Le rôle de l’armée en Amérique latine a déjà été évoqué dans deux articles de Jeanne Revers (RDN, mai et juin 1974, ce dernier étant plus spécialement consacré au cas de l’Uruguay). L’étude ci-dessous, due à un observateur attentif des problèmes de l’Amérique latine, fait suite à ces articles. Dernier en date des coups d’État militaires en Amérique latine, celui du 11 septembre 1973 au Chili aura été à la fois l’un des plus violents et des plus importants de l’histoire agitée de cette région. Les passions qu’il a suscitées ne facilitent pas toujours l’analyse objective d’un tel événement. Pour tenter de le comprendre et d’en dégager la portée, un assez large retour en arrière paraît indispensable. L’auteur évoque ensuite les problèmes auxquels se trouve confrontée la junte chilienne et les perspectives qui s’offrent à son action.
L'Armée et le Pouvoir au Chili
Sur un continent où les coups d’État sont fréquents, le Chili apparaissait un peu comme une exception. L’attachement des Chiliens à la démocratie était considéré comme une des caractéristiques de ce peuple. Il se manifestait d’ailleurs avec une force qui ne manquait pas de frapper le visiteur : il n’était de village, de quartier, d’école, d’atelier qui. bien avant l’accession au pouvoir de l’Unité Populaire, n’organisât ses élections et ne désignât ses représentants à tel ou tel conseil. L’armée, quant à elle, était réputée pour son légalisme et censée ne tenir qu’un rôle assez marginal dans la vie politique.
Pourtant, c’est le général Bernardo O’Higgins qui, en 1818, avait assuré l’indépendance du Chili face à l’Espagne. Proclamé chef suprême, il s’était efforcé pendant six ans d’organiser le pays. Mais aucun de ses successeurs n’eut une personnalité suffisante pour s’imposer par la suite comme « caudillo » à l’image de ce qui se passait dans la plupart des autres pays d’Amérique latine. Très vite au Chili, l’oligarchie, mieux préparée à la vie politique, allait reprendre ses droits ; les militaires, principalement issus des classes moyennes, allaient s’efforcer de l’imiter, en gardant l’espoir ou l’ambition de se hisser un jour à son niveau.
La première en Amérique latine, l’armée chilienne se transforma, à partir des années 1860, en une armée de métier. Très tôt en effet les conditions de cette évolution se trouvèrent réunies : alors qu’elle ne pouvait espérer jouer un grand rôle dans la vie politique, la nécessité de défendre les frontières lui conféra sa véritable place dans l’État et dans la société ; enfin la guerre du Pacifique (1879-1883) lui fournit l’occasion de démontrer sa supériorité sur ses voisines et de se forger une indispensable légende.
Il reste 95 % de l'article à lire