Marine - Une politique logistique intégrée à la définition des programmes
Dans la conduite des programmes, le directeur de programme est confronté à la double contrainte de répondre au besoin militaire et de respecter son budget. L’exercice est redoutable, car il est toujours difficile de trouver de bons compromis entre les performances et le coût.
Cependant, si la durée de réalisation d’un programme est le plus souvent de dix à quinze ans, la durée de vie des bâtiments de la Marine est de trente à quarante années durant lesquelles il faut pourvoir à leur fonctionnement, les entretenir et maintenir leurs capacités militaires. Avec une aussi longue durée de vie, la part de l’activité et du maintien en condition dans le coût global de possession des bâtiments est très importante. Il doit donc en être tenu compte dès leur conception. Il faut savoir investir dans les économies.
Par ailleurs, un programme n’est pas une entreprise isolée. De même que tout bâtiment est destiné à opérer dans un contexte opérationnel complexe de concert avec d’autres bâtiments ou avec d’autres forces, il doit s’insérer dans le système de maintenance et d’approvisionnement de la marine dès son admission au service actif. Or, les solutions techniques retenues pour sa réalisation déterminent largement le type de maintenance qui devra être effectué et la qualification du personnel qui y est nécessaire, les rechanges à mettre en place et leur approvisionnement, la documentation à réaliser, ses coûts d’entretien et de fonctionnement. Dès lors, la définition du soutien en service est une caractéristique militaire comme une autre qui doit être prise en compte à la conception des programmes. Il s’agit de rechercher des solutions cohérentes qui satisfassent au mieux les besoins pendant toute la durée de vie des bâtiments.
La méthode du soutien logistique intégré, qui est un moyen d’aide à la spécification, répond à ce besoin de cohérence. Permettant de tenir compte des impératifs logistiques dans la définition des programmes, elle est largement utilisée dans la spécification des frégates Horizon ainsi que dans les nouveaux développements.
Néanmoins, si pouvoir préciser des exigences qui peuvent être traduites en termes de fiabilité et de maintenabilité est important, cela ne résout pas toutes les difficultés. La méthode, comme toute méthode, vaut surtout par son application. Sa mise en œuvre s’appuie naturellement sur les données de l’expérience mais, les préoccupations s’étendant à toute la durée de vie des bâtiments, il faut s’efforcer de prendre en compte le mieux possible les évolutions qui ne manqueront pas de survenir sur une aussi longue période.
Les plans pour l’utilisation opérationnelle des bâtiments et pour leur soutien, les prévisions d’évolution du parc de ceux-ci dans le temps, son renouvellement ou sa modernisation en cours de vie, doivent être pris en compte. Une bonne définition du besoin logistique s’appuie sur l’expression générale des besoins de la Marine, et plus particulièrement sur la politique d’utilisation de ses moyens.
Disposer d’une méthode, fût-elle bonne, ne dispense évidemment pas de l’obligation de choisir. Il n’y a guère de méthode pour faire des choix entre les exigences d’un présent contraignant et celles d’un long terme nécessairement flou, entre la satisfaction immédiate et gratifiante de disposer d’un matériel performant et celle plus ingrate de préserver l’avenir. Une méthode peut aider à poser les problèmes, mais les résoudre relève de la volonté appuyée sur l’expression ferme d’une politique.
Best buy for money, comme disent les Anglo-Saxons, est devenu une préoccupation générale car les choix techniques et d’organisation sont maintenant innombrables alors que la ressource reste limitée. La banalisation des systèmes complexes a mieux fait prendre conscience du poids d’un fait logistique qui n’est que l’expression de l’importance à accorder à la durée. L’évolution des normes civiles, d’une optimisation à caractère taylorien vers des préoccupations de gestion des configurations, en est le reflet. Les armées, qui ont toujours été des systèmes complexes, sont parties prenantes de cette évolution. Il ne s’agit pas, pour elles, d’une découverte. Il suffit de se souvenir des préoccupations du général Eisenhower dans la préparation et dans la conduite de la bataille de Normandie pour s’en convaincre. Cependant, il n’est jamais inutile de se rappeler les évidences et il est toujours souhaitable de savoir utiliser les nouveaux moyens mis au point.
L’organisation française pour la réalisation des matériels d’armement est originale. Avec ses objectifs de recherche des synergies industrielles, elle a à son actif des réussites incontestables. Toutefois, le partage des responsabilités entre la Délégation générale pour l’armement (DGA), pour la réalisation des programmes, et les chefs d’état-major d’armée, pour la mise et le maintien en condition des forces, n’est pas favorable à une bonne économie d’ensemble. Il a dû y être remédié : les rapprochements nécessaires ont été entrepris, des instructions conjointes pour la conduite des programmes ont vu le jour, les officiers de programme ont trouvé leur place dans les organisations de programme, la DGA se préoccupe de la maîtrise du coût global.
Cette évolution était indispensable. Elle resterait insuffisante sans la poursuite de l’effort avec persévérance. La politique du matériel d’une marine s’inscrit, en effet, dans la durée. L’évolution en cours est importante, mais elle ne portera pas immédiatement de fruits. La prise en compte du besoin logistique dans les programmes est un investissement ; elle est l’effet d’une nécessité, le résultat ne peut être que celui d’une volonté. ♦