Aéronautique - La flotte d'avions ravitailleurs de l'Armée de l'air
Dès août 1923, à San Diego, le ravitaillement en vol entrait dans l’ère opérationnelle : un bombardier DH-4B établissait alors un record d’endurance de plus de 37 heures après 15 ravitaillements en vol. Le ravitailleur était un autre DH-4 qui se plaçait à la verticale du bombardier et déroulait vers lui un tuyau terminé par une poignée pistolet.
Depuis, le ravitaillement en vol a connu un développement considérable et est devenu un facteur de puissance aérienne que toutes les actions militaires n’ont fait que confirmer.
La situation actuelle
L’Armée de l’air a acquis dès les années 1960, 11 avions Boeing C-135FR pour assurer une allonge suffisante aux Mirage IV de la Force aérienne stratégique (FAS). Rénovés et remotorisés depuis, ils sont actuellement les principaux moyens disponibles pour remplir les nombreuses missions de ravitaillement opérationnelles et d’entraînement au profit de l’ensemble de notre flotte d’avions de combat qui, depuis les années 1960, sont devenus tous ravitaillables.
Cet équipement en avions ravitailleurs est complété par 14 C-160 Transall de nouvelle génération qui ont la capacité à la fois d’être ravitaillés et ravitailleurs en vol. Ils peuvent ainsi augmenter l’allonge d’autres C-160NG et apporter un appoint intéressant pour le ravitaillement des avions de combat dans le cadre intrathéâtre mais ne peuvent être utilement pris en compte pour une projection de forces.
Deux démarches possibles pour l’avenir proche
Le rôle que la France entend tenir dans le nouveau contexte géostratégique mondial a été redéfini dans le Livre blanc sur la Défense de 1994. Parmi les nouvelles capacités prioritaires, la projection et la mobilité stratégique sont clairement inscrites, mettant encore en avant le rôle indispensable des moyens aériens. Grâce à l’allonge des avions de chasse, nos armées possèdent en effet des capacités majeures de prévention ou d’intervention quasi immédiates très loin du territoire national. De même, ce sont les appareils de transport aérien qui permettent aux autres armées et en particulier à l’Armée de terre de se projeter rapidement sur les théâtres d’opérations.
Les capacités existantes de l’Armée de l’air en ravitaillement en vol, déjà limitées, ne lui permettent pas d’assurer des responsabilités accrues concernant la projection de ses propres forces et de celles des autres armées. Le projet de Loi de programmation militaire (LPM) a pris acte de cette faiblesse et a évalué à 20 le nombre d’avions ravitailleurs dont notre pays devrait disposer.
Pour consacrer désormais dans les faits l’acquisition des appareils complémentaires, deux possibilités s’offrent à la réflexion : une démarche de continuité basée sur l’achat de KC-135 ; une démarche novatrice basée sur l’achat d’Airbus A310.
La démarche de continuité
Elle repose sur la possibilité qui existe aujourd’hui d’acheter quelques KC-135 de l’US Air Force, qu’il faudrait remotoriser et mettre au standard Armée de l’air. Au point de vue opérationnel, l’homogénéité de nos moyens de ravitaillement et les capacités de projection à longue distance seraient des avantages sérieux. Cependant, pour une utilisation journalière en entraînement, comme pour des actions du temps de crise telles que celles qui se déroulent actuellement en ex-Yougoslavie ou en Irak, le KC-135 a une capacité surabondante. De plus, les C-135FR sont des avions monovalents dont les capacités en transport de fret sont faibles en raison du diamètre relativement limité de leur fuselage.
Les considérations techniques et prospectives conduisent à souligner que ces avions ont été construits au milieu des années 1960 et que leur maintien en état à l’échéance 2015 ne sera ni simple ni économique en raison du très faible nombre d’avions vraisemblablement en service à cette date. De plus, le choix de KC-135 entraînerait l’obsolescence quasi simultanée de notre flotte avec une difficulté de renouvellement que l’on peut imaginer.
Dans le domaine industriel, les entreprises aéronautiques françaises, en particulier la Snecma, sont intéressées par cet éventuel achat en vue de la remotorisation et des modifications indispensables à l’utilisation des KC-135 au sein de l’Armée de l’air française. L’étude financière doit quant à elle souligner que l’investissement réalisé le serait sur un matériel déjà ancien de 30 ans et dont la rentabilité devra être recherchée sur une période de 20 ans.
La démarche novatrice
C’est celle que vient de proposer Aérospatiale avec l’achat de A310-300 d’occasion qui pourraient être modifiés pour recevoir des nacelles de ravitaillement en vol. Cette acquisition marquerait, dans le domaine opérationnel, le début d’une nouvelle génération de ravitailleurs-transporteurs mixtes dont l’aboutissement serait à terme l’achat d’Airbus A340 ravitailleurs. Si leur capacité de ravitaillement à 3 000 milles de la France métropolitaine est naturellement inférieure à celle des KC-135, la prise en compte de ce seul paramètre ne saurait suffire à orienter le choix entre les deux appareils. En effet, les A310 offrent de très larges possibilités de ravitaillement en vol aussi bien pour l’entraînement que pour les missions à moyenne distance ou intra-théâtre. De plus, le maintien quasi intégral de leur capacité de transport confère aux A310 ravitailleurs une souplesse d’emploi inconnue à ce jour dans l’Armée de l’air et engendrerait une augmentation notable de nos capacités de projection. Concernant l’aspect prospectif, outre l’intérêt d’une nouvelle filière dont la nécessité est évidente, l’acquisition de A310 permettrait d’envisager un renouvellement progressif de notre flotte de ravitaillement pour un coût annuel limité et réparti sur 20 ans. De plus, notre industrie française et européenne bénéficierait de ce choix. Quant à l’aspect financier, à investissement égal l’amortissement des A310 s’établit sur 40 ans pour un coût de Maintien en condition opérationnelle (MCO) que l’on peut sans risque prévoir concurrentiel au regard du modernisme de la conception de ces appareils.
Ces éléments de réflexion prenant en considération les aspects opérationnels, techniques et financiers, et intégrant aussi l’aspect prospectif du vieillissement de notre flotte actuelle de ravitailleurs et l’amélioration des capacités générales de projection, méritent naturellement une étude beaucoup plus complète qui devrait être conduite avant toute décision. Toutefois, il faut savoir que la mise en service des 3 A310-300 bivalents et la modification des 2 premiers A310 acquis par l’Armée de l’air permettraient d’accroître très nettement notre capacité de projection instantanée de puissance, tout en augmentant d’environ 80 tonnes/jour la charge offerte sur longue distance.
Dans l’esprit de la diversification existant dans l’US Air Force (USAF) avec les KC-135 et les KC-10, les armées françaises conserveraient ainsi les C-135 actuels pour les missions longue distance ou les besoins spécifiques, comme le ravitaillement des Système de détection et de commandement aéroporté (AWACS), et ajouteraient à l’inventaire des avions capables non seulement d’en ravitailler d’autres mais en même temps d’offrir une capacité de transport qui fait actuellement défaut.
Conférant une plus grande souplesse d’emploi, ce choix, résolument tourné vers l’avenir, répondrait aux besoins de l’Armée de l’air pour la projection des forces, besoins définis comme prioritaires dans le Livre blanc sur la Défense. La LPM pour les années 1995-2000 devrait le confirmer. ♦