Pourquoi la crise et comment en sortir ?
Il faut une bonne dose d’audace, voire de présomption, pour prétendre poser et résoudre en 200 pages un problème qui empêche toutes nos élites pensantes de trouver le sommeil. Il est vrai qu’une maison d’édition qui a bâti en partie sa réputation sur le religieux est susceptible de véhiculer des messages miraculeux…
Comme tout ouvrage de ce genre, le « pourquoi et comment » de Beaufort et de Zélicourt comporte logiquement deux aspects : le diagnostic et la thérapeutique. Le premier est sévère : « Les comptes de la nation France ne seraient acceptés par aucun commissaire aux comptes ». Les auteurs ont en effet en point de mire notre pays, tout en puisant des exemples à l’étranger, où il y a souvent des leçons à prendre malgré le narcissisme qui nous caractérise. Parmi les causes de la déconfiture, ils citent en premier (bien qu’ils soient apparemment d’illustres représentants de ce secteur) l’« obésité du tertiaire » ; critique justifiée, dont on peut s’étonner qu’elle soit effacée d’ordinaire derrière l’admiration portée aux sociétés dites avancées où on trouve dix bureaucrates, courtiers et coiffeurs pour un producteur. Moins convaincante est ensuite la condamnation de l’explosion démographique, dans la mesure où celle-ci est dénoncée globalement, alors que le jugement valable pour Calcutta ou Lagos ne nous paraît pas s’appliquer forcément à Leipzig ou à Bordeaux. Pour continuer l’énumération des facteurs, on s’attendrait à voir figurer, à côté des effets vigoureusement décrits de l’immigration, ceux de la généralisation du travail féminin, de la rigidité de la législation sociale et de l’automatisation de nombreuses fonctions. En définitive, nous dit-on ici, les vrais problèmes sont masqués par des leurres, on joue sur l’émotivité des citoyens et, puisqu’il faut bien fournir des chiffres au peuple, « on fabrique du PIB comme de la fausse monnaie », tandis qu’aux entreprises « on distribue une alouette d’avantages superficiels contre un cheval de nouvelles fiscalités ».
Au-delà du constat, la prospective doit tenir compte de l’impact des technologies modernes. Ici, les auteurs procèdent par extrapolation, moyen tentant mais périlleux. Peut-on souscrire les yeux fermés à leur annonce d’une « croissance irréversible de la micro-informatique » ? N’existe-t-il pas des signes de saturation ? Il en est de même pour l’armement : la panoplie envisagée terrasserait les Saddam voulant jouer notre jeu, mais si l’ennemi de demain est diffus, s’il est mafieux ? Quelle fut l’efficacité des avions furtifs et des sous-marins indétectables contre des Somalis illettrés et loqueteux ?
Les remèdes, exposés « au plan général », puis « au plan français » relèvent du bon sens. La formule philosophale n’est pas au rendez-vous. Si l’on ose ici le mot de déception, c’est la faute aux auteurs et à leur titre ronflant. Le lecteur est dans la situation de la fille à qui son soupirant a fait miroiter une éternelle passion. Comment faire mieux d’ailleurs que les gourous consultés dans les enquêtes de presse ? « Cela dépendra des politiques suivies » dit l’un, plein de témérité, tandis qu’un autre déclare : « Je résisterai à toute tentation de répondre à cette question ». Vincent Bolloré présente l’avantage d’être catégorique : « Trois priorités : la baisse des taux, la baisse des taux et la baisse des taux ». Maurice Allais est plus discret, mais il dit grosso modo ce que pense l’homme de la rue. Au fond tout le monde est à peu près du même avis et l’exprime suivant la richesse de son vocabulaire. Les atouts du Japon ou de la Suisse n’ont rien de mystérieux. Encore faudrait-il en France ne pas se contenter d’« enflements de verbe », revigorer l’industrie, diminuer les prélèvements, maîtriser l’immigration et ne pas tomber dans les rêveries tiers-mondistes du « sympathique commandant Cousteau ».
À défaut de faire gambader le paralytique, Beaufort et Zelicourt ont de grands mérites. Ils disent les choses sans périphrases, en d’heureuses formules. La continuité du propos est remarquable, quitte à risquer le schéma. Les affirmations sont nettes, même si elles ne sont pas toujours évidentes, comme le lien de la modernité industrielle avec la séparation de l’État et de la religion ou son incompatibilité avec un « statut ségrégatif de la femme ». Les chiffres, en quantité limitée, sont précis et convaincants : c’est ainsi que le tableau des « pôles de puissance » et des « zones de fracture » du chapitre IV de la première partie est dressé de façon rigoureuse en peu de mots et de pourcentages. Les images choisies, celles des carènes liquides ou des bulles, sont judicieuses et parlantes, ainsi que les notions astucieuses (déjà utilisées par nos auteurs dans leurs Perspectives économiques et stratégiques) de technostructure et d’indice de cette dernière. Chaque chapitre est clos par une brève synthèse et quelques photos, plus ou moins insolites, illustrent le texte.
L’un des auteurs a été en poste à Matignon. Recommandons, si ce n’est déjà fait, l’envoi d’un exemplaire au Premier ministre [Édouard Balladur]. Celui-ci y trouvera un écho à ses préoccupations du moment et, s’il n’est pas acquis aux solutions proposées, il découvrira au moins un audacieux raccourci soviéto-égyptien auquel il n’a certainement jamais pensé : « Lénine, fils spirituel d’Akhenaton ». ♦