Le pacifisme en Europe (des années 1920 aux années 1960)
Après s’être beaucoup intéressé au phénomène « guerre », puisqu’il est l’auteur de Diplomatie et outil militaire, 1871-1991 (Seuil, 1992) et de La guerre au XXe siècle (Hachette, 1993), le professeur Maurice Vaïsse se penche aujourd’hui sur le phénomène qui lui est fondamentalement opposé, c’est-à-dire « le pacifisme », en nous présentant les actes d’un colloque qui s’est tenu sur ce thème en décembre 1991 sous les auspices du centre Arpège (Association pour la recherche sur la paix et sur la guerre). Il en ressort une histoire comparée du pacifisme en Europe entre les années 1920 et 1950, c’est-à-dire focalisée sur les périodes ayant suivi les deux guerres mondiales. L’expérience qui en résulte peut-elle nous être encore utile à l’issue de la guerre froide ? Maurice Vaïsse le pense, puisque, parodiant la célèbre formule de Raymond Aron, il estime que « si la paix est devenue un peu moins impossible, la guerre, elle, est devenue un peu moins improbable ».
La première et la deuxième partie de l’ouvrage traitent respectivement des années 1920 et des années 1930. Elles comportent des communications intéressantes sur l’évolution à cette époque du pacifisme en France, en particulier sur l’action à cet égard de l’Internationale communiste et sur celle du Rassemblement universel pour la paix, dont le slogan était : « Sauver la SDN, c’est sauver la paix ! ».
Les contributions les plus « opératoires » sont bien évidemment celles concernant la période la plus récente, c’est-à-dire les années 1940 et 1950, qui sont rassemblées dans la troisième partie de l’ouvrage. On y rappelle le lancement du Mouvement mondial de la paix et l’organisation minutieuse par le Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS) de l’appel de Stockholm (qui réunit en France 12 millions de signatures, dont celles de plusieurs personnalités encore célèbres de nos jours). On y évoque aussi la campagne des « neutralistes » pour une Europe « non-alignée », c’est-à-dire refusant de choisir entre les États-Unis et l’Union soviétique, qui s’est développée ensuite en France sous l’impulsion du journal Le Monde, dirigé alors par Beuve-Méry, et des revues Temps présent, Esprit, L’Observateur et Temps moderne, action qui laissera des traces jusqu’à l’époque contemporaine, si l’on se rappelle le refus opposé par certains à « la politique des blocs ».
L’importance donnée à l’arme nucléaire dans les stratégies des deux camps suscitera ensuite des réactions pacifistes d’un autre genre, qui se développeront surtout dans les pays de l’Europe du Nord et que l’ouvrage évoque avec des contributions instructives d’observateurs anglais, belge et allemand. On peut regretter alors que l’enquête n’ait pas pu se poursuivre au-delà des années 1950, car les grandes manifestations pacifistes se sont déroulées dans les années 1970 à l’occasion du projet de déploiement en Europe de « la bombe à neutrons », puis dans les années 1980 lors de la « crise des euromissiles ». Il aurait été aussi intéressant d’analyser les comportements à cet égard des pays de l’Europe du Sud, et par conséquent à majorité catholique, évocation qui n’a été qu’ébauchée dans l’ouvrage et limitée à la période précédant la Seconde Guerre mondiale.
Si tel n’était pas son propos, puisqu’il entendait se limiter à l’observation du pacifisme qui suit les guerres, Maurice Vaïsse en conviendra certainement. Il est en effet aussi, aux côtés du professeur Jean-Baptiste Duroselle, le coprésident du Groupe d’études français d’histoire de l’armement nucléaire (Gréfhan), qui s’est attelé à la tâche de reconstituer cette histoire dans le cadre d’un programme de recherche internationale, le Nuclear History Program. Cependant, aujourd’hui, après avoir constaté que « devant le renouveau des risques de conflit, la réflexion sur le pacifisme redevient d’actualité », il nous suggère dans sa conclusion quelques pistes pour la reprendre. Il remarque d’abord que le mot « pacifisme » confond dans une même appellation la non-violence radicale, le refus de certaines guerres et enfin la lutte pour la paix ; et aussi que le pacifisme est un « phénomène transversal », puisqu’il transcende les groupes sociaux, les niveaux culturels et les générations. Pour sortir de ces ambiguïtés, il propose alors une typologie qui distinguerait le « pacifisme de conviction », le « pacifisme instrumental », le « pacifisme de circonstance ». Pour finir, citant Montherlant qui fut successivement le chantre maintenant oublié de la guerre jusqu’à la victoire, puis de la paix à tout prix, il nous rappelle opportunément que « la paix ne se donne qu’à ceux qui ont le courage de la défendre ». ♦