaire constituent l’ensemble de l’ossature des forces du territoire mobilisées, susceptibles d’assurer la couverture générale du territoire et la protection des points sensibles prioritaires aux ordres des commandants de région et des commandants de divisions militaires, voire des délégués militaires départementaux.
Telle est l’Armée de Terre.
Vous me demandez : Ces structures sont-elles immuables ? N’avons-nous pas à faire passer des forces d’une catégorie dans l’autre ?
À la deuxième question je réponds oui, et c’est la raison pour laquelle un certain nombre de ces forces sont polyvalentes. Pour assurer la couverture générale au moment d’une crise, c’est-à-dire permettre aux composantes de la force nucléaire stratégique de pouvoir agir en toute hypothèse, il faut que leur sûreté soit assurée. Pour cela, l’ensemble des forces du territoire plus celles provenant de la mobilisation sont absolument indispensables et il faut même, en attendant les unités provenant de la mobilisation, faire appel à certaines forces de manœuvre. Il peut être également envisagé que nous ayons des difficultés provoquées par l’adversaire à l’intérieur du territoire avant d’en avoir aux frontières ; c’est une possibilité entre autres. Il faut donc que certaines des forces du corps de bataille (les six régiments de cavalerie légère blindée ainsi que les quatre régiments d’infanterie du corps d’armée et les deux groupements d’aviation légère de l’armée de terre de corps d’armée) puissent éventuellement participer à la couverture générale, donc à la DOT.
Réciproquement, nous envisageons qu’une partie des forces du territoire puissent agir avec le corps de bataille. Nous étudions la possibilité de modifier l’équipement des régiments d’infanterie du territoire pour les rendre plus mobiles, mieux armés, en particulier ceux qui sont stationnés dans les régions frontières afin qu’ils puissent intervenir dans le cadre de la manœuvre du corps de bataille. Il en va de même de la force d’intervention et des brigades de DOT de réserve générale.
Les structures actuelles sont-elles immuables ?
Les structures actuelles à deux corps d’armée, cinq divisions, quinze brigades, sont des structures que nous avons dû adopter du fait du système de transmissions de commandement dont nous disposons. Parmi les études faites par mon état-major figure en effet une autre structure à trois corps d’armée. Mais pour bénéficier de cette restructuration, il nous faut attendre l’année 1980, en profitant des améliorations du système RITA, c’est-à-dire des réseaux intégrés de transmissions de l’armée de terre : si nous parvenons à le réaliser nous pourrons peut-être admettre plus de quatre grandes unités subordonnées, coiffées par un même état-major ; nous supprimerions alors l’échelon division et nous passerions directement du commandement du corps d’armée à celui des brigades qui deviendraient des divisions légères.
Est-ce que le système actuel ne nous permet pas des économies au point de vue des services ?
Actuellement je ne le pense pas. Nous avons en effet abandonné le système des grands services mobiles. Les seuls services très mobiles ayant des structures de corps expéditionnaire sont ceux des F.F.A. Toutes les autres forces de ce côté-ci du Rhin vivent sur les établissements ministériels ou ceux des régions. Ce n’est qu’à la mobilisation que le 1er corps d’armée voit ses services réellement mis sur roues et ceci ne va pas d’ailleurs actuellement sans difficultés. Nous avons donc tout fait pour essayer d’éviter la prolifération des services que vous évoquez, et nous avons ainsi, moyennant quelques inconvénients quant à la disponibilité opérationnelle, réalisé une réelle économie.
Des fusions ont-elles été réalisées dans les services ces dernières années ?
Oui. Le service des transmissions est passé complètement au service du matériel, entraînant le transfert à ce dernier de 209 officiers, 768 sous-officiers, 1.500 hommes et plus de 2.000 employés civils des transmissions.
Le génie (arme) avait aussi son propre service. Ce dernier est passé sous la coupe du matériel. Le génie (travaux) a vu également ses structures évoluer ces dernières années au bénéfice des commandants de région, qui ont pris beaucoup plus d’autorité sur leurs services qu’autrefois. J’ai délégué depuis deux ans quantité de travaux qui se décidaient à l’échelon de l’administration centrale et qui sont maintenant organisés, arrêtés, menés à bien par les commandants de région, qui reprennent ainsi d’ailleurs la tradition d’autrefois puisque tous les casernements existant aujourd’hui à travers la France ont été construits par leurs soins. À l’époque on leur avait donné une enveloppe de crédits et on leur avait dit : « construisez des casernements ». Nous reprenons cette voie en donnant beaucoup plus de pouvoir à l’échelon décentralisé du commandement.
Est-ce que l’arrivée des Pluton va transformer l’emploi des forces ?
Je réponds par la négative. N’oubliez pas que depuis des années, dans nos écoles, les cadres ont été préparés tant au point de vue intellectuel, tactique, que moral, à mettre en œuvre le cas échéant les « Honest John » américains et à recevoir cet armement nouveau. Ce qui va changer, c’est que ces matériels seront français et que leur emploi sera soumis, cette fois, uniquement à la décision du Président de la République française, avec les obligations que cela engendre sur le plan des contacts avec nos alliés.
Est-ce que nous nous orientons vers les armes subkilotonniques ou vers des armes de puissances variables ?
Je ne puis répondre à cette question couverte par le secret militaire mais ce que je puis dire c’est que l’apparition de l’armement nucléaire tactique de faible puissance a transformé les conditions de la dissuasion et que l’on ne peut plus se contenter intellectuellement du « tout ou rien », car ce ne serait pas crédible pour l’adversaire éventuel. Il paraît donc logique, comme l’a dit jadis le président Pompidou ici même, d’envisager certaines gammes dans la puissance de riposte ou d’attaque.
Les enseignements de la guerre du Kippour ?
C’est un vaste sujet qui mérite qu’on s’y attarde.
Ce théâtre d’opérations se rapproche, même si ce n’est pas partout le cas, du type désertique ; il était déjà bien connu. La bataille d’El Alamein, celle de Bir-Hakeim, la bataille de la ligne Barlev se sont passées sensiblement sur des théâtres d’opérations du même genre. Donc, à cet égard, pas de surprise. Mais l’armement a considérablement évolué entre la période de la guerre d’El Alamein et la période actuelle, en particulier les armes antichars de toute nature ont fait des progrès considérables. Depuis des années, il y avait deux écoles : l’école britannique qui soutenait l’efficacité totale de l’obus sous-calibré à sabot détachable dont la puissance de perforation est très grande mais qui n’a pas une portée considérable, et puis notre conception à nous, qui disions : « il faut pouvoir tirer au plus loin, même si nous ne devons faire que des petits trous dans les blindages ». Nous étions convaincus que les effets secondaires à l’intérieur du char tueraient les équipages ou les neutraliseraient. Pendant des années, avec quelques sourires, nos alliés atlantiques nous ont vus tirer des obus à charge creuse en disant : « vous ne détruirez rien avec cela, vous faites des trous qui sont comme des pièces de cinq francs, alors que nous, nous faisons des trous au calibre de nos canons ». La guerre du Kippour nous a donné raison. Beaucoup de nos armes étaient d’ailleurs utilisées dans les deux camps, par exemple le SE 11, missile filoguidé à charge creuse, qui a fait des ravages.
L’enseignement intéressant pour nous a été la confirmation, acquise à la fin de la guerre 1939-1945, que la charge creuse demeurait efficace de par ses effets à l’intérieur des chars, qui sont très importants, en particulier les effets de surpression ; le métal en fusion met alors le feu au carburant ou aux munitions qui explosent. C’est ainsi qu’un très grand nombre de chars ont été des tourelles.
Mais la charge creuse n’est pas l’arme antichar absolue et l’on peut imaginer certaines parades, à preuve celle des chars « Centurion » britanniques conçus de telle sorte que la charge creuse peut éclater dans les coffres et arriver avec une moindre efficacité sur le blindage proprement dit. Donc, il faut certainement faire évoluer le canon et le projectile. Aussi attendions-nous avec une certaine curiosité de savoir ce qui se passerait avec les nouveaux canons de 110 soviétiques tirant des projectiles en flèches à noyau entra-dur à 1.400 et même probablement 1.500 m/s de vitesse initiale. Nous nous sommes aperçus que rien ne résistait à la perforation de ces armes. La puissance de perforation est telle que les trous dans le blindage sont supérieurs au calibre ; ce projectile fait littéralement fondre le blindage. C’était là précisément l’une de nos voies de recherche, nous avons donc su que, là encore, nous étions dans la bonne voie et que cette formule pourrait prendre la suite de la charge creuse.
Mais l’avantage considérable de ces obus et de ces missiles filoguidés à charge creuse, c’était la portée. Ce qui a manqué à tous les canons de 105 d’origine anglo-saxonne dans cette guerre du Kippour a été la portée. Alors qu’ils bénéficiaient de champs de tir de 3.000 mètres, les tireurs voyaient leurs obus tomber dans le sable au bout de 1.800 mètres.
Enfin, nous pensions que pour tirer à la portée maxima : 2.500 m, 3.000 m, il fallait un télémètre en tourelle : or, la plupart des chars utilisés n’en avaient pas. Tout ceci, nous le disions depuis des années, mais peu de personnes voulaient bien nous croire.
Autre facteur nouveau, l’importance des manœuvres de nuit : nous savions depuis la bataille d’El Alamein qu’une action de blindés d’envergure pouvait commencer par une attaque de nuit. Là où il y a de très grands champs de tir, des possibilités d’être atteint par des canons ou des missiles à grande portée, le lancement d’une action de nuit s’impose. L’attaque la plus payante des Syriens, qui a bien failli repousser les Israéliens hors du Golan, a été une action de nuit. Les chars soviétiques sont en effet munis de projecteurs infrarouges qui leur permettent non seulement de voir mais de tirer de nuit. Ceci réclame une instruction assez particulière. Il ne semble pas que les unités syriennes aient bien saisi tout l’intérêt qu’elles pouvaient tirer de ces manœuvres de nuit des blindés. En tout cas, pour nous, c’est incontestablement un enseignement de cette guerre. Mais l’infrarouge est aussi une solution indiscrète ; c’est pourquoi nous étudions un autre système qui est l’amplificateur de lumière et actuellement nous avons de très grandes satisfactions avec les procédés qui ont été mis au point.
Le rôle des engins sol-air et des canons ?
Il n’a pas été une surprise pour nous. Depuis des années cependant nous hésitions entre le canon pour la basse altitude et le missile. La guerre du Kippour a prouvé que les canons multiples de 20 ou de 30, avec un radar d’acquisition permettant de ne pas manquer les premières salves, étaient très efficaces, mais au-delà d’une certaine altitude, entre 1.500 et 4.000 mètres, il y a toute une couche d’atmosphère à partir de laquelle les avions peuvent faire énormément de dégâts, en particulier aux blindés, en les tirant avec des roquettes, et c’est cette couche-là qu’il fallait arriver à interdire. C’est désormais ce qui se passe avec toute la série des SAM, SAM 6 et SAM 7 en particulier qui, joints aux SAM 2-SAM 3, ont permis aux Arabes de disposer d’un volume aérien dans lequel les Israéliens n’ont pu pénétrer qu’avec des pertes considérables. Nous aurons des engins de même genre quand nous aurons le Crotale, qui est adopté par l’Armée de l’Air, et les Roland tout temps ou temps clair qui sont étudiées pour les Armées de Terre allemande et française : tous ces missiles sol-air sont des engins tout à fait remarquables.
Quel sera le rôle des chars dans l’avenir ? Après cette hécatombe de blindés, que faut-il penser des chars ?
Certains sont allés jusqu’à dire que ce n’était plus la peine d’en posséder puisqu’ils se faisaient détruire avec une telle facilité. Je vais me permettre de vous lire ce qu’en pense un spécialiste des troupes blindées et mécanisées, le maréchal Rotmistrov, de l’armée soviétique, qui est probablement l’expert le plus qualifié en matière de blindés des dix dernières années et qui écrivait dès 1962 : « Le degré élevé de résistance des troupes blindées et mécanisées aux attaques nucléaires, ainsi que leur grande capacité de combat, leur mobilité, leur force d’attaque, permettent aux blindés de pénétrer rapidement dans les zones bombardées par les armes atomiques et de parachever l’œuvre commencée par les missiles nucléaires et l’artillerie classique ; à cause de ces avantages, les chars de combat ne sont pas périmés ; ils constituent le meilleur armement des forces terrestres. En attaquant de jour et de nuit, ils peuvent percer en profondeur les lignes ennemies et entraîner dans leur sillage le reste des forces. En cas de besoin, ils peuvent désormais opérer indépendamment en arrière des lignes ennemies sans être accompagnés de grandes unités d’infanterie, lesquelles sont susceptibles d’être aéroportées jusque dans la zone d’opération des chars ». Voilà un avis que je partage entièrement et je demande aux jeunes officiers qui liront ces lignes de bien vouloir y réfléchir.
En définitive, sur le plan français, quels enseignements avez-vous retenus de cette guerre du Kippour ?
Nos choix ont été bons et nous devons intensifier nos efforts dans certaines voies où précisément est apparue l’efficacité de certaines armes dont il nous faut disposer dès que possible. Je veux parler du Milan qui est un engin antichar filoguidé, puis du Hot qui est de même nature, mais avec une portée beaucoup plus grande puisque ce missile parvient à toucher sa cible jusqu’à 4.000 mètres. Nous avons observé l’utilité du canon de 155 automoteur à grande cadence de tir que nous sommes en train de mettre au point (il arrive à tirer 6 coups en 48 secondes) ; nous avons retenu aussi l’utilité du lance-roquettes multiple susceptible d’envoyer loin des charges importantes transportant des mines, qui sont capables de stopper une attaque de blindés. Enfin, nous avons eu la confirmation que la décision devait être prise de valoriser nos engins antiaériens Hawk mis à la disposition de la protection de la FNS et qu’il nous faudra reprendre pour la protection du corps de bataille, l’Armée de l’Air devant utiliser pour cette protection des Crotale. Lorsque, de 1976 à 1978, les Hawk valorisés reviendront dans nos unités nous serons capables d’avoir à la fois une défense à basse altitude avec les canons de 20 (que nous prévoyons au Plan), les bitubes de 30, puis les Roland, jusqu’à 4.000 mètres et une défense à moyenne altitude entre 4.000 mètres et 15.000 mètres. Tels sont les enseignements tirés de la guerre du Kippour en ce qui concerne les canons et les engins sol-air.
Quelles difficultés l’Armée de Terre rencontre-t-elle pour maintenir au niveau voulu, du point de vue quantitatif et qualitatif, les effectifs officiers d’active, sous-officiers de carrière et hommes du rang sous contrat ?
L’emploi de main-d’œuvre civile dans les corps de troupe, les moyens dont disposent les chefs de corps pour l’instruction de leur régiment (crédits, carburant, munitions, terrains de manœuvre…), atteignent-ils un niveau suffisant pour faire de l’année de service national, aux yeux des jeunes appelés, une période active, utile, formatrice, propice à engendrer chez eux un esprit de défense ?
Où en est l’expérience du service fractionné ?
Pour le recrutement, nous avons actuellement trois sortes de problèmes : les officiers, les sous-officiers, les gradés.
En ce qui concerne les officiers, nous avons deux catégories : les officiers carrière courte, les officiers carrière longue. Pour ces derniers, deux systèmes de recrutement : le recrutement direct par l’École Spéciale Militaire de Saint-Cyr et le recrutement semi-direct par l’École Militaire Interarmes, toutes deux à Coëtquidan.
Quels sont nos besoins en jeunes officiers ? Ils se calculent de la façon suivante : nous avons besoin d’un officier d’origine Saint-Cyr et d’un officier d’origine E.M.I.A. par unité élémentaire, escadron, batterie, compagnie. À raison de 1.000 unités élémentaires environ et étant donné que les lieutenants restent cinq ans dans leur grade, nous devons donc prendre chaque année environ 200 à 220 Saint-Cyriens, 200 à 240 élèves à l’E.M.I.A. Les chiffres de base devraient être d’autant plus importants qu’à la mobilisation nos unités élémentaires passent de 1.000 à 2.000. Par conséquent ce n’est plus un Saint-Cyrien et un officier d’origine I.A. que nous aurions dans les unités, mais soit l’un, soit l’autre, les 3 ou 4 autres sections ou pelotons étant commandées par des officiers techniciens, des O.R.S.A. ou des officiers d’origine rang. Voilà le problème de l’Armée de Terre ; nous ne construisons pas la pyramide par le haut comme le font certains autres, mais par la base en partant des besoins à satisfaire.
Quelle est la ressource actuelle ? Celle de Saint-Cyr est la suivante : en 1972 690 candidats, en 1973 744 candidats, en 1974 791 candidats inscrits pour une prévision de 200 admis (1), soit une moyenne convenable. D’autant plus que nous constatons, le concours se préparant en deux ans, qu’un certain nombre de candidats ayant échoué une année tentent à nouveau leur chance l’année suivante, si bien que nous voyons régulièrement progresser le nombre des candidats à Saint-Cyr. Il y a eu une alarme au moment où nous sommes passés du concours préparé en un an au concours préparé en deux ans. À ce moment-là il y a eu un trou inévitable et c’est à partir de là que toutes les fables se sont échafaudées, cependant nous ne cachons pas que nous serions plus satisfaits si les candidatures au concours de Saint-Cyr augmentaient plus largement.
Deux options dans ce concours de Saint-Cyr : les littéraires et les scientifiques. Pour les littéraires, pas de problème, un élève qui s’engage au concours de Saint-Cyr avec l’option lettres n’envisage généralement pas d’autre débouché. Il n’en est pas de même pour les scientifiques : sur 791 candidats, certains se présentent aussi à l’École de l’Air, à Navale et même certains candidats du secteur civil passent cet examen pour obtenir le DUES. C’est ainsi que l’année dernière, 85 garçons reçus ne sont pas entrés à Saint-Cyr ; ils étaient en même temps reçus à trois autres concours et ils n’ont pas forcément choisi l’ESM : ce n’était pas tous de vrais candidats à Saint-Cyr, cela est vrai, il faut donc en tenir compte pour l’avenir.
Nous envisageons en conséquence une troisième option qui est actuellement à l’étude ; elle consisterait à rechercher parmi les candidats sciences économiques, ESSEC, HEC, des candidats de bonne valeur pour Saint-Cyr. D’autant plus, comme nous le verrons tout à l’heure, que toutes les charges de budget de fonctionnement qui vont s’accumuler sur les chefs de corps dans les années à venir se trouveraient particulièrement bien placées entre les mains de jeunes officiers ayant suivi de telles études.
Pour l’École Militaire Interarmes, les perspectives sont moins bonnes, nous allons subir les contrecoups de l’évolution des engagements ; mon successeur les ressentira à partir de 1976-1978. Tous les déficits actuels en sous-officiers vont se répercuter sur le recrutement de l’E.M.I.A. Aussi ne faut-il pas définir des proportions définitives entre Saint-Cyriens et élèves issus de l’E.M.I.A. afin de pouvoir les faire varier en fonction du nombre de candidats qui se présentent. Cette année, nous avons 400 candidats à Strasbourg qui étaient déjà le produit d’une sélection pour environ 190 ou 200 places (2). Comment pourrait-on améliorer cette branche issue de la préparation à Strasbourg ? En permettant aux officiers du contingent de se présenter. C’est ce qui faisait la valeur des écoles d’armes autrefois. Il faut absolument revenir à cette formule. Bien des généraux d’origine O.A., parvenus à de hauts postes, ont commencé la plupart du temps leur carrière comme officiers de réserve, puis, s’apercevant qu’ils avaient la vocation militaire, ont passé, avant la guerre, le concours de l’École de leur arme. Nous allons prendre des mesures pour reprendre cette formule et nous permettre de conserver un certain nombre de ces jeunes aspirants, qui nous donnent toute satisfaction, à l’École Militaire Interarmes. Pour ceux qui ont certains diplômes (par exemple l’équivalent du Deug), nous envisagerions de leur faire gagner un an en les envoyant directement à l’École d’Application après un stage de courte durée à Coëtquidan. Voici quelques projets pour arriver à faire en sorte que la ressource en carrières longues corresponde à nos besoins.
En ce qui concerne les carrières courtes, il nous en faut un certain nombre pour avoir une pyramide convenable. Quelle est leur origine ? Nous avons d’abord les officiers techniciens — objet de nombreuses questions de votre part — puis les officiers de réserve en situation d’activité et enfin les officiers d’origine rang dont nous ne parlerons pas ici, leur statut n’ayant pas changé et ces officiers continuant à être comme par le passé, d’excellents officiers dont la carrière n’est pas limitée dans le temps puisqu’ils rejoignent les officiers de carrière longue.
Sommes-nous contents des officiers techniciens ? m’avez-vous demandé. Nous sommes effectivement très contents des O.T. Nous avons dans nos rangs environ 1.800 postes qui ne peuvent être tenus d’une manière plus efficace que par eux. Vous savez que ce sont d’anciens sous-officiers très qualifiés dans leur spécialité et qui se sont révélés parfaitement aptes à passer à l’échelon de responsabilité supérieur. Ils font par exemple des chefs d’atelier régimentaires tout à fait remarquables. Nous avions pensé primitivement pouvoir prendre environ 6.000 O.T. mais nous avions peut-être vu trop grand. Ce total est probablement impossible à atteindre. Non seulement nous n’arriverions pas, sur 6.000, à maintenir la qualité, mais surtout nous décapiterions notre cadre sous-officier en prenant ainsi tous les jeunes adjudants ou adjudant-chefs de grande classe qui s’orienteraient vers l’épaulette, vers le concours d’O.T. parfois avec réticence et parce qu’on les y pousserait. Ils manqueraient ensuite cruellement dans le cadre des sous-officiers. En conséquence, il faut probablement diminuer un peu le recrutement des O.T. au bénéfice des O.R.S.A. Qui sont les O.R.S.A. ? Ce sont tous ces aspirants du contingent d’excellente valeur qui n’ont pas de vocation extrêmement précise et n’ont pas encore choisi un métier, mais qui s’aperçoivent eux aussi que le milieu militaire leur plaît et qui veulent y rester. À ceux-là, il faut proposer un très grand nombre d’options et leur permettre de prolonger d’un an, de deux, de trois, de cinq, de six ans, voire même pour certains de douze ans, et leur donner des possibilités de retraite proportionnelle. Cette affaire est à l’étude.
Un équilibre normal entre carrières longues et carrières courtes me paraît être 2/3 des premières, 1/3 des secondes.
Nombre d’entre vous demandent : le recrutement des sous-officiers est-il satisfaisant ? Il nous pose des problèmes ; nous avions en effet 11.000 engagés en 1969, nous en avons 6.440 en 1973 et cela réagit non seulement sur les petits gradés mais également sur les sous-officiers formés à partir des petits gradés.
Que s’est-il passé ? Comment peut-on expliquer cette chute dans nos engagements ? Je n’hésite pas à le dire : ce n’est rien d’autre que la conséquence de la récente déflation qui a été mal organisée. La déflation des officiers s’est passée dans des conditions mauvaises mais, à la limite, supportables. Nous avons consommé le « volant de gestion » et il n’y a plus aucune élasticité dans le jeu des effectifs : les cadres sont alors sur les dents, assaillis de missions, sans disposer des effectifs pour les remplir. Bien sûr, cela peut durer encore un certain temps ; simplement, il faudra donner des avantages aux cadres, sinon, devant cette situation anormale, ils quitteront l’Armée.
Pour les sous-officiers, c’est beaucoup plus dramatique et c’était prévisible dès l’origine de cette déflation. Pourquoi cette situation grave ? Il y a, vous le savez, deux catégories pour accéder au grade de sous-officiers : les engagés volontaires à long terme de catégorie 1 et les engagés volontaires de catégorie 2. Ceux de catégorie 1 s’en vont directement à l’École Nationale des Sous-Officiers d’Active (E.N.S.O.A.) et à partir du moment où ils sont dans la filière, il est absolument impossible de les arrêter dans leur avancement. Or, nous avons reçu l’ordre, au beau milieu de l’année budgétaire, d’abaisser notre total de sous-officiers de 2.000 en pied de chapitre (autrement dit, s’ils ne disparaissaient pas, ils ne seraient plus payés). Il n’existait donc plus de possibilité de faire le nombre de promotions prévu. Ceux qui ont subi le contrecoup, ce ne sont pas les candidats sous-officiers de la catégorie 1 qui étaient déjà en école, mais ceux de la catégorie 2 qui étaient dans les corps de troupe et qui, engagés de 3 ans, ayant été reçus à leurs examens, avec la promesse d’être nommés sous-officiers à 15 mois, ne l’ont été ni à 22, ni à 24, ni à 26, ni à 30 mois, ni à 36 mois. Un certain nombre de ces garçons, titulaires de leurs examens de sous-officiers, n’ont pas pu être nommés faute de places. Ils sont donc partis. Rentrés chez eux, ils ont fait une contre-propagande à la mesure de leur ressentiment, en disant : « l’Armée de Terre ne respecte pas ses contrats ». À preuve que cette question de contrat a une certaine valeur, c’est que les pompiers qui ont, eux, respecté le leur, continuent à avoir un courant d’engagements considérable. La Légion Étrangère, qui n’a pas eu les mêmes contraintes et qui a continué à respecter ses contrats, a actuellement des engagés du niveau sous-officier.
Comment essayer de rattraper cette affaire et tenter de combler ce manque d’engagés ? Nous allons changer complètement notre système : nous abandonnons le système des catégories 1 et 2 et nous allons essayer de frapper à toutes les portes. D’abord dans les corps de troupe, nous venons de rétablir les engagements de 18 mois. Il existe un certain nombre de jeunes qui voudraient bien faire leur service dans telle garnison car ils habitent à proximité et cela leur permettrait de continuer à aider leur famille tout en faisant leur service militaire. Un jeune peut très bien vouloir faire son service militaire à Orléans parce qu’il veut par exemple aider ses parents en dehors de ses heures de service militaire. Pour obtenir cette garnison, il prendra un engagement de 6 mois supplémentaires, soit 18 mois. D’autres n’ayant pas encore pris d’orientation, veulent d’abord avoir une idée de la carrière militaire pour savoir s’ils ne pourraient pas suivre éventuellement cette voie. Eux aussi s’engageront pour 18 mois dans les corps de troupe.
Il faut aussi maintenir les engagements au titre de l’arme. Il se trouve que des jeunes gens veulent entrer dans une arme ; quel que soit leur niveau, leur spécialité, certains veulent le génie, d’autres l’ABC, d’autres encore veulent l’infanterie pour aller dans les parachutistes ou les troupes alpines. C’est dire que les écoles d’arme font encore recette. Il faut donc maintenir ces engagements au titre des écoles d’arme de même que ceux au titre de la spécialité et du niveau.
Outre les écoles d’arme, nous aurons deux écoles nationales de sous-officiers, celle de Saint-Maixent et probablement celle de Fréjus que nous allons transformer. Mais pour remonter la pente il faut aussi assainir l’atmosphère qui règne chez ces engagés, c’est-à-dire que, si après quelque temps d’essai, ils s’aperçoivent — ou nous nous apercevons — qu’ils ne sont pas faits pour être sous-officiers ou gradés, l’engagement puisse être interrompu plus facilement qu’actuellement. Des mesures dans ce sens sont à l’étude.
Enfin, il faut présenter à ces jeunes des profils de carrière et ne plus laisser d’ombres, car c’est vrai que nous avons manqué de netteté envers ces garçons. Quand ils arriveront dans les centres de documentation et d’accueil (les C.D.A.), il faut que le document que l’on donnera à ces candidats soit un document signé du chef d’état-major ou du ministre, disant sans ambiguïté : « voici quel est le profil de carrière que nous vous proposons ; si vous passez tel examen, vous aboutirez à telle ou telle carrière ».
C’est à partir des gradés que se forment les sous-officiers. Par conséquent, ce que nous sommes en train de prévoir pour les sous-officiers sera valable aussi pour les gradés. Un certain nombre d’entre vous pose la question : pourquoi ne pas faire un cadre de maistrance ? La réponse est simple : la fonction publique n’en veut pas : cela fait trois ans que je me bats — et mon prédécesseur s’était déjà battu deux ans — pour essayer d’avoir ce cadre. Actuellement, la fonction publique est contre ce genre de cadre. J’ai trouvé une autre voie, je vais faire un corps des caporaux-chefs. Le résultat sera sensiblement le même, simplement les échelles de solde des caporaux-chefs passeront par différents stades et seront, en fin d’engagement, comparables à celles des sous-officiers. De même, ils auront accès au mess des sous-officiers. Par ce biais on reconstituera cette catégorie de gradés de carrière que les artilleurs et les blindés ont connue avant la guerre et qu’il est impératif de ressusciter, car il n’est pas possible, avec les armements modernes et de plus en plus sophistiqués, de ne pas disposer de ces spécialistes de l’emploi. Sur certains matériels, nous ne pouvons plus admettre la rotation des jeunes du contingent en permanence.
Pourquoi, demandez-vous, ne pas recourir à la main-d’œuvre civile ? Beaucoup y voient la solution miracle. C’est une erreur. Il y a en effet un escadron de commandement et des services dans chaque corps de troupe, qui s’acquitte de charges et de fonctions que nous ne pouvons pas mettre entre les mains des civils, parce que cette unité doit suivre le régiment en campagne, et s’il le faut au combat. Par contre, en garnison, un certain nombre de tâches peuvent être remplies par de la main-d’œuvre civile. Les Allemands le font bien puisqu’ils ont 70.000 civils, les Suédois aussi, avec 45.000, mais le nombre est limité par le prix de cette main-d’œuvre. De toute façon, ce n’est pas la panacée et cela ne présente pas que des avantages. Aussi sommes-nous en train de voir si nous ne pourrions pas refaire le corps des agents militaires que nous avons connu autrefois, ces « hommes en bleus » que nous rencontrions jadis dans nos écoles. Pour le budget de l’année prochaine, j’espère faire inscrire 300 postes à ce titre (3). Mais cela n’empêchera pas que des jeunes du contingent seront obligés de faire un certain nombre de servitudes à l’intérieur de leur régiment, car nul ne les fera à leur place ; il n’y a pas encore de femmes de ménage dans les casernements.
L’activité du contingent fait l’objet de très nombreuses questions de votre part et certains d’entre vous reprennent ce slogan que je vois fleurir un peu partout « on perd son temps au service militaire ». J’ai même lu dans un document fait par les anciens de l’Institut que je me permets de contredire « qu’après avoir fait les classes, la recrue n’avait plus rien à faire ». J’ai donc pensé qu’il serait bon de vous décrire une progression-type telle qu’elle doit être suivie dans un corps de troupe par une recrue, quelles que soient sa catégorie et son arme. Vous avez au début une formation élémentaire commune à toutes les armes qui dure quatre semaines, puis ensuite une formation élémentaire de spécialiste qui dure huit semaines, une formation complémentaire qui dure dix-huit semaines entrecoupée de séjours aux camps — deux ou trois séjours suivant les créneaux de disponibilité des camps, soit encore six semaines. Chevauchant le tout, soit avant, soit après, se place un entraînement dans un centre de commandos pendant trois semaines. De cet ensemble il faut défalquer le service intérieur pour une durée de dix semaines. Cela peut paraître important mais dans un régiment ou coexistent quatre ou cinq unités élémentaires, le « service de semaine » vous revient une fois par mois. Donc, cela fait dix semaines consacrées au service intérieur et trois semaines aux permissions. J’ai pris là un exemple très général, mais si vous prenez maintenant une spécialité, par exemple celle des tireurs de chars, qui ont neuf stades de tirs se répartissant de façon telle que, de toute façon, il leur faudra, à partir du troisième stade, effectuer leur tir dans des camps, vous constatez que ces tireurs n’ont pas terminé leur instruction au bout de six mois puisqu’ils ont encore au moins trois stades de tir à faire dans les six derniers mois. Les artilleurs font des écoles à feu de batterie, de régiment et d’artillerie divisionnaire, plus toutes les prestations au profit des Écoles pendant tout leur service ; leur instruction n’est donc pas terminée au bout de trois, de quatre, ni de cinq mois. En fait, ils commencent à être valables au bout de six mois ; c’est justement au moment où ils seraient les plus aptes à défendre la Nation qu’on leur dirait : « rentrez chez vous ! » ; ce n’est pas logique. Si l’on prend la peine de former ces garçons, c’est pour que, au moins pendant six mois, ils constituent des unités parfaitement aptes au combat et d’une entière disponibilité opérationnelle. Voilà la raison pour laquelle j’ai voulu vous détailler cette répartition des activités du contingent programmée sur cinquante-deux semaines et non pas, comme on l’écrit trop souvent, sur quelques semaines après lesquelles on ne ferait plus rien. Quant aux hommes du rang qui sont dans les escadrons, les compagnies, les batteries de commandement et des services, que font-ils ? En plus de leur spécialité (transmetteur, chauffeur, conducteur de moto, infirmier, etc.) ils font, deux jours par semaine, l’instruction de combat des « employés », deux jours où l’unité « met la clé sur la porte » car elle est en manœuvres. J’ai fait établir ce système également à Paris avec l’aide du gouverneur. Désormais, tous les militaires que vous voyez dans Paris vont faire un minimum d’instruction, comptabilisé en points ; si au bout de huit mois ils n’ont pas atteint un certain nombre de points ils seront mutés en province dans d’autres unités. Avis à ceux qui font des pieds et des mains pour que leurs fils soient « affectés préférentiels » à Paris ! Si ces derniers n’ont pas leur total de points, je vous assure qu’ils ne termineront pas leurs douze mois à Paris, quelle que soit l’autorité qu’ils conduisent en voiture, quel que soit l’ordinateur qu’ils servent. Je veux absolument que ce système fonctionne et il fonctionnera.
Vous me demandez s’il y a suffisamment de munitions, d’essence et de crédits de déplacement pour assurer l’instruction. Je vous réponds, c’est à M. Michel Debré que nous sommes redevables de l’effort accompli pour améliorer les conditions du service militaire ; nous sommes passés, par exemple, d’une dotation d’instruction de 19 coups à 32 par char, et au prix où sont les projectiles, cela représente un effort considérable. Les Américains font mieux et les Soviétiques aussi, mais nous devons nous contenter de ce chiffre qui marque déjà un gros progrès. Quant au carburant, en 1972 nous avons obtenu 141.000 m3, en 1973 146.000, en 1974 153.000 m3, c’est-à-dire que nous sommes en augmentation de 20 %. Donc, pas de gêne de ce côté-là dans ces deux dernières années ; nous avons même eu, grâce aux crédits accordés par le ministre, la possibilité de faire effectuer aux brigades trois séjours au camp au lieu de deux par an ; la capacité opérationnelle des unités y trouve un bénéfice appréciable. Mais les restrictions budgétaires de 1975 vont diminuer les quantités de carburants prévus de 10 à 20 % selon les types de carburants.
Les crédits de déplacement sont aussi en augmentation, mais surtout les budgets de fonctionnement, dont nous allons parler tout à l’heure, permettent aux chefs de corps de balancer des crédits carburant sur des crédits déplacement, de même qu’ils peuvent faire des économies de chauffage pour avoir plus de carburant d’instruction, etc.
Avons-nous suffisamment de terrains de manœuvre ? Nous en parlerons tout à l’heure avec l’infrastructure. En fait, nous avons besoin de 150.000 hectares de camp et nous en avons 100.000. Là, par conséquent, nous sommes en difficulté.
Ne pourrait-on pas opérer des réductions du titre V au profit du titre III, autrement dit de l’équipement au bénéfice du fonctionnement ? Nous avons des exigences, désormais, de fabrication et d’infrastructure et l’Armée de Terre en est au stade où elle ne peut plus reculer ; elle est en quelque sorte le dos au mur. L’AMX 13 va être prolongé jusqu’en 1982. On plaisantait en 1939 lorsqu’on voyait apparaître le char Renault FT qui était né en 1917 : il avait vingt-deux ans. Nous allons avoir un char de trente ans. L’engin blindé de reconnaissance va durer jusqu’en 1977-1980, il aura alors vingt-cinq ans. Le fusil 49-56, que nous allons abandonner au profit de l’armement individuel moderne, aura vingt-six ans, et quant au fusil 36, dont certaines unités de DOT sont encore dotées, il aura quarante ans. Tous ces matériels ont atteint ou vont atteindre la limite de la vétusté et nous ne pouvons pas continuer comme cela ; il faut que nous suivions le plan de quinze ans ; nous ne pouvons pas faire de réductions importantes sur le titre V. Certains vont même jusqu’à me dire : pourquoi ne pas supprimer une grande unité ? Or, pour bien manœuvrer, il faut cinq grandes unités, c’est-à-dire deux qui sont engagées sur deux directions et au minimum une division en réserve, sinon il n’y a pas de manœuvre. Réduire l’Armée de Terre à quatre divisions, ce serait une erreur. Le général de Gaulle avait prévu six divisions pour l’Armée de Terre. Du fait des difficultés financières, du prix de la FNS, on est descendu à cinq : on ne peut pas passer de cinq à quatre. Même dans le cadre de ce que je vous disais tout à l’heure, d’une redistribution des brigades au sein des divisions légères, nous aurions le même volume de forces, c’est-à-dire 1.500 chars, et l’on ne peut pas descendre au-dessous ; c’est l’équivalent de l’Armée d’Israël. Oui ou non la France est-elle capable d’avoir l’équivalent « du fer de lance » d’Israël ? Les Syriens ont 2.000 chars, les Égyptiens en ont 2.500, l’Allemagne de l’Est en a 3.000. Il faut absolument que nous fassions l’effort prévu au plan à long terme, si nous voulons être pris au sérieux par nos adversaires ou nos alliés.
Quant à l’infrastructure, on ne peut pas continuer à faire vivre les jeunes du contingent dans des casernements dont les installations sanitaires sont au-dessous de ce qui est décent. Nos casernements ont en moyenne cent ans et certains ont été abandonnés pendant vingt-cinq ans ; il faut donc continuer notre effort de revalorisation des casernements.
Service fractionné. Qu’a donné ce type de service ? Nous l’avons essayé dans deux unités, le 41e régiment d’infanterie à Rennes et le 22e régiment d’infanterie de marine à Albi avec des volontaires. Nous n’avons eu comme candidats pour faire ce service fractionné que des garçons de niveau modeste (d’après les tests : moyenne 6.5/20). Il n’y a pas eu 2 % d’étudiants à avoir choisi cette solution qui leur était pourtant favorable, car ils pouvaient faire un service de huit mois entre deux périodes d’études, étant entendu qu’ils reviendraient ensuite faire deux périodes de deux mois de façon à faire les quatre mois qui leur manquaient. Nous avons posé la question aux volontaires à la sortie du service : est-ce que ce service vous convient ? Eh bien ils ne cachaient pas leur espoir de ne jamais faire les deux périodes de réserve qu’ils doivent ; 44 % d’entre eux disent que si les périodes de réserve leur étaient imposées ils préféraient le service de douze mois ; d’ailleurs 30 % ont demandé à terminer dans la foulée leur année de service. Chacun sait que rappeler des gens en France quand ils ont leurs affaires, leur travail, leur système de vie, pour les amener à faire des périodes, est une mesure impopulaire ; cela apparaît normal en Suisse, en Suède, mais ce n’est pas dans nos mœurs.
Service féminin. Est-ce que nous avons été satisfaits de l’expérience ? Telle qu’elle a été menée, je réponds par la négative. Et pourtant nous envisageons toujours de donner une part plus importante aux femmes dans l’Armée de Terre dans l’avenir.
Service civil de défense. L’un d’entre vous me dit : au lieu de faire ces unités destinées au combat, pourquoi ne feriez-vous pas des unités du génie ? Et pourquoi vos unités du génie ne seraient-elles pas mises à la disposition des départements où elles sont stationnées de telle sorte qu’elles feraient en partie des travaux civils ? Est-ce qu’une partie des douze mois de service militaire ne pourrait pas être consacrée à un espèce de service du travail ? Je réponds : on peut toujours tout imaginer, mais l’homme politique qui arrivera demain à faire faire le service du travail en France sera sûrement un chef très exceptionnel ou alors il prendra des procédés vis-à-vis de la liberté que je ne veux pas développer parce que je les réprouve. Le service du travail a été institué sous Mussolini, sous Hitler ; sous cette forme de régime c’est possible, sous le nôtre, je ne le pense pas. En tout cas, les unités du génie sont dotées d’un matériel qui coûte cher, sur lequel nous formons des spécialistes en vue de leur mission de guerre. Ils peuvent de temps en temps aplanir une surface pour faire un terrain de sport, ils peuvent, à proximité d’un village, ouvrir une piste, ils peuvent aider une municipalité à creuser une fosse pour faire une piscine, mais ce n’est pas là leur travail ; ils ont une mission et ils doivent s’y préparer ; c’est une mission de combat dont il ne faut pas les distraire, pas plus qu’il ne faut user à des tâches civiles un matériel de combat coûteux. C’est pourquoi je ne crois pas au service civil de défense, même s’il est animé des meilleures intentions. Je ne vous cacherai pas d’ailleurs qu’étant donné les avatars des objecteurs de conscience dans le cadre des Eaux et Forêts et les réactions des syndicats, à l’égard de leur présence, je ne vois pas très bien l’existence de ce service civil obligatoire à l’intérieur de la collectivité syndicaliste.
Rapports Armée-Nation. Vous me demandez : Est-ce que les chefs de corps sont préparés aux missions qu’ils auront à remplir concernant les réserves et les relations qu’ils auront à établir dans le cadre de la nation à l’intérieur des garnisons dans lesquelles ils vont vivre ? Je réponds par l’affirmative. Au cours des stages d’information des chefs de corps leur attention est attirée sur ces problèmes. En outre, chaque chef de corps dispose maintenant d’un officier-conseil qui est particulièrement orienté vers ces problèmes Armée-Nation et j’ai demandé récemment que l’on transforme le centre de formation des animateurs d’Angoulême pour en faire un centre de préparation aux activités de formation professionnelle, de telle sorte que les jeunes du contingent qui iront suivre ce stage soient particulièrement préparés à aider l’officier-conseil dans tous les rapports entre l’Armée et la Nation et surtout à réorienter leurs camarades. Car, le savez-vous, 25 % des jeunes qui nous sont confiés n’exercent pas les métiers qu’ils pourraient faire étant donné les capacités que nous constatons chez eux ? Nous en réorientons 9 à 10 % ; c’est dire qu’il en reste encore 15 % qui ne sont pas réorientés. C’est sur ces 15 % que nous voulons faire effort et ceci est bien du domaine des rapports Armée-Nation.
Vous me parlez aussi des réserves et demandez quelle est leur part aujourd’hui dans l’Armée de Terre ? Nous utilisons 36 % de la ressource des officiers de réserve, 39 % de la ressource sous-officiers et 25 % de la ressource hommes du rang, c’est-à-dire que nous ne prévoyons une affectation que pour les hommes du rang des classes les plus jeunes et ceux qui ne sont pas encore chargés de famille. Si nous devions faire face à un conflit de longue durée, ce serait à peine suffisant — cela fera probablement l’objet d’un réexamen au plus haut niveau et dans le cadre du concept de défense à propos duquel des décisions devront intervenir assez rapidement — je ne pense pas qu’il serait de bonne politique d’avoir une mobilisation dans le genre de celle que nous avons connue en 1939, ni même dans le genre de celle encore en vigueur il y a quelques années ; un nouveau plan d’emploi des réserves est en train de se mettre en place, il sera opérationnel dans sa version rajeunie avant la fin de l’année 1974. Avec ce plan on devrait pouvoir assurer la défense de la FNS et des moyens de commandement gouvernementaux, soutenir le corps de bataille et assurer les missions d’intervention et de couverture que l’on peut envisager de confier normalement à des cadres de réserve. Ceci contribuera à entretenir un excellent climat entre les officiers d’active et les officiers de réserve, dont je n’ai qu’à me louer d’ailleurs pour la façon dont ils se préparent à leur tâche.
Enfin, il y a la gendarmerie, cette arme de grande efficacité, qui passe à la mobilisation de 60.000 hommes à 175.000 hommes, ce bond étant possible grâce aux effectifs que l’Armée de Terre met à sa disposition et grâce aux jeunes du contingent qui font désormais leur service dans la gendarmerie. À la mobilisation il y aurait autant d’effectifs dans la gendarmerie que dans les unités de DOT ; mais l’Armée et la gendarmerie ont bien entendu des tâches et des missions différentes même si celles-ci doivent être coordonnées.
Un certain nombre de vos questions se rapportent à la politique de l’Armée de Terre concernant les matériels :
— réalisation d’armes ou systèmes d’armes très sophistiqués ou aussi rustiques que possible ?
— recherche d’une standardisation des matériels entre les armées nationales des neuf pays du Marché Commun ?
— études, réalisation de prototypes et production menées en commun avec d’autres pays étrangers dans un but d’économie ?
— dans quel sens évoluent les matériels des unités de l’arme blindée compte tenu de ses diverses missions ?
— incidence de la guerre électronique sur l’exercice du commandement ?
En ce qui concerne la politique de l’Armée de Terre, vous savez que depuis des années, elle est de faire des « familles d’engins ». Nous avons créé la famille AMX 13 qui a donné naissance à un char, à un engin de combat transport de troupe, à deux engins du génie, à un automoteur d’artillerie, à des engins de dépannage ; cette famille AMX 13, comme je vous l’ai dit tout à l’heure, aura trente ans bientôt ; par conséquent il était urgent de penser à la suite. La suite, ce sera la famille AMX 10 que vous avez pu voir à Carpiagne. Elle nous donnera un engin de combat transport de troupes, un engin de reconnaissance pour l’arme blindée, tous les engins du génie dérivés et probablement aussi un certain nombre d’engins auxiliaires de commandement dans les régiments Pluton ou dans les régiments mécanisés. Nous aurons aussi la descendance de la famille AMX 30 à partir de laquelle nous avons créé le char, l’automoteur à grande cadence de tir, le châssis du Pluton, l’engin de dépannage et l’engin poseur de pont, etc. Nous avons aussi le véhicule de l’avant blindé VAB dont le choix va être fait ces jours-ci, deux prototypes de véhicules à roues étant en compétition : l’engin Panhard et l’engin Saviem. Le ministre prendra sa décision prochainement à propos de ce véhicule, beaucoup moins cher que l’AMX 10 et qui est appelé à transporter des régiments motorisés de corps d’armée et à remplacer un certain nombre de véhicules AMX 10 à l’intérieur des unités, les véhicules chenilles ne s’imposant pas partout. Nous avons mis, pour ce véhicule, une contrainte de prix telle que nous ayons un engin blindé sommaire et pas du tout l’engin sophistiqué dont certains ont parlé à tort.
Mais je dirai plus : l’AMX 10 lui-même n’est pas un engin sophistiqué et, comparé au prix du Marder allemand, il coûte la moitié. Nous sommes descendus à la limite de ce qui était tolérable au point de vue blindage et nous avons surtout voulu lui laisser la capacité amphibie et la capacité de pressurisation. Nous l’avons expérimenté dans le Pacifique et nous avons fait des améliorations depuis : c’est un engin qui nous convient. Bien sûr, à chaque fois que l’on y rajoute quelque chose on l’alourdit, mais il a gardé une mobilité suffisante : pas de problème de ce côté-là. Il est en train d’apparaître dans les unités et, à quelques détails près, il nous donne satisfaction.
L’AMX 30 est connu ; on l’a vu sur les Champs-Élysées et on en a suffisamment parlé. Il nous donne satisfaction et le GIAT en a vendu plus que nous n’en avons actuellement dans notre Armée, soit 800.
Pour ce qui est des camions, il y a quelques années nous avons cru qu’il fallait acheter des camions d’un type particulier pour l’Armée de Terre ; c’est ainsi qu’avait été créé le Berliet dont beaucoup de pièces, beaucoup d’ensembles ont été conçus pour nous en fonction des caractéristiques que nous avions définies. Nous abandonnons cette politique. Nous mettrons désormais sur les camions des ensembles du commerce, même si nous devons avoir un peu plus de pannes, un peu plus de difficultés, voire même de casse ; du moins aurons-nous les avantages d’une grande série commerciale, notamment pour le prix des pièces. Que ce soit pour la gamme unique Simca, Saviem ou autre, ou même la jeep de l’avenir, nos véhicules seront construits avec des ensembles du commerce.
Vous m’avez parlé de la sophistication et de la rusticité. La première chose qui compte pour nous c’est la fiabilité. Mais nous sommes obligés aussi de tenir compte du fait que ce sont des jeunes du contingent qui vont servir ces matériels, donc qu’il faut faciliter l’instruction. Je vais prendre un exemple très caractéristique, celui du missile filoguidé antichar. On a commencé par le SE 11 de la première génération ; il fallait être sous-officier pour piloter cet engin. Après cela, nous sommes passés au Harpon, qui est le SE 11 avec télécommande automatique. La première fois que le général Ailleret a tiré cet engin, il a fait un coup au but ; bien sûr, il était polytechnicien, donc avait des capacités qui ne sont peut-être pas données à tout le monde, mais enfin il n’avait pas de capacité particulière en ce qui concerne l’engin filoguidé… ! Maintenant nous en sommes au Milan de portée 1.800 mètres ; il est plus cher de construction, mais vous pouvez mettre un jeune du contingent qui aura fait un peu d’instruction sur simulateur : il mettra un coup au but la première fois qu’il tirera. Le Hot est du même genre (portée 4.000 mètres). Les Britanniques sont venus tirer récemment à Bourges et ils ont parfaitement réussi leur tir, alors qu’un certain nombre d’entre eux n’avait jamais tiré un missile. Cette fiabilité, c’est le fruit de la sophistication. Nous sommes donc obligés d’accepter un certain niveau de sophistication pour faire en sorte qu’on puisse confier nos armements à des jeunes du contingent dans le cadre d’un service de 12 mois. De même pour les chars et les engins blindés.
Sur l’AMX 30, que l’on dit pourtant sophistiqué, nous n’avons même pas voulu monter une boîte de vitesses automatique mais seulement semi-automatique. Nous avons dû mettre, au début, des engagés sur ce char ; maintenant, du fait de la nécessité, nous sommes obligés d’y mettre des jeunes du contingent. Mais je paye les factures de boîtes de vitesses (une boîte de vitesses d’AMX 30, je vous assure que ce n’est pas bon marché) ; nous nous orientons donc vers une boîte automatique pour l’AMX 30 valorisé des années 1980.
Il en va de même pour la sophistication des engins sol-air. Un chef d’état-major a voulu faire une expérience personnelle, il s’est mis aux commandes d’un Crotale avec quelques garçons qui n’étaient pas des spécialistes mais, conseillé par deux experts, il a fait toutes les séquences parvenant à une interception dans des conditions tout à fait remarquables ; il est rentré en me disant : « Ces engins qui coûtent cher, on peut les mettre dans les mains de n’importe quel jeune du contingent de bon niveau ». Voilà les raisons pour lesquelles on ne peut pas descendre au-dessous d’une certaine sophistication, parce que nous sommes obligés de confier ces armes à des jeunes du contingent qui ne peuvent s’entraîner que sur des simulateurs, tant les munitions coûtent cher.
Standardisation des matériels et des armements : plusieurs de vos questions portent sur ce sujet. Je vous dirai qu’il existe un organisme de standardisation qui marche très bien, c’est Finabel, dans lequel il y avait à l’origine la France, l’Italie, la Hollande, la Belgique. l’Allemagne, puis les Britanniques y sont venus l’année dernière. Créé par la France, il fonctionne depuis dix ans et aucun matériel construit depuis dix ans en France ne s’écarte des caractéristiques Finabel. Si donc nous n’avons pas réussi à faire la standardisation des armements, du moins avons-nous réalisé la standardisation des caractéristiques, ce qui normalement devrait conduire à des armements du même genre ou du moins de même capacité. C’est donc une bonne voie et il faut y persévérer.
Est-ce que nous faisons des études bilatérales ? Je réponds par l’affirmative. Avec les Allemands, nous avons le Milan, le Hot, le Roland, fabriqués en commun. Nous travaillons aussi en ce moment aux ensembles du char de demain, c’est-à-dire armé d’un canon à âme lisse de 110 ou 120 et une munition-flèche. Autrement dit, si nous ne faisons pas partie du comité germano-britannique du char, nous y sommes quand même par ces études puisque nous travaillons avec les Allemands sur les munitions et les canons de l’avenir.
Avec l’Angleterre, nous travaillons ensemble sur les hélicoptères, le WG 13 (Lynx), le SA 330 (Puma), le SA 341 (Gazelle). Et puis nous envisageons d’étudier avec eux le sol-air moyenne portée de l’avenir, c’est-à-dire le successeur du Hawk.
Avec l’Autriche, nous travaillons à une tourelle qui est mise sur un châssis fabriqué par eux. Au Brésil nous fournissons des tourelles AML de 90 qui sont montées sur un châssis qui est fabriqué par les Brésiliens.
Avec l’Espagne, vous savez que nous avons en commun une fabrication d’AMX 30. Avec la Suède, nous travaillons sur la sécurité des chars ; en particulier le char « S » suédois est un engin excellent au point de vue de la sécurité et des dangers provoqués à l’intérieur par une explosion ou un coup direct.
Il y a aussi des efforts à faire sur les blindages.
La protection des équipages doit être assurée également grâce aux combinaisons. Les Israéliens l’ont dit, beaucoup d’entre eux ont eu la vie sauve grâce à leur combinaison ignifugée. Nous sommes aussi bien placés dans cette voie. Après avoir fait des études avec les coureurs d’automobiles, les aviateurs et autres spécialistes du combat contre le feu, nous nous sommes aperçus qu’il y avait, pendant les quelques secondes où le char prend feu, quelques instants durant lesquels on pouvait sortir un équipage, à condition que leurs combinaisons soient fabriquées en conséquence, en particulier qu’elles aient une courroie dans le dos de telle sorte qu’on puisse arracher un membre d’équipage même s’il est choqué et peut-être blessé. Les Israéliens qui viennent de faire l’expérience de ce type de combinaison s’en sont fort bien trouvés. Elle est conçue sensiblement comme la nôtre.
Vous me parlez de la guerre électronique. Je ne pourrai pas aller très loin dans ce domaine qui est couvert par le secret. Mais tout ce que je peux vous dire, c’est que nous nous sommes lancés dans cette forme de guerre et que vous voyez ainsi apparaître, dans le plan à long terme, deux régiments de guerre électronique à l’échelon de l’armée, car la localisation des P.C. adverses est essentielle tant pour l’acquisition des objectifs susceptibles d’être pris à partie par les Pluton que pour le brouillage des émissions.
Quant aux contre-mesures électroniques, nous nous orientons, comme je vous l’ai dit, vers un système de transmissions intégré qui nous mettra à l’abri d’un certain nombre de contre-mesures de l’adversaire et qui pourra même nous permettre de prendre un certain nombre de mesures vis-à-vis de lui.
Coproduction et exportation ; sont-elles intéressantes pour nous ? Cela ne nous crée-t-il pas des charges considérables ? Je vous citerai simplement un exemple. Grâce aux ventes d’AMX 30 que nous avons pu faire à travers le monde, actuellement le prix de l’AMX 30 n’a pas augmenté depuis cinq ans, alors qu’il aurait dû normalement augmenter de 10 à 12 %, c’est-à-dire que pour la même somme j’ai 10 ou 12 % de chars de plus.
Quelles sont les contraintes qui empêchent la standardisation ? Est-ce que ce ne sont pas les exigences des états-majors ? Je dis non, pour la bonne raison que nous sommes à peu près d’accord les uns et les autres sur les caractéristiques. Ce qui nous gêne, c’est la protection des industries nationales pour des raisons politiques. Ainsi, il ne fait pas de doute que nous avons échoué dans la construction d’un char franco-allemand uniquement sous la pression conjuguée des fabricants de moteurs allemands et des fabricants de canons britanniques qui ont voulu vendre leur 105 aux Allemands. À partir du moment où l’on voulait mettre dans ce char franco-allemand un moteur allemand qui n’entrait pas à l’intérieur de la coque française et un canon britannique, pour des raisons politiques, à partir de ce moment-là, il n’était plus question de faire un char franco-allemand, et ceci au grand dam des deux industries.
C’est donc beaucoup plus souvent la pression des industriels ou des politiques qui nous empêche de faire la standardisation que nous voudrions, et non pas celle des états-majors.
Vous me posez la question des stocks de guerre. Je ne vous dirai pas combien nous avons de jours de stock, ceci est couvert par le secret. Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’une journée de feu du corps de bataille de l’avenir, ce sera près d’un milliard de francs actuels. Par conséquent, si vous demandez trop de jours de stocks, dans un budget constant, ce sont les constructions qui en pâtiront. Il faut donc calculer dès maintenant, en faisant de la recherche opérationnelle, combien de temps un conflit moderne peut durer et ne pas accumuler des stocks de munitions extraordinaires dans nos dépôts qui se constitueraient aux dépens des matériels, car en définitive, tout ceci est dominé par le pourcentage du PNB consacré à la défense dont nous parlerons tout à l’heure.
Accepteriez-vous un matériel étranger ? Bien entendu. Actuellement, pour l’armement individuel moderne, nous avons quatre armes en concurrence, une arme belge, une allemande, une américaine, une française. Le ministre prendra sa décision dans quelques mois. Tous les tests ont été faits, je souhaite seulement que l’on prenne la meilleure et que, pour des raisons politiques, je n’hérite pas de la plus compliquée, c’est-à-dire, en ce domaine, de la moins fiable.
L’absence apparente de menaces immédiates, le principe même de la dissuasion — l’arme atomique est « l’arme de la non-guerre » — ne risquent-ils pas d’entraîner une démobilisation des esprits ?
Vous avez raison de parler d’absence apparente de menace, car en fait non seulement les menaces persistent mais elles deviennent même redoutables. Ce monde est dangereux parce qu’il est en déséquilibre, certains pays voisins proposent des idéologies différentes et n’ont pas renoncé à imposer la leur, certains autres n’acceptent pas leurs frontières actuelles et le clament très fort, d’autres enfin sont « armés jusqu’aux dents ». comme on disait autrefois. Or, à partir du moment où l’on est en possession d’un armement très puissant et très diversifié, la tentation est grande de se servir de cette puissance et le président Pompidou avait raison de dire qu’il n’y a que « les innocents ou les rêveurs qui ne croient pas aux menaces ».
Vous me dites que le principe de la dissuasion est celui de la non-guerre, c’est exact, mais pour que la dissuasion soit effective, il y faut un minimum de conditions.
La première est que la capacité de destruction des forces de dissuasion soit suffisante pour faire réfléchir un éventuel agresseur. Avec quelques bombes et quelques faibles moyens de lancement ou de pénétration, la force de dissuasion ne serait pas crédible ; il faut un effort permanent pour la maintenir à un certain niveau de capacité de destruction.
La seconde est que ces forces nucléaires soient protégées et bien gardées, en sorte qu’elles puissent être mises en œuvre quelles que soient les menaces, les tentatives de neutralisation ou de destruction éventuelles de l’agresseur contre les sites, les bases ou les chaînes de commandement.
À partir du moment où un pays comme la France s’est doté de forces nucléaires stratégiques, il faut qu’il les défende, d’où l’obligation de la DOT. Il faut qu’il défende ses rivages, d’où l’obligation de la défense maritime du territoire. Il faut qu’il défende son espace aérien, d’où l’obligation de la défense aérienne du territoire. DOT, DMT, DAT sont indispensables à la dissuasion. Tous les textes relatifs à ces défenses sont prêts maintenant et toutes les responsabilités de commandement sont bien définies. La DOT est essentielle pour la dissuasion car, je le répète, c’est peut-être sur le territoire national que nous serons menacés avant même de l’être à nos frontières. Or, notre vulnérabilité reste grande ; on peut s’en rendre compte par le nombre de points sensibles prioritaires que nous avons à défendre. Quand j’ai pris mon commandement, je me suis trouvé devant un certain chiffre de PSP, maintenant je dois en protéger le double. Pourquoi ? Parce que tout ce système de commandement de la FNS a besoin de moyens de transmissions de plus en plus évolués pour faire en sorte qu’à aucun moment il n’y ait rupture dans la chaîne de commandement ; or, tout ceci se traduit par des relais qu’il faut garder, des installations qu’il faut conserver en état, quoi qu’il arrive, et en conséquence ce sont des unités des forces du territoire qu’il faut mettre à la disposition de la défense. Sans les 77 régiments d’infanterie divisionnaire, cette tâche me paraîtrait, à moi qui en suis responsable, presque insurmontable.
Est-ce que les unités de DOT sont chargées de faire le maintien de l’ordre ? Je réponds non. Les unités qui en sont chargées sont des unités de première et de deuxième catégories : police, gendarmerie mobile et CRS. Nous sommes des unités de troisième catégorie et nous n’intervenons que s’il y a réquisition du ministre de l’Intérieur. Mais nous sommes capables de défendre nos installations. Il y a un règlement que chacun connaît maintenant, depuis la campagne d’Algérie au cours de laquelle un certain nombre d’unités se sont trouvées dans l’obligation d’assumer des missions de défense de points sensibles, tous les cadres connaissent très bien ce règlement et toutes les unités sont entraînées à accomplir ce genre de mission. C’est en ce sens seulement que l’armée coopère au maintien de l’ordre public, puisqu’il s’agit de sauvegarder ce qui est menacé ou ce qui pourrait l’être.
Est-ce que nous sommes capables de faire du combat de rue ? Bien sûr, cela fait partie de l’entraînement de toute armée de terre. Comment aurions-nous libéré Paris en 1944, si nous n’avions pas été capables de faire du combat de rue ? Tous les centres d’entraînement commando ont une phase d’instruction qui est consacrée à la défense et à l’attaque dans les localités. De même, dans certains camps, comme au Ruchard et à Canjuers, nous avons des installations où nos unités s’entraînent sur des villages en bois ou abandonnés par les populations.
Est-ce que les cadres sont préparés à une guerre moderne qui serait rude, brutale, exigeant un effort physique considérable ? Oui sans aucun doute. Du fait des réductions d’encadrement par suite de la déflation, les cadres sont en effet actuellement absents entre 120 et 150 jours de leur garnison et ils vivent alors avec la troupe ; par conséquent, qu’on ne vienne pas dire que les jeunes du contingent n’ont rien à faire. C’est faux. Je suis beaucoup plus sollicité par des lettres de parents qui se plaignent de ce que leurs enfants sont fatigués au service militaire que de gens qui me disent qu’ils n’ont rien à y faire. Les artilleurs, en particulier, sont l’objet des protestations des familles parce que leur rythme d’activité est très intense. Par conséquent, toutes ces accusations sont des ragots que vous devez démentir, vous membres de l’Institut de la Défense Nationale. Il y a très peu de garçons qui fassent un service militaire oisif. Il y a évidemment bien des fils de bourgeois et d’intellectuels qui ont demandé à faire leur service militaire à Paris ou d’autres grandes villes et qui sont surqualifiés pour la fonction qu’on leur a donnée à assumer, ils en sont honteux et leur seul moyen de défense est de critiquer le service militaire et d’alimenter les querelles de certains journaux, qui recueillent ce genre de lettre comme les poubelles récoltent les ordures.
Le moral des Armées est-il vulnérable ? Oui, il l’est, précisément par suite de ces attaques dans la presse auxquelles nous ne pouvons pas répondre, car nous sommes obligés à un minimum de réserve, mais il va certainement falloir qu’on change ces habitudes et que nous ayons de temps en temps, à la télévision par exemple, une soirée pour nous défendre. Nous nous faisons forts, alors, avec quelques collaborateurs, de démolir en quelques heures d’émission toutes les inexactitudes que nous lisons quotidiennement.
Il faut aussi revaloriser la condition militaire si l’on veut entretenir le moral. Il n’est plus possible de demander à des jeunes cadres d’être si souvent absents de chez eux sans avoir une compensation quelconque. C’est devenu impossible dans le monde actuel, où tout travail supplémentaire est rétribué. Cette compensation est prévue dans le budget de l’année prochaine pour un certain nombre de cadres par une sorte de prime dite de service en campagne qui serait un peu l’équivalent de la prime à la mer de la Marine ou des heures de vol de l’Armée de l’Air.
La modernisation des matériels influence aussi le moral et la capacité opérationnelle des unités. Je vous ai dit quel âge atteindront certains de nos matériels. Le char AMX 13 30 ans, l’EBR Panhard 25 ans, le fusil 33 ans. Si l’on ne renouvelait pas ces matériels, le moral de l’Armée de Terre s’en ressentirait cruellement et dangereusement.
Venons-en aux questions concernant le budget.
Étant donné le volume du budget (4) et la difficulté de modifier sa répartition actuelle entre les différents titres, l’Armée de Terre pourra-t-elle faire face aux dépenses de fonctionnement et de modernisation de ses différentes forces ?
Quelles améliorations et simplifications les nouvelles règles de gestion, en particulier celles concernant les budgets de fonctionnement, ont-elles apportées à l’administration des unités ?
Je commencerai par répondre à la deuxième question. Les améliorations et simplifications de gestion, nous les recherchons dans la décentralisation des organismes de gestion dont j’ai parlé tout à l’heure et dans les budgets de fonctionnement. Les avantages apportés dans l’administration des unités consistent en une certaine liberté de choix laissée aux chefs de corps qui peuvent ainsi faire des économies dans un secteur d’activité pour faire un effort ailleurs. Cela leur rend des responsabilités et les protège des initiatives parfois intempestives de la hiérarchie.
Quant au budget, il faut d’abord rappeler quelques chiffres très simples. La part de notre défense dans le PNB est actuellement de moins de 3 % alors que celle des puissances nucléaires est de 14 % en U.R.S.S., 13 % en Chine, 7,7 % aux États-Unis, 4,7 % en Grande-Bretagne. Des pays tels que la R.F.A. y consacrent 4,5 %, l’Allemagne de l’Est 5,7 %, la Pologne 5,2 %, la Tchécoslovaquie 5,7 %, alors qu’elles n’ont pas de charges nucléaires. Il est donc évident que nous avons un effort à faire sur le budget militaire si nous voulons réaliser les plans à 15 ans des trois armées et de la FNS.
Je le dis avec la plus grande netteté : il faut augmenter le pourcentage du PNB consacré à la défense, ou alors il faut changer les missions et probablement notre politique de défense.
Est-ce que la « miniaturisation » de l’Armée de Terre pourrait amener des économies ? Qu’appelle-t-on la miniaturisation de l’Armée de Terre ? Est-ce lui enlever une grande unité ? J’ai répondu tout à l’heure. Ce n’est certainement pas non plus réduire les forces de DOT consacrées à la protection du dispositif nucléaire, sinon ce ne serait pas la peine d’avoir une FNS dès lors que quelques commandos de saboteurs bien entraînés pourraient neutraliser ses bases. Le corps de bataille ? Je ne vois pas très bien ce que l’on peut lui enlever. Je vous l’ai dit, diminuer la force terrestre d’intervention qui n’est déjà que de deux brigades, ce ne serait pas raisonnable. Par conséquent, du côté de l’Armée de Terre, ou bien on lui change ses missions, ou alors on ne peut rien lui enlever.
Vous pouvez ainsi décider d’un trait de plume : « demain, plus besoin des réserves », moyennant quoi je peux faire de sérieuses économies sur les centres mobilisateurs et la mobilisation, mais je n’assurerai plus la défense du territoire et de la FNS en toute hypothèse. Elle se défendra avec ses secrétaires et quelques gendarmes, c’est-à-dire qu’étant menacée, elle ne sera plus crédible ; de ces choses-là on ne s’aperçoit que lorsqu’il est trop tard pour réagir.
L’Armée de Terre est prête aussi à abandonner un certain nombre de tâches qui lui sont confiées pour les autres armées : par exemple, je peux très bien faire des économies si l’on me dit demain que le recrutement passera dans le secteur civil ou à la charge d’une autre armée. De même les centres de sélection. C’est un travail interarmées dont l’Armée de Terre est chargée qui absorbe beaucoup de monde : 410.000 jeunes passent chaque année par le recrutement : cela représente 420.000 fiches et 250.000 correspondances ; il en passe autant dans les 10 centres de sélection où près de 27 % sont finalement exemptés de service militaire. Pour ces garçons-là et pour les autres, il faut aussitôt faire d’autres dossiers, etc. Les unités de mobilisation ont autant de matériel stocké que les unités en activité en ont en service. Il y a autant de jeeps en stock qu’il y en a en circulation. Il y a autant de camions stockés qu’il en existe dans les unités. Supprimer la mobilisation serait une sérieuse économie, mais alors inutile d’instruire des réserves, et il faudrait se décider pour l’armée de métier et en payer le prix qui est très cher.
J’ai réservé pour terminer quelques questions relatives aux problèmes immobiliers dont on ne mesure pas toujours l’incidence sur notre défense.
L’Armée de Terre dispose-t-elle sur te territoire national des terrains et immeubles nécessaires aux forces françaises actuellement stationnées en Allemagne pour le cas où elles seraient rapatriées ?
C’est un problème très grave et je suis content que vous m’ayez posé la question, car c’est un problème qui est méconnu.
Le plan d’infrastructure à long terme que nous appelons le PIAT est prêt. Tout est prévu pour réinstaller les unités qui rentreraient d’Allemagne, à ceci près que nous avons bien les terrains mais pas les casernements. Autrement dit tout serait à créer. Je ne pense pas que nous ayons un intérêt quelconque à voir rentrer des forces d’Allemagne tant que nous n’aurons pas repris au point de vue économique beaucoup d’oxygène. Notre patrimoine immobilier est vieux et surtout il est inadapté. La plupart de ces casernements étaient faits pour des unités à cheval, qu’elles soient de cavalerie ou d’artillerie ou pour des unités d’infanterie à pied, il y a bien les bâtiments pour mettre les hommes, il n’y a malheureusement pas les annexes pour les garages, les ateliers, etc. En conséquence, ces casernements, il faut que nous les remettions en état. Nous avons commencé ce travail depuis que les unités sont rentrées d’Algérie, mais il n’est pas totalement terminé. Dans un certain nombre de cas, nous n’avons pas intérêt à poursuivre, car nous savons que ces casernements, en pleine ville, sont convoités par les municipalités. D’où ce procédé des « échanges compensés » qui permet à certaines municipalités de régler leurs problèmes en nous rachetant ces vieux casernements, en les démolissant et en construisant à la place soit des cités administratives, soit des logements, soit des places, des parkings… Mais dans cette affaire nous sommes toujours perdants, au moins d’un tiers, car ce sont des municipalités qui nous rachètent ces terrains dont les prix sont estimés par les Domaines, alors que nous les vendrions beaucoup plus cher à des promoteurs. Mais nous n’en avons pas le droit ; nous devons traiter avec l’État et en priorité au bénéfice des collectivités locales. Si bien que tous ces échanges compensés coûtent de l’argent aux Armées. Quand je vois se décider un échange compensé dans une ville, je sais que pour reconstruire le casernement que je vais abandonner, je serai obligé de dépenser au moins le tiers, si ce n’est moitié en plus du prix que je vais recevoir, pour créer un casernement ailleurs. Celui-ci sera neuf, certes, mais il ne sera pas aussi solide que celui que je vais céder. Son entretien coûtera rapidement plus cher parce qu’il aura des installations plus modernes. Les échanges compensés ne sont donc pas une panacée. Nous comprenons très bien que nous soyons obligés d’entrer dans ce jeu mais il faut qu’à l’échelon du contribuable, on sache que de toute façon, cela coûtera à l’État pour refaire un casernement ailleurs.
J’ai évoqué tout à l’heure le problème des camps en disant que nous avions 100.000 hectares de camps alors qu’il nous en faudrait 150.000. Comment ces besoins sont-ils évalués ? Par des normes conformes à celles de l’OTAN, révisées en réduction par nous. Pour faire manœuvrer une brigade dans un camp il faut un camp de plus de 10.000 hectares. En France, il n’y en a que deux : Mailly et Suippes, que je ne pourrai employer à plein que lorsque l’École d’artillerie sera à Draguignan et utilisera à plein Canjuers. C’est la raison pour laquelle nous avons essayé d’installer les écoles au sud de la Loire afin de réserver les camps de Champagne presque uniquement aux unités de manœuvre. Nous utilisons aussi en Allemagne deux grands camps qui nous sont presque entièrement affectés. Le jour où nous serions obligés de faire rentrer nos troupes d’Allemagne il nous manquerait ainsi 50.000 hectares. C’est la raison pour laquelle nous avons étudié l’agrandissement du camp du Larzac. Les militaires n’étaient pas tellement enthousiastes car c’est un camp très rugueux, très rocailleux, difficile de parcours. Mais on nous a dit : « Cela va amener de la vie économique dans le département, ce sont les élus qui le réclament ». Vous savez ce qu’il en est résulté.
Le problème du camp du Larzac est le suivant. Ce camp est trop petit pour y faire manœuvrer une brigade, à preuve que les Britanniques qui s’en servaient lorsque nos forces étaient en Algérie, utilisaient presque tout le département pour manœuvrer. Ils payaient ensuite les dégâts aux agriculteurs et personne ne protestait.
La position de l’Armée de Terre dans cette affaire est la suivante, ou bien on peut agrandir le camp du Larzac et il nous intéresse, étant entendu que les moutons pourront continuer à paître dans tout le camp comme ils le font actuellement, sauf dans le réceptacle des obus, ou bien nous proposerons ce camp à l’Armée de l’Air pour ses tirs en échange du camp de Suippes où elle tire actuellement avec l’Armée de Terre, ce qui n’est pas sans inconvénients. Dans ce cas ce serait les agriculteurs qui seraient perdants, car les gabarits de sécurité des tirs de l’Armée de l’Air étant bien supérieurs aux gabarits des tirs de l’Armée de Terre, il ne serait plus question de laisser paître les moutons sur le terrain militaire.
Toute cette littérature sur le Larzac est excessive. Si vous voulez aller demain dans ce camp, vous y trouverez des milliers de moutons qui broutent tranquillement, sans aucun complexe, les herbages des Armées et dont les pâtres sont familiarisés avec l’organisation de nos champs de tir. Si le camp était agrandi, cela ne poserait pas plus de problème ; s’il était passé à l’Armée de l’Air, alors là il y en aurait.
Je voudrais terminer sur une remarque à propos de la prétendue crise de l’institution militaire. L’Armée de Terre n’est pas du tout ce que l’on croit ; elle n’est pas du tout dans la situation affreuse que prétendent un certain nombre de gens qui ne la connaissent pas. Non, mais elle a vécu bien des réformes, participé à bien des combats, en Indochine avec des soldats de carrière, en Algérie avec le contingent ; nos unités de l’OTAN ont été transportées en Algérie allégées et transformées pour ce type de guerre ; quand la guerre d’Algérie a été terminée, il a fallu les ramener, refaire nos unités du corps de bataille sous la forme que j’ai définie tout à l’heure : une armée, deux corps d’armée, cinq grandes unités. En même temps, nous repensions complètement notre infrastructure des forces du territoire en calquant notre organisation sur celle des civils, c’est-à-dire en mettant les divisions militaires à l’échelon des régions de programme, ce qui nous a donné sept régions, vingt-et-une divisions militaires, et en mettant, à la place des subdivisions, quelque chose de moins coûteux, c’est-à-dire des délégations militaires départementales, si bien que c’est une infrastructure toute nouvelle qu’il a fallu créer. Ceci nous a coûté beaucoup d’argent, et maintenant nous devons absolument revaloriser ce corps de bataille qui est resté dans cette affaire la pièce maîtresse que l’on avait gardée pour la fin. Pourquoi sommes-nous en retard dans sa revalorisation ? Parce que dans la 2e loi-programme on a pris à l’Armée de Terre pour terminer la FNS, soit 4 milliards 4 d’autorisations de programme ; les matériels correspondant à ces sommes seraient aujourd’hui construits et en service. Je n’hésite pas à dire que si on ne fait pas un effort pour l’Armée de Terre dans la 4e loi-programme, toutes les menaces dont vous parlez actuellement risquent de se réaliser. Conséquence désastreuse, vous disposeriez alors d’une Armée de Terre qui ne se croirait plus capable de remplir ses missions. C’est la pire des situations, car elle engendre le découragement, elle est susceptible d’entraîner des départs massifs de cadres. Une armée sans cadres de qualité, c’est une bande ou à la rigueur une milice, mais ce n’est plus une Armée. ♦
(1) Il y en a eu en fait 198.
(2) En fait 215 ont été admis (206 par concours et 9 sur titres).
(3) Dans le projet de budget 1975 cette demande n’a pas été acceptée.
(4) Il s’agit du budget 1974.