Actions internationales - La préparation aux opérations de l'ONU dans l'Armée française
La part croissante prise depuis 1992 par l’armée française aux opérations de l’ONU a conduit l’État-major des armées (EMA), pour ce qui concerne les observateurs, et l’État-major de l’armée de terre (EMAT), pour les cadres et la troupe des unités ainsi que pour les officiers d’état-major, à organiser une formation spécifique « ONU ».
Les officiers observateurs sont formés par l’École interarmées du renseignement et des études linguistiques (Eirel), tant à Strasbourg que dans son annexe de Paris, au cours d’un stage de deux semaines : une semaine de formation linguistique et d’initiation aux procédures de l’ONU (à Strasbourg) et une semaine d’information sur les fonctions de l’observateur ainsi que sur les théâtres d’opérations (à Paris). La formation linguistique porte essentiellement sur l’anglais. Toutefois, les officiers qui sont désignés pour servir à l’Onust, à la Minurso et à la Monuik (1) et qui possèdent déjà une bonne connaissance de l’anglais, reçoivent une initiation à la langue arabe. Au total, l’Eirel forme par an environ 200 futurs observateurs des armées de terre et de l’air, de la marine et de la gendarmerie (2). Quelques officiers reçoivent leur formation linguistique au Centre interarmées de formation de Rochefort (CIFR), qui dépend de la Délégation générale pour l’armement (DGA) et qui présente la particularité d’offrir des stages dits « d’immersion », pendant lesquels les élèves sont plongés chaque jour de 8 heures à 22 heures dans une ambiance totalement étrangère (anglaise, américaine ou allemande) (3).
Les cadres des unités à vocation opérationnelle (de type infanterie, cavalerie blindée, artillerie ou génie) depuis le niveau de chef de section (ou peloton) à celui de commandant de bataillon, reçoivent une formation de deux semaines à l’École d’application de l’infanterie (EAI) de Montpellier. Au cours de leur stage, en plus d’une formation linguistique, les officiers ou sous-officiers reçoivent une information sur leur future zone d’action et apprennent les procédés techniques et tactiques propres à l’accomplissement de missions de maintien de la paix.
Les officiers destinés à tenir un poste logistique ou de transit, dans un état-major ou dans une unité, suivent un stage d’une durée de deux semaines à l’École d’application du train (EAT) de Tours. Ce stage, qui comprend une formation linguistique, initie les officiers au système logistique propre à l’ONU, leur enseigne les procédures en vigueur et leur assure une bonne maîtrise des outils informatiques nécessaires à leur mise en œuvre. À Tours comme à Montpellier, il est fait un large recours, comme intervenants, à des officiers ayant une expérience récente de ce type d’opérations.
Les officiers destinés à servir dans un état-major onusien suivent un stage de deux semaines, pour moitié à l’Eirel (pour une formation linguistique) et pour moitié à l’École d’état-major (EEM) de Compiègne. Au cours de leur séjour dans celle-ci, ils reçoivent une information sur leur future zone d’engagement et ils s’initient aux procédures et aux modes d’action propres à l’ONU. L’accent est mis sur les techniques opérationnelles ou logistiques, selon le poste qui sera tenu.
Chaque division de l’Armée de terre organise par ailleurs en camp un stage de bataillon de deux semaines à l’intention de ses unités désignées pour un service à l’ONU. La fonction première de ce stage est de réaliser la cohésion d’une formation qui est souvent constituée à partir de plusieurs unités, les spécialistes logistiques provenant parfois, pour un même bataillon, d’une dizaine voire d’une vingtaine de corps. Toutefois ce « camp de cohésion » est mis à profit pour donner aux cadres et à la troupe une information sur le théâtre d’opérations (4) ainsi qu’une initiation aux techniques du maintien de la paix. Celles-ci sont, en fait, peu nombreuses. Le souci des cadres est avant tout de sensibiliser leurs hommes aux risques de la vie en ambiance d’insécurité et d’obtenir d’eux une parfaite maîtrise du feu, l’usage des armes n’étant licite que pour la légitime défense, concept facile à énoncer mais très malaisé à mettre en pratique, comme on le voit quotidiennement en Bosnie. De toute façon, le meilleur « soldat de la paix » sera toujours celui qui a été le mieux préparé à faire la guerre ; et comment savoir si l’Opération de maintien de la paix (OMP) ne tournera pas à l’aigre, comme actuellement en Somalie (Onusom), et ne nécessitera pas la mise en œuvre des techniques et des tactiques de combat auxquelles nos cadres et nos soldats sont heureusement préparés ?
L’Organisation des Nations unies n’ayant toujours pas défini de programme d’instruction pour les forces de maintien de la paix ni créé d’école de formation pour les cadres instructeurs des États, il appartient à chaque pays de monter son propre système d’instruction (5). La France se fonde largement sur l’expérience accumulée par son armée depuis 1978 (la création de la Force intérimaire des Nations unies au Liban ou Finul). Elle utilise aussi les documents élaborés par les états-majors internationaux pour le fonctionnement des forces et des groupes d’observateurs et notamment les Standing Operating Procedures (SOP), qui sont des recueils de procédures (schémas d’ordres et de comptes rendus, documents logistiques, etc.). Le Commandement des organismes de formation de l’Armée de terre (Cofat) a rédigé un recueil de savoir-faire « crise » à l’intention des cadres de contact. L’EMA et l’EMAT se penchent par ailleurs avec intérêt sur les expériences réalisées par d’autres pays. Des officiers français ont ainsi visité récemment les écoles de formation « ONU » montées par les pays scandinaves et par l’Autriche, qui possèdent une longue expérience du service au sein de l’Organisation. Ce sont vers ces pays que se tournent naturellement les États qui débutent dans le maintien de la paix et qui n’ont pas encore organisé une formation nationale (6).
La demande étant forte, même de la part de pays qui contribuent depuis longtemps aux forces de l’ONU mais que désoriente l’évolution des opérations, on peut penser que les écoles françaises ne tarderont pas à être également sollicitées pour accueillir des stagiaires étrangers. Ce mouvement va s’accroître avec l’apparition des groupements régionaux (en Afrique, en Asie et en Europe) dans le traitement des conflits locaux. La mise sur pied, par ces organismes, de forces de maintien de la paix et de groupes d’observateurs leur pose de nombreux problèmes, d’ordre éthique aussi bien que tactique et logistique. Riche de son expérience onusienne (7), la France se doit, dans la limite de ses possibilités, d’ouvrir à son tour ses écoles aux officiers étrangers qui seront demain les compagnons des officiers français dans le difficile métier de « combattant de la paix ». À Strasbourg, l’Eirel – pour peu que l’EMA lui en donne les moyens – semble notamment bien placée pour recevoir des stagiaires d’Europe centrale. ♦
(1) Groupes d’observateurs du Proche-Orient, du Sahara occidental et du Koweït.
(2) La France fournit en permanence à l’ONU 120 officiers observateurs répartis entre cinq missions.
(3) Voir l’article de Michel Klen : « La politique des langues dans l’armée de terre » ; Défense Nationale, novembre 1993.
(4) Les cadres des unités ont déjà normalement suivi le stage de Montpellier ou celui de Tours.
(5) Seul existe à ce jour le Guide des forces de maintien de la paix, édité en 1978 par l’International Peace Academy de New York (777, UN Plaza, New York, NY 10017).
(6) Le centre finlandais de Niinisalo, qui forme les officiers observateurs des quatre pays nordiques, reçoit ainsi, entre autres nationalités, des officiers japonais et allemands.
(7) Plus de 40 000 militaires français ont servi à l’ONU depuis 1948 ; 50 d’entre eux y ont laissé la vie (Organisme des Nations unies chargé de la surveillance de la trêve [NDLR 2023 : entre Israël et les États arabes] ou Onust : 7 ; Finul : 25 ; Forpronu [ex-Yougoslavie] : 14 ; Onusom : 1 : Apronuc [Cambodge] : 3).