Allocution du Cemaa à l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) le 23 avril 1974.
Entretien avec le Chef d'état-major de l'Armée de l'air (Cemaa)
Le Général Callet, Directeur de l’Institut, m’a adressé vos questions. J’essaierai d’y répondre de mon mieux. J’ai dû évidemment en regrouper un certain nombre dont les sujets étaient suffisamment proches pour pouvoir faire l’objet d’une seule réponse sous la forme d’un exposé particulier.
Je commencerai par une question d’actualité qui m’a été posée sur les enseignements de la guerre du Kippour. La voici :
Quels enseignements pour la mise en œuvre des matériels et sur le plan de la tactique en ce qui concerne la défense antiaérienne peut-on tirer de la guerre du Kippour ?
C’est une vaste question, tout à fait d’actualité. Ma réponse sera assez longue car nous touchons là à un problème complexe.
Au cours de cette guerre, ce qui a frappé les esprits ce sont la quantité et la qualité des matériels d’armement utilisés et l’énormité de la « casse » : 2.800 chars et 520 avions détruits, 3.000 missiles tirés. C’est là une perte considérable pour la période de temps relativement courte qu’a duré cette guerre. Je crois cependant qu’il faut se garder de toute transposition de ce qui s’est passé au Moyen-Orient sur d’autres théâtres d’opérations éventuels. Il y a en effet un certain nombre de facteurs très particuliers.
Tout d’abord il s’agissait d’un conflit conventionnel ; toute déduction concernant un conflit nucléaire me paraît extrêmement délicate. Ensuite, la bataille s’est déroulée sur un théâtre d’opérations très particulier de par sa géographie, son relief, son climat. Enfin et surtout, les opérations ont été extrêmement statiques. J’insiste sur ces trois caractéristiques car en ce qui concerne la défense antiaérienne elles pèsent lourdement sur la conception qu’on peut s’en faire. Pour ce qui est du théâtre d’opérations et de ses caractéristiques, météorologiques en particulier, tout s’est joué par temps clair, avec toutes les facilités qui en découlent pour l’assaillant aérien comme pour celui qui se défend au moyen de missiles ou de canons.
Il est certain que les préoccupations qui sont les nôtres ne peuvent pas se limiter au « temps clair ». Il nous faut penser au « tout temps » si nous voulons avoir, sur un théâtre européen, une capacité de permanence d’action de l’arme aérienne.
En ce qui concerne la conception conventionnelle du conflit, il n’est pas besoin d’insister sur le fait que notre préoccupation est d’un tout autre genre actuellement. Cela ne signifie pas que nous n’ayons pas de préoccupations dans le domaine conventionnel mais elles ne constituent pas l’essentiel, et notre conception a une tout autre dimension puisque nous sommes dans le cadre d’une stratégie de dissuasion nucléaire.
Enfin, j’insisterai surtout sur la stabilité ou plutôt la mobilité très réduite du front. À mon sens, on ne l’a pas assez soulignée. Or, c’est un facteur extrêmement important, car la logistique de tous les systèmes de défense antiaérienne s’est avérée très lourde au cours de cette guerre. Que se serait-il passé si ce front s’était déplacé à la suite d’une avance relativement rapide ? On aurait pu s’attendre à de grandes difficultés de ravitaillement, d’autant que de grandes quantités de missiles ont été tirées. Mais les difficultés n’auraient pas été moins grandes dans le domaine tactique. En effet, les SAM 6 ont été installés sur la rive Est du canal, du côté israélien, sous la couverture de SAM 6 et de SAM 3 restés de l’autre côté. Il y a donc eu un mouvement en « échelle de perroquet » après le franchissement du canal. Il eut été intéressant de voir comment ce mouvement se serait poursuivi à mesure que le front se serait déplacé. À défaut de l’avoir vu, on peut essayer d’imaginer ce qui se produirait en pareil cas : il est évident qu’une partie importante, peut-être la moitié des systèmes d’armes engagés, aussi bien canons que missiles d’ailleurs, serait inutilisable pendant le mouvement. Cela revient à dire qu’on serait devant le dilemme : ou bien augmenter le nombre des matériels et par conséquent alourdir encore la logistique, ou bien consentir une diminution de la densité de feu.
En ce qui concerne l’emploi des systèmes d’armes durant le conflit, il faut savoir que le meilleur score a été réalisé par les armes automatiques et plus précisément par les quadritubes de 23 mm à qui, semble-t-il, on peut attribuer plus du tiers des résultats, aussi bien du côté syrien que du côté égyptien en matière de défense antiaérienne. Viennent ensuite, et assez loin derrière, les SA 6 et les SA 7 et enfin les SA 3 qui étaient déjà connus ; à peu près au niveau de ces derniers se situe le quadritube de 57 mm. Mais il y a un missile dont on a peu parlé et qui, de tous les missiles, a réalisé le meilleur score, c’est le Hawk, employé du côté israélien. C’est quand même intéressant à savoir puisqu’il est encore en service dans les armées occidentales. Quant au SAM 6, qui est le missile dont cette affaire a assuré la popularité, son efficacité a été de 5 % (on en a tiré près d’une centaine pour abattre 5 avions). Ceci rejoint ce que je disais tout à l’heure du poids très lourd de la logistique qui aurait été encore plus durement ressenti si cette guerre avait été une guerre de mouvement.
Du côté israélien, l’effet de surprise a été considérable. Il a été provoqué autant par la quantité d’armes antiaériennes que par leur qualité. On se l’explique assez mal cependant car la guerre au Nord-Vietnam, du point de vue de la défense antiaérienne, avait déjà bien montré dans quelle voie s’engageaient les conflits de ce genre. Les pertes au Nord-Vietnam furent assez lourdes : 25 appareils pour 10.000 sorties — moins cependant que celles de la dernière guerre mondiale : 90 appareils pour 10.000 sorties. Elles conduisirent les Américains à monter des expéditions beaucoup plus lourdes que celles auxquelles ils avaient d’abord pensé. Ces expéditions, à la fin, comportaient un petit noyau d’avions attaquants et un nombre beaucoup plus grand — jusqu’à trois fois plus dans certaines circonstances — d’avions porteurs de contre-mesures électroniques ou d’avions spécialisés dans l’attaque des systèmes antiaériens.
Si les Israéliens n’ont pas, d’entrée de jeu, utilisé ce procédé, c’est sans doute parce qu’ils n’avaient pas des moyens assez nombreux pour monter des expéditions de ce genre, mais aussi parce qu’ils ont été surpris et qu’ils ne disposaient pas des contre-mesures nécessaires, en tout cas pas de celles concernant le SA 6. Il en résulta des pertes de 100 avions pour 10.000 sorties, taux supérieur à celui de la dernière guerre mondiale ; ce taux a été particulièrement élevé pour les trois premières demi-journées pendant lesquelles est revenu à l’aviation israélienne l’honneur de sauver son pays, car rien n’était prêt au sol pour cette bataille… L’aviation israélienne s’est donc trouvée seule face aux armements dont je viens de parler, sans aucun support au sol, notamment sans support d’artillerie, alors qu’on sait le très grand rôle que celle-ci a été appelée à jouer par la suite dans la destruction des sites des missiles.
Sans vouloir extrapoler plus qu’il ne convient, quels enseignements retiendrai-je de ce conflit pour ce qui nous concerne ? Ceci tout d’abord : il faut reconnaître que des progrès considérables ont été faits en matière d’armements de défense antiaérienne, aussi bien canons que missiles. J’insiste plus particulièrement sur l’efficacité des canons. Il faut par conséquent s’attendre à l’avenir, pour un certain nombre d’objectifs, y compris les objectifs tactiques, à des expéditions beaucoup plus lourdes que celles que nous avions envisagées au cours de ces quinze dernières années, à des expéditions qui ressemblent beaucoup plus à celles de la dernière guerre et qui comportent des avions attaquant l’objectif principal, des avions attaquant les défenses et des avions de contre-mesures. Dans ce dernier domaine il nous faut mener une politique extrêmement ferme et dynamique, faire preuve de beaucoup d’imagination, une imagination basée sur des informations aussi précises que possible. Cette politique de contre-mesures doit consister à avoir prêts, « dans notre tiroir » si je puis dire, un certain nombre de matériels de contre-mesures permettant de répondre chaque fois que l’adversaire met en œuvre un système d’armes nouveau.
Je dois reconnaître que ceci est facile à dire mais bien plus difficile à faire, sur le plan technique aussi bien que sur le plan opérationnel. Pour lutter contre les systèmes à évasion de fréquence d’aujourd’hui, force est soit d’avoir recours à des dispositifs de contre-mesures assurant une recherche de fréquence automatique aussi rapide que possible, soit, le plus souvent maintenant, de mettre un homme à bord pour s’occuper uniquement des contre-mesures et pour utiliser le meilleur système au moment voulu. Mais il y a surtout l’aspect coût de cette lutte, car les contre-mesures coûtent très cher, ce sont des matériels très « avancés » dont on a besoin en toutes petites quantités, difficiles à exporter et dont on ne peut espérer réduire le prix de revient par allongement des séries. Voilà ce que je peux vous dire à propos de cette guerre du Kippour.
Je passe maintenant à une double question posée par MM………… sur la détection et la défense aérienne à basse altitude.
La détection à basse altitude constitue une lacune dans notre réseau de défense aérienne. Que prévoit-on à l’avenir pour remédier à cette insuffisance ?
La défense aérienne du territoire comprend un réseau radar relativement léger : est-il envisagé d’en accroître les performances ?
Le réseau radar français n’est pas léger ; ce n’est pas le qualificatif que j’emploierais. C’est un réseau qui est orienté vers la moyenne et la haute altitude, qui est complexe et qu’à cet égard je qualifierais plutôt de lourd, qui est automatisé et assez bien protégé contre les agressions en guerre électronique puisqu’il comprend des systèmes d’évasion de fréquences, et qui est tout à fait moderne puisque le radar de base de ce système, le « Palmier », a été acquis par l’OTAN au titre de la protection en Europe et par d’autres nations hors de l’OTAN. Le seul point qui ne soit pas satisfaisant c’est que nous ne couvrons pas suffisamment la basse altitude. En effet, techniquement, c’est un problème difficile. On peut le résoudre de plusieurs façons. On peut par exemple mettre en vol des avions porteurs de radar — hier le système EW (Early Warning), maintenant le système AWACS (Advanced Warning Airborne System) constitué par des appareils capables de faire une veille en vol et de surveiller toutes les altitudes, en particulier les basses altitudes. Inutile de dire qu’un tel système aérien coûte fort cher en entretien, d’autant plus que pour être efficace il faut qu’il soit automatisé et que ces avions en vol doivent donc, en ce qui nous concerne, être reliés au système STRIDA afin que les informations recueillies en vol puissent être exploitées dans les meilleurs délais.
La deuxième solution consiste à disposer au sol de stations qui doivent être très nombreuses — car on se heurte toujours au problème de la courbure de la terre — et en des sites particulièrement choisis, voire situés au sommet de tours. Les Allemands de l’Ouest ont choisi un système de ce genre, dont ils n’ont d’ailleurs pas couvert tout leur territoire mais qu’ils ont échelonné le long de leur frontière à l’Est et qui, de ce fait, est seulement un système d’alerte manquant de profondeur.
Il y a une troisième solution qui est de faire une certaine impasse sur la basse altitude pour l’ensemble du territoire et d’attendre l’adversaire sur les objectifs essentiels, et c’est ce que nous avons fait jusqu’à présent faute de mieux ; c’est-à-dire que nous avons mené une politique de défense antiaérienne des points sensibles à basse altitude en mettant autour de ces points les armes qu’il y faut et en espérant avoir une alerte dans des délais suffisants, soit à partir du réseau OTAN et du dispositif allemand dont je viens de parler, et qui a son importance au point de vue des délais d’avertissement, soit à l’aide du guet-à-vue, car le guet-à-vue, constitué par de petits postes le long de la frontière et sur les côtes, reste encore aujourd’hui un système très intéressant que nous testons tous les ans au cours de nos manœuvres. Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls à nous servir d’un système de ce genre.
Que ferons-nous dans le futur ? Nous sommes très intéressés par l’AWACS consistant en un Boeing 707 portant un énorme radar avec une station automatisée en vol. Les Américains cherchent à intéresser l’OTAN à ce système. Une solution consisterait à nous y abonner en payant notre quote-part. Une autre solution, qui consisterait en stations fixes sur des tours ou sur des sites particuliers, ne me paraît pas satisfaisante. Elle demanderait beaucoup trop de matériel, coûterait très cher, et nous ne couvririons jamais la totalité du territoire. Je ne pense pas que ce soit celle que nous adoptions finalement.
Il y a une autre solution qui consiste à utiliser l’ACF, l’avion de combat futur, dont nous reparlerons dans un instant, qui a un radar couvrant la basse altitude et qui peut, sur une portion de territoire autour de son itinéraire, voir ce qui se passe vers le bas et mener par conséquent des opérations de défense aérienne à basse altitude avec ses seuls moyens.
Il y a enfin — et cela bien sûr nous le faisons déjà et le poursuivrons — l’utilisation de radars qui ont des sites très intéressants, notamment les radars qui bordent la Méditerranée, qu’ils soient français ou qu’ils appartiennent à d’autres pays.
Je passe maintenant à des questions concernant les programmes aériens. MM …………me demandent :
Le Mirage IV aura-t-il un successeur ou bien ses missions seront-elles également confiées à l’ACF (l’avion de combat futur) ? Quel est l’avenir prévisible du bombardier piloté ? Que pouvez-vous nous dire du bombardier B. 1 actuellement construit par les États-Unis ?
Le problème de l’avenir des bombardiers pilotés revient périodiquement comme un « serpent de mer »… Il est certain que le programme américain B. 1 et le programme soviétique « Backfire » prouvent que les deux Grands jugent indispensable de donner des successeurs aux avions pilotés et y attachent du prix. Je vous parlerai tout à l’heure du coût des avions et vous verrez alors comment, à cet égard, se situe le B.1. Inutile d’insister sur ce qu’est le B.1 dont la presse a déjà beaucoup parlé. Je dirai simplement, pour donner des chiffres qui me paraissent situer de façon frappante l’ambition de ce programme, que le B.1 est un avion de 180 t volant au moins à Mach 2 en altitude et à très grande vitesse à basse altitude, et qu’il est construit pour emporter plusieurs dizaines de missiles air-sol. Du côté français, nous sommes beaucoup plus modestes -, nous reparlerons de l’ACF tout à l’heure.
Le Mirage IV aura-t-il un successeur ? Est-ce l’ACF ? Non, le Mirage IV, le gouvernement l’a décidé, sera prolongé au-delà de 1980 et nous nous employons à faire ce qu’il faut, visites et révisions majeures, pour le prolonger, car c’est un matériel qui a encore aujourd’hui sa valeur, pour peu qu’on continue à le doter des contre-mesures électroniques nécessaires. C’est ce qui se fait, et le Mirage IV aura ainsi connu au cours de sa vie plusieurs générations de contre-mesures. Mais dans les plans à long terme il ne lui est pas prévu de successeur. Je le regrette pour ma part car je pense que la composante aérienne de la dissuasion a son importance parce qu’elle impose à l’adversaire l’obligation d’une grande diversification de ses moyens de défense. C’est en outre une composante dont l’effet de démonstration est imposant, on l’a bien vu au moment de l’affaire de Cuba. Enfin, nous ne savons pas ce que sera dans l’avenir l’évolution des défenses ; il sera probablement intéressant d’avoir des possibilités de pénétration dans tous les domaines et l’avion, à cet égard, a encore des possibilités.
Le programme de l’ACF est né en vue de donner un successeur non pas au Mirage IV mais au Mirage III. C’est dire qu’il a, en matière de pénétration, des ambitions tactiques et non pas stratégiques. J’y reviendrai dans un instant.
Toujours sur les programmes, MM ………… posent deux questions :
Pouvez-vous nous donner des précisions sur le missile air-sol à haute portée, dont a parlé la presse, équipé de l’arme nucléaire ? Quel seront le mode de guidage retenu et la précision escomptée ?
Les forces aériennes françaises envisagent-elles de se doter de bombes guidées par rayon laser ?
Le missile prévu pour l'ACF est l’une des solutions pour pénétrer les défenses antiaériennes que j’évoquais tout à l’heure et dont l’efficacité est celle que j’ai dite. En effet, dans la pénétration à basse altitude d’un avion à grande vitesse, il y a deux difficultés : la première vient de ce que cette grande vitesse est cependant relativement réduite — elle est proche de celle du son mais pas plus — la seconde vient de ce que l’avion constitue un objectif radar considérable. Sur l’écran radar il présente une tache importante qui le fait facilement déceler. Le missile a l’avantage d’éviter ces deux inconvénients : d’une part, il peut s’approcher de l’objectif à une vitesse de l’ordre de Mach 2 à Mach 2.5, d’autre part il présente au radar adverse ce qu’on appelle une surface équivalente qui peut être très faible (pour un avion, cette surface se compte en mètres carrés ; pour un missile, l’ambition est de parvenir au décimètre carré). Ceci fait qu’à basse altitude un missile a toutes les chances de pénétrer. D’où le programme du missile de l’ACF, qui est de l’ordre d’une tonne, avec une charge nucléaire de plusieurs centaines de kilotonnes et une pénétration à basse altitude sur environ 80 km, étant entendu qu’il y a plusieurs modes de pénétration et qu’en utilisant celui à haute altitude, le rayon d’action peut être doublé. Le troisième avantage de la pénétration à basse altitude est qu’aux difficultés de détection du fait de la taille et de la vitesse du missile, s’ajoute celui de la faible hauteur au-dessus du relief. Il est prévu un système de suivi du terrain qui fait que la trajectoire du missile épouse le relief. Un problème difficile était celui de la navigation, le missile devant avoir un moyen autonome de navigation. Le problème a été résolu. Il y a, à bord du missile, un système à inertie qui est recalé sur le système à inertie propre à l’avion. La précision d’un missile dépend à 90 % de celle des informations fournies par l’avion.
Elle peut être satisfaisante car le parcours de l’avion est suffisamment long pour être recalé et celui du missile est relativement court.
En ce qui concerne l’utilisation de moyens de guidage extrêmement précis, laser essentiellement, pour guider des armements conventionnels, bombes, missiles et roquettes, nous avons effectivement un programme sur lequel il ne m’est pas possible de m’étendre. Je dirai seulement que nous n’avons pas encore arrêté toute la gamme des armements qui pourraient recevoir un tel système de guidage. Il est possible que, fin 1976, un certain nombre de « Jaguar » puissent en être dotés.
Voici maintenant quelques précisions sur l’ACF, sur les prix et les difficultés de réalisation. Ceci répond à la question très précise de Madame
Les avatars financiers et techniques de « Concorde » proviennent, semble-t-il, de la quasi-impossibilité en aéronautique de concilier les très hautes performances, en particulier de vitesse, de rayon d’action et de charge marchande. Le même problème semble devoir se poser pour notre programme d’ACF qui prétend, autour d’une même cellule équipée des mêmes réacteurs, développer deux versions : interception et pénétration lointaine. Comment espérez-vous résoudre techniquement l’autonomie des brillantes performances nécessaires à la première et du rayon d’action assorti d’une large charge marchande indispensable à la seconde ? Comment pensez-vous dans ces conditions éviter l’écueil des prix prohibitifs que le « Concorde » a mis en évidence ?
Je voudrais d’abord vous parler des prix et prendre la question par sa fin. Mais, lorsqu’on parle prix, il faut bien préciser de quoi l’on parle, car il y a trois prix. Il y a d’abord ce qu’on appelle le « prix fly away » qui est le prix mondial. C’est le prix de l’avion tout nu, prêt à voler, qu’on vous livre sur la piste. Ce prix ne comprend ni les éventuelles taxes, ni les rechanges, ni les armements spéciaux, ni les matériels de servitude. Les Français ont inventé le « prix unitaire en vol » qui comprend les taxes françaises et il y a enfin un « prix unitaire budgétaire » qui comporte par unité tout ce qui va avec l’avion pour plusieurs années : volants, rechanges divers, matériels de servitude, etc. … Je parlerai ici en prix unitaire en vol parce que c’est le plus significatif pour nous. En prix unitaire en vol, un Mirage III E, en francs 1974, vaut 9 millions. Un F. 1, qui est un avion monomoteur, monoplace, répondant aux mêmes besoins, mais mieux, de façon plus moderne, vaut 21,6 millions. Un avion de combat futur tel qu’il est prévu vaudrait jusqu’à 50 millions, chiffre d’ailleurs contesté, vous l’imaginez… Un F. 15, appareil américain qui se rapproche un peu de l’ACF, peut être évalué à 65 millions et un F. 14, appareil extrêmement complexe qui fait tout ce que peut faire un avion dans le domaine de la défense antiaérienne, à partir d’un porte-avions, vaut aux environs de 70 millions. C’est également ce que vaut, je crois, un M.R.C.A. (multirole combat aircraft). Quant au B. 1 dont je parlais tout à l’heure, il peut être estimé à 300 millions. Voilà dans quelle gamme de prix il faut situer le problème de la production en série. Cela dit, je vais maintenant répondre à la question de la contradiction apparente entre les impératifs d’une mission d’interception et ceux d’une mission de pénétration.
Il est vrai que les qualités que l’on demande à l’un et à l’autre type d’appareil ne sont pas les mêmes. Cette différence est encore plus nette lorsqu’on veut un avion de supériorité aérienne. L’intercepteur, c’est l’avion qui monte, qui attend et qui, lorsque l’objectif est désigné, accélère, tire un missile et rentre à sa base. L’avion de supériorité aérienne, c’est un avion qui, outre tout cela, peut — c’est une expression du jargon aéronautique — « s’enrouler », c’est-à-dire évoluer pour participer à un véritable combat aérien, et cela implique des caractéristiques très différentes de celles que l’on réclame d’un avion de pénétration à basse altitude. À la suite d’une étude de programme menée avec la D.T.C.A. — Direction technique des constructions aéronautiques — et le constructeur, nous avons examiné les retombées possibles d’un avion qui aurait à la fois la capacité d’interception et celle de supériorité, nous avons constaté qu’en réclamant un rapport poussée/poids voisin de 1 pour le combat, en imposant un volume relativement important pour mettre une antenne radar capable de détecter des avions à grande distance et à basse altitude, nous avions une retombée intéressante qui était celle d’un rayon d’action de plus de 800 km, à basse altitude, et nous nous sommes estimés satisfaits.
Dans le domaine tactique, ce rayon d’action correspondait en effet à ce que nous souhaitons : avoir un appareil pouvant couvrir au moins 800 km, avec une charge nucléaire portée par le missile air-sol dont j’ai déjà parlé, à une vitesse suffisante pour présenter à l’adversaire une difficulté dans le domaine de la défense antiaérienne, et permettant au point de vue place et poids d’installer à bord des contre-mesures. Pour réaliser tout cela, nous avons réussi un compromis, mais nous avons eu beaucoup de chance. Cette chance a été que, pour les missions de l’époque, on puisse faire tout cela avec deux moteurs du type M.53 et avec un avion d’une vingtaine de tonnes environ. Ce n’était pas possible hier, ce ne le sera peut-être plus en 1985 ou 1987 pour un nouveau programme d’avion. Vous aviez donc raison en parlant d’antinomie, mais nous avons eu la chance de pouvoir l’éviter dans le cadre du programme ACF. Le gros problème pour un avion comme l’ACF, c’est celui du prix. Or, l’ACF a pour lui d’être équipé de deux moteurs d’un type relativement rustique par rapport à ceux du M.R.C.A., du F 5 ou du F. 14. Si nous sommes capables de tenir les prix qui devraient être ceux d’un avion plus simple que les concurrents que je viens de citer, et en particulier plus simple que ceux à géométrie variable — nous avons pu l’éviter — nous aurons alors un avion tout à fait compétitif. Si nous ne sommes pas capables de tenir les prix, alors il faut nous attendre à de graves ennuis…
Ceci m’amène à répondre aux questions posées par MM …………
Le niveau actuel du budget des Armées vous paraît-il suffisant pour remplir les missions qui leur sont fixées ? La répartition actuelle entre dépenses d’équipement et dépenses de fonctionnement vous paraît-elle satisfaisante ?
La répartition entre dépenses d’équipement et dépenses de fonctionnement a beaucoup varié au cours de ces dernières années, elle n’est pas la même d’une année à l’autre. L’Armée de l’Air en est aujourd’hui à 46 % pour le Titre III (fonctionnement) et 54 % pour le Titre V (équipement). Ces proportions sont à peu près les mêmes pour la Marine. L’Armée de Terre, quant à elle, a actuellement un pourcentage du Titre III nettement plus important. Dans les années à venir, les efforts qu’il faudra faire en faveur des personnels, si nous voulons les garder, seront tels que peu à peu le Titre III prendra le pas sur le Titre V. C’est le cas d’ailleurs dans un certain nombre de pays voisins — et pas seulement ceux qui, comme la Grande-Bretagne, sont passés à l’armée de métier.
Le niveau des budgets est-il suffisant pour les missions fixées ? Vous ne serez pas étonnés que je réponde : non. Nous ne sommes plus aujourd’hui qu’à 2.9 % du PNB affecté aux Armées, et avec un tel pourcentage nous sommes au 47e rang mondial, ce qui n’est pas brillant. Si l’évolution se poursuit, nous irons tout doucement vers une armée incapable de remplir sa tâche, soit faute de matériels voulus, en qualité et en quantité, soit faute de personnels pour servir les matériels. De quel côté commencera la dégringolade, je ne sais, mais avec un tel pourcentage, nous ne nous en sortirons pas — à moins de sacrifier des missions, et l’on ne voit pas très bien lesquelles. Combien faudrait-il ? Selon les études faites, il faudrait de l’ordre de 4 % du PNB pour remplir toutes nos missions… Ceci me rappelle que lorsqu’on a conçu le programme ACF, certains se sont indignés de ce qu’on ne fasse qu’un seul type d’avion, alors qu’on en faisait jadis plusieurs. Mais naguère le budget des Armées était de 5 % du PNB…
Il est certain qu’aujourd’hui nous vivons sur notre capital, en personnels comme en matériels, et ce capital s’use rapidement. Nous avons formé des personnels de grande valeur, ils s’en vont. Nous avons fait dans le passé des études de grande valeur dans le domaine des matériels, nous en bénéficions encore, mais ne sommes plus capables de poursuivre au même rythme. C’est pourquoi les plans à long terme ne peuvent se satisfaire de 3 % du PNB, j’en suis persuadé.
Venons-en maintenant aux questions portant sur la coopération. L’Ingénieur général … me demande :
Quelles sont à votre avis, par ordre d’importance, les contraintes majeures qui empêchent une standardisation des armements européens, même dans le cadre de coproduction où des variantes coûteuses et parfois fondamentales subsistent ? Exigences trop spécifiques des états-majors ? Appréciation différente des menaces ? Choix différent des solutions ? Protection excessive des industries nationales ?
Le préalable indispensable d’une volonté politique commune n’est-il pas un obstacle majeur à la constitution d’une défense européenne ?
Quelle importance attachez-vous à l’existence d’une industrie nationale suffisante ?
Accepteriez-vous, le cas échéant, une commande de matériel français équivalent à un matériel étranger qui serait moins cher, dans l’hypothèse où cela contribuerait au maintien, au renforcement de notre potentiel national ?
C’est une question très longue, mais finalement les réponses sont, à mon avis, implicitement contenues dans la question. Les exigences parfois trop spécifiques des états-majors sont réelles mais elles viennent en dernier ressort. La coopération, comme d’ailleurs l’achat de matériels étrangers dans un certain nombre de pays que nous connaissons bien, se fait plutôt sur la base de considérations politiques, économiques, industrielles qu’en vertu de considérations opérationnelles. Malgré les exigences particularistes et divergentes des états-majors, on trouve des solutions et ce n’est pas ce critère qui intervient en premier lieu. Pour ce qui est de la protection des industries nationales, c’est un fait que la coopération repose aujourd’hui sur des structures d’industries nationales qu’il faut bien accepter telles qu’elles sont et que chaque pays veut faire vivre. Si l’on ajoute un certain orgueil national et un certain orgueil chez les industriels qui ont des raisons d’être fiers de ce qu’ils ont réussi, chacun d’entre eux voulant absolument être le maître d’œuvre, l’on conçoit alors que les « mariages » deviennent très difficiles. Enfin, il y a le préalable indispensable d’une volonté politique commune : si elle est ferme, tout se pliera à elle ; malheureusement, au cours de certaines opérations, on l’a vu chanceler d’un côté ou de l’autre, quand ce n’est pas des deux… Cela a été le cas pour le projet d’avion à géométrie variable franco-britannique…, que nous n’avons pas à regretter finalement puisque nous nous sommes aperçus par la suite que la géométrie variable ne répondait pas exactement à notre problème et que nous avons trouvé une solution satisfaisante avec l’ACF. Il est seulement regrettable que nous devions le faire seuls.
Quant à l’importance que j’attache à l’existence d’une industrie nationale suffisante, elle est très grande, tant en raison de l’indépendance qu’elle nous donne dans le choix de nos équipements que sur le plan du prestige qu’elle confère à la France, et je connais plus d’un pays qui nous envie à cet égard.
Accepterais-je, le cas échéant, une commande de matériel français équivalent à un matériel étranger qui serait moins cher ? Oui, bien sûr, mais non sans avoir pesé le coût et l’efficacité de l’opération. Mais si l’on voyait que le jeu en vaut la chandelle, pourquoi ne le ferait-on pas ? Cela s’est d’ailleurs fait.
Voici une autre question sur les programmes, celle de M. …………
Les matériels aériens existant dans la Marine et l’Armée de l’Air sont généralement de nature différente. Quelles sont les raisons qui s’opposent au développement d’une aéronautique commune d’avions et hélicoptères pouvant être adaptés ensuite aux besoins spécifiques de chaque armée ?
Certes, ce souhait d’un matériel commun est compréhensible. Il avait déjà été formulé lors du projet d’avion à géométrie variable franco-britannique que j’évoquais tout à l’heure, qu’on voulait utilisable aussi sur porte-avions. Mais cela présente une grosse difficulté technique sur les plans de l’encombrement et surtout du poids. Cela explique ce qui s’est passé dans l’histoire des avions : ce sont toujours ceux de l’aéronautique navale qui sont allés aux armées de l’air et jamais l’inverse. Le « Phantom », le « Corsair » et même le « Sabre », ont été conçus à l’origine pour l’aéronautique navale américaine. Lorsqu’on a voulu faire un programme polyvalent — comme le F. 111 — cela n’a pas été une réussite. Si nous avions voulu faire un avion capable d’être embarqué sur les porte-avions français, nous n’aurions jamais fait le « Mirage ». La Marine a dû prendre l’« Étendard » qui, tout en étant un excellent avion, est loin d’avoir les mêmes performances. Chaque fois que ce sera possible, il faudra adopter un appareil commun, mais c’est extrêmement difficile et le dernier exemple en date le prouve : les Américains ont fait le F. 14 pour l’aéronautique navale et le F. 15 pour l’U.S. Air Force.
Les questions suivantes portent sur les personnels. Le Médecin en chef de lre classe … demande :
Le recrutement des officiers de l’Armée de l’Air est difficile. Ces difficultés ont-elles d’autres raisons que la désaffection générale de la nation vis-à-vis de son Armée ? Envisage-t-on des solutions pour améliorer le recrutement dans l’avenir ?
Tout d’abord, il n’y a pas de difficultés de recrutement des officiers de l’Armée de l’Air, même si nous avons moins de candidats qu’auparavant au concours de l’École de l’Air. Il y a eu des années où nous avons eu pléthore de candidats en raison d’une conjoncture très particulière. Nous en revenons maintenant à un chiffre d’environ 400 candidats, ce qui donne 200 admissibles de bon niveau sur lesquels nous recrutons finalement de l’ordre de 65 élèves-officiers chaque année. Telle est la situation aujourd’hui. Mais les choses évoluant très vite dans ce monde moderne, on ne peut présager ce que sera demain. On constate néanmoins une tendance à la baisse. Est-on parvenu à un palier ? Il est trop tôt pour l’affirmer. En tout cas, je le répète, il n’y a pas de difficulté pour l’instant. Il y en a par contre pour le recrutement des sous-officiers. Nous avons un nombre insuffisant de candidats à l’engagement et trop de sous-officiers quittent l’Armée de l’Air à l’issue d’un premier contrat, soit après six ou sept ans de service. C’est un point qui appelle un effort budgétaire, sinon un certain nombre de missions ne pourront plus être remplies.
Il y a là une situation grave. Les sous-officiers s’en vont parce qu’ils ne sont pas suffisamment payés. Ils partent navrés, car en général ils se trouvent bien dans notre Armée, mais l’appel du secteur civil, avec les traitements qu’ils peuvent en attendre, est trop fort.
M. ………… pose à nouveau une question concernant les personnels sous contrat :
En ce qui concerne l’emploi et l’avancement des personnels sous contrat, les grandes différences de qualification existant entre Marine et Armée de l’Air sont-elles entièrement justifiables par les missions spécifiques de chacune de ces armées ?
À vrai dire, je ne vois pas à quoi vous faites allusion. Serait-ce à un récent article du « Monde » qui disait qu’après 15 ans de service, un officier marinier rattrapait son homologue de l’Armée de l’Air ? Si oui, c’est inexact. Un rapport du Contrôle général des Armées sur cette question a montré que les situations des sous-officiers mariniers et des sous-officiers de l’Armée de l’Air étaient à peu près identiques, la comparaison en fonction des temps de service et des âges étant d’ailleurs difficile à établir.
En fait, il y a un vieux problème qui réapparaît périodiquement, c’est celui des écoles de l’une et l’autre armée à Rochefort, écoles qu’on nous demande périodiquement de fusionner, ce qui n’est pas possible… C’est qu’en effet, d’une armée à l’autre, la conception de la carrière de spécialiste est fort différente. Dans la Marine, elle débouche dans l’immédiat sur de petits grades à partir desquels sont sélectionnés un certain nombre de garçons qui reviennent trois ou quatre ans après pour acquérir alors un brevet d’un niveau très solide. L’Armée de l’Air a pris une autre solution, apparemment plus chère d’ailleurs, qui consiste à donner d’emblée au jeune engagé une formation de base large et solide qui prend dix-huit mois. Nous avons alors un sergent, alors qu’à ce moment-là on a dans la Marine ce qui est pour nous l’équivalent d’un caporal ou caporal-chef : ceci pose d’ailleurs des problèmes de solde progressive que nous connaissons bien puisqu’il est question actuellement de les mensualiser. Ces conceptions de carrière étant différentes au départ, et chacun étant satisfait de sa situation, il devient inutile de chercher à faire des comparaisons. Si l’on voulait un jour en venir à la solution d’une école commune — dont pour ma part je ne vois pas la nécessité — il est certain qu’il faudrait harmoniser ces déroulements des carrières d’engagés qui différent dans les deux armées. Par ailleurs, pour les spécialités d’emploi, l’intérêt d’une solution commune ne me paraît pas évident. Il peut y avoir quelques spécialités existant dans une armée et pas dans l’autre. Certes, on pourrait se satisfaire de spécialités communes, du moins pour ce qui est de l’Armée de l’Air et de l’Aéronautique Navale, mais à quoi cela servirait-il ?
Nous abordons maintenant les questions portant sur le service national. L’Ingénieur… et le Contrôleur des Armées… demandent :
Quelle est à votre avis l’opinion des jeunes avant et après le temps passé au service national ?
Comment faire sentir aux appelés qu’ils sont concernés par la défense nationale ? Comment concevoir à cet égard la mission formatrice des Armées ? Avez-vous des moyens suffisants pour l’assurer tant sur le plan de la formation civique que sur celui de la formation technique ? S’il y a suffisamment de moyens, l’enjeu ne vous paraît-il pas justifier, s’il le faut, le sacrifice d’une escadre aérienne ?
Je vais vous répondre en aviateur, ce qui fait que je ne vois pas les choses comme les autres. Dans l’Armée de l’Air, l’utilisation du contingent est différente de ce qu’elle est dans les autres armées. L’Armée de Terre peut avoir la prétention justifiée d’affecter les jeunes appelés dans des unités opérationnelles. Dans l’Armée de l’Air, il y a très peu d’appelés dans les unités opérationnelles mais beaucoup autour de ces unités et ils sont indispensables à leur vie.
Que reproche-t-on en général au service militaire ? De ne pas être juste. C’est un reproche qui ne concerne pas l’Armée de l’Air. Effectivement, il y a eu trop de dispenses ; on est en train de revenir à des situations plus normales. Tout ce que je puis dire, c’est que nous attendons de ces nouvelles mesures en cours qu’elles nous apportent des appelés supplémentaires car nous n’en avons pas assez pour un fonctionnement normal de l’Armée de l’Air d’aujourd’hui. Je rappelle que sur un effectif de 100.000, il y a chez nous 40.000 appelés.
Le deuxième reproche fait couramment : les méthodes d’instruction sont désuètes. Nos appelés passent trois semaines dans un C.I.M., centre d’instruction militaire. Nous avons fait un sérieux effort dans ce domaine : ce centre nous donne entière satisfaction et les enquêtes révèlent que les appelés sont enchantés de ce qu’ils y font. Nous nous attachons aux problèmes de formation civique. Il s’agit là plus d’éducation que d’instruction et les méthodes les plus modernes, y compris l’audiovisuel, y sont utilisées.
Dernier reproche habituel et qui, pour nous, est le plus important : l’appelé est mal employé. C’est ce que disent certains appelés à l’issue d’un service au cours duquel ils se sont d’ailleurs comportés normalement. C’est qu’en effet l’Armée de l’Air est faite de systèmes d’armes très modernes requérant des spécialistes qui ne peuvent être des appelés. Et il faut que cet ensemble vive, d’où des problèmes de mess, d’ordinaire, de garde, de manutention, de transport, de sécurité, etc. ; il faut bien que des hommes s’en occupent et ce sont, entre autres, des appelés. Nous faisons de notre mieux pour leur faire comprendre l’importance de ces servitudes pour la vie des bases. Dans l’ensemble, et malgré quelques mécontents, ils le comprennent et, en tout cas, ne se plaignent pas de n’avoir rien à faire.
Je ne vois donc pas la nécessité de sacrifier une escadre aérienne ! Nous y reviendrons dans un instant avec les deux questions suivantes posées par le Médecin en chef de 1re classe…………, le colonel ………… et M. …………
L’Armée de l’Air étant presque exclusivement une armée de métier, opérant généralement à partir d’installations fixes, ne serait-il pas plus rentable de généraliser l’emploi de personnels civils sur les bases ? C’est la solution qu’a choisie la Suède, avec succès semble-t-il.
Le service national est la meilleure occasion de faire comprendre aux jeunes Français qu’ils ont une part de responsabilité personnelle dans la défense du pays. Cet objectif est rarement atteint chez les jeunes gens qui accomplissent leur service hors des unités opérationnelles ; c’est le cas de beaucoup d’étudiants, c’est-à-dire une partie des futurs cadres de la nation qui perd ainsi une occasion. De l’avis général, certaines mesures permettraient d’y remédier : utilisation d’une main-d’œuvre civile dans les mess, comme plantons, chauffeurs, etc. et attribution aux unités à vocation opérationnelle d’un encadrement et d’un budget permettant de mener une instruction plus vivante. L’importance de l’enjeu justifierait un tel effort, quitte à faire un sacrifice dans le domaine de l’équipement ; est-ce possible ?
La caractéristique du système des Suédois est qu’ils ont surtout mis des personnels civils à la place des techniciens, ce qui n’a pas été envisagé dans la formule qui a été récemment étudiée. On a répertorié dans l’Armée de l’Air 19.000 postes d’appelés plus ou moins susceptibles d’être transférés à des personnels civils. En fait, il serait plus raisonnable, pour éviter tous problèmes sociaux, d’envisager le transfert de 8.500 postes à des civils qui viendraient remplacer 11.400 appelés. Quels problèmes cela pose-t-il ?
Tout d’abord, un problème d’argent. Le coût de ces 8.500 postes tenus par des civils serait de 210 millions de francs au lieu de 87 dans le cas des 11.000 jeunes appelés. De plus, s’ils ne sont pas appelés, nous retombons sur le problème de l’injustice du service, alors que l’on essaie de diminuer toutes les formes d’abstention. S’ils sont utilisés ailleurs, il n’y a aucune économie au chapitre des postes d’appelés. Il y a simplement déplacement de la note de frais de 87 millions, à l’Armée de Terre, je suppose… Pour l’Armée de l’Air, ce ne serait pas un problème, sur le plan du fonctionnement, mais je ne suis pas favorable à cette solution, précisément pour les raisons qui sont évoquées dans la deuxième partie de la question. Le service est effectivement la meilleure occasion pour prendre conscience des problèmes de défense. À partir du moment où l’on réduit le nombre des appelés dans la Marine ou dans l’Armée de l’Air, c’est une occasion de moins qui est fournie aux jeunes Français de prendre conscience des problèmes de ces armées, problèmes qui ont un poids considérable dans notre politique militaire. Je ne dis pas d’ailleurs que le service national soit le seul moment de sa vie ou un jeune doive prendre conscience des problèmes de défense. C’est une question qui se pose, je crois, de façon beaucoup plus large, qui fait intervenir l’éducation, l’influence de la famille, et celle de l’école. On a trop tendance à dire aujourd’hui que c’est à l’Armée à donner aux jeunes conscience du problème de défense. On ne doit pas oublier que, pour l’essentiel, cette conscience doit être acquise avant le service. ♦