Revue des revues
• « Indonésie : un géant dans le Pacifique », est le thème du 50e numéro de Géopolitique qui, à nouveau, nous offre une luxueuse monographie et une synthèse actualisée, cette fois sur ce pays de près de 2 millions de km2, comptant la plus forte population musulmane du monde, à l’occasion du 50e anniversaire de l’indépendance indonésienne, proclamée le 17 août 1945.
Le dossier est ouvert par un éditorial de François Missoffe qui propose de découvrir les ambitions de l’Indonésie. Il rappelle que de la coprésidence de la conférence internationale sur le Cambodge (1991) au sommet de l’APEC (Asia-Pacific Economic Cooperation) à Bogor (1994), en passant par l’initiative pour un règlement de paix en ex-Yougoslavie, la diplomatie indonésienne a démontré ces deux dernières années tout son dynamisme. Présidente du Mouvement des non-alignés et élue pour deux ans au Conseil de sécurité des Nations unies, la République d’Indonésie peut présenter un bilan flatteur.
On passera sur l’article de Denys Lombard sur « L’Indonésie dans l’histoire » pour s’en tenir aux problèmes d’actualité. Reprenant la devise du pays « Unité dans la diversité » (Bhinneka Tunggal Ika), François Raillon, du CNRS, nous offre ce qu’il appelle les clés pour la compréhension du système indonésien. Les défis posés à l’unité sont nombreux. Dans l’archipel aux 17 500 îles selon les derniers travaux de cartographie, les tendances indépendantistes constituent la première menace. Aux deux extrémités du pays, la revendication indépendantiste n’est plus le fait que de mouvements résiduels, qu’il s’agisse des autonomistes musulmans de la province d’Aceh, à l’ouest, ou des Papous partisans d’une indépendance associée à la grande famille mélanésienne, dans la province d’Irian Jaya. Par contre, Timor, l’ancienne colonie portugaise, intégrée de force en 1976, pose un vrai problème à Jakarta en raison de l’internationalisation de la question timoraise. Pour les militaires indonésiens, une modification du statut de cette 27e province constituerait un précédent dangereux, non seulement pour l’Indonésie, mais pour les autres pays de l’Asie du Sud-Est asiatique confrontés à leurs minorités nationales respectives. La deuxième source d’incertitude pesant sur l’archipel est liée à la montée de l’islam. Si depuis longtemps l’Indonésie est musulmane à 87 %, il s’agissait d’un islam fort modéré, car syncrétique, notamment à Java. La réislamisation de la population depuis une quinzaine d’années risque de remettre en cause l’équilibre existant entre les différentes religions. Bien qu’encore très minoritaire, l’islamisme pourrait, en cas de crise sociale, offrir une capacité de mobilisation contre les institutions de la république et fournir un modèle de société différent qui inquiète tous les modérés et les non-musulmans, au premier rang desquels les Chinois dont l’histoire et le poids en Indonésie font l’objet d’un excellent article de Pierre Trolliet. Par ailleurs, la croissance rapide du pays pose un problème de rupture sociale lié à la répartition des nouvelles richesses et à l’apparition d’une classe ouvrière revendicatrice.
Cependant, les disparités, contradictions et hésitations qui taraudent l’archipel sont compensées par des forces de Cohésion autrement puissantes qui cimentent son unité. En premier lieu, c’est l’existence de l’État javano-centrique, c’est-à-dire la prééminence des Javanais. Les cinq principes de l’État indonésien : monothéisme, nationalisme, humanitarisme, démocratie consensuelle et justice sociale (pancasila) érigent la modération et la tolérance en fondements du politique indonésien. L’armée, autorisée à intervenir dans la vie publique en application de la doctrine de double fonction depuis 1966, et le Golkar, parti gouvernemental composé d’associations socioprofessionnelles, y compris les militaires et les fonctionnaires, soutiennent l’administration dans ses efforts. Le vrai test de l’unité sera celui de la transition politique lorsque devra être relevé Suharto au pouvoir depuis trente ans. Pour l’auteur, en conclusion, l’existence d’une vaste Indonésie unitaire en Asie du Sud-Est est la condition sine qua non de la paix dans la région : on imagine sans mal les problèmes tragiques que poserait l’éclatement de l’archipel en débris d’empire incontrôlables et déstabilisateurs.
Les contributions des deux ambassadeurs respectifs, MM. S. Wiryono et Paul-Marc Henry, entrent dans la politique rédactionnelle de Géopolitique. On trouvera dans la première une bonne synthèse de l’historique des relations bilatérales et un inventaire des points de convergence des deux diplomaties. L’article de Bernard Dorléans, « Un géant tranquille », exposé exhaustif sur l’économie du pays, est là pour ramener nos relations économiques à leur juste mesure. En ce qui concerne les investissements, la France n’est qu’au 14e rang pour la période 1991-1994, très loin derrière la Grande-Bretagne au deuxième rang, et même derrière la Suisse et le Liberia ! Pourtant, l’auteur considère l’Indonésie comme un pays sans risque. Avec 7 % de taux de croissance prévu en 1995, et même si le départ de l’actuel président engendre momentanément quelques turbulences politiques, celles-ci ne paraissent pas de nature à remettre en cause de façon fondamentale une orientation politique caractérisée par un libéralisme économique largement approuvé par la nation et répondant à tant d’intérêts convergents. Cet article est complété par un entretien accordé par B.J. Habibie, le bouillant ministre de la Recherche et de la Technologie, et l’un des deux principaux candidats à la succession de Suharto.
Après un brillant article de Jusuf Wanandi sur « Le futur environnement stratégique de l’Indonésie », la politique extérieure indonésienne est analysée par Donald E. Weatherbee dans « Une politique étrangère indépendante et active » et par Any Bourrier de Radio France Internationale. L’Indonésie revendique le rang de puissance moyenne. Elle est, par sa population, le quatrième pays du monde et occupe une position géostratégique capitale sur les routes maritimes entre l’Asie orientale, le Proche-Orient et l’Europe. Elle est en voie de devenir, en une génération, un « nouveau pays industrialisé » (NPI). Donald E. Weatherbee montre tout le chemin effectué par cet État depuis la mise à l’écart de Sukarno qui, sensible au chant de la révolution et rattaché à l’axe Jakarta-Hanoi-Pékin-Pyongyang, s’était lancé dans une campagne d’anti-impérialisme radical et agressif. Le gouvernement d’« ordre nouveau » de Suharto a su, après le naufrage du « vieil ordre » de Sukarno, construire et poursuivre une tout autre politique étrangère, fondée sur une évaluation réaliste de l’intérêt du développement économique. Cette vision exige un environnement régional de paix et de stabilité dans un contexte mondial d’économie ouverte et libérale. L’Indonésie a su habilement se placer dans une situation de médiation efficace dans le conflit indochinois en gardant des contacts avec Hanoï tout en respectant les décisions de l’Ansea (Association des Nations du Sud-Est asiatique) et en coprésident la conférence internationale de Paris sur le Cambodge. Membre fondateur et président du Mouvement des non-alignés depuis 1991, l’Indonésie a réussi à donner une nouvelle mission à cette organisation après la fin de la guerre froide, en mettant à l’ordre du jour les problèmes sociaux et économiques de l’après-guerre froide. Au sein de l’Organisation de la conférence islamiste (OCI), l’Indonésie joue un rôle modéré. Elle a même servi d’intermédiaire pour résoudre des conflits internes à l’OCI. Elle a été très active pour l’adhésion du Vietnam à l’Ansea et le reste dans les problèmes de souveraineté en mer de Chine méridionale. Elle a eu un rôle essentiel dans la fondation du forum de l’APEC et pour y faire adhérer l’Ansea en contrecarrant les positions restrictives de la Malaysia. Cependant, conclut l’auteur américain, ce pays pourra difficilement jouir du respect international auquel il aspire tant que la question des droits de l’homme empoisonnera ses relations bi et multinationales, tandis que le problème lancinant de Timor oriental continue à retenir l’attention de façon négative. Any Bourrier, dans « Une diplomatie modératrice », article qui fait un peu redondance, fait la même analyse. Elle met en valeur le rôle de l’Indonésie dans l’AFTA (Asean Free Trade Area) et affirme que Jakarta a sauvé le Mouvement des non-alignés.
On reprochera à ce dossier de manquer d’articles consacrés à des questions précises d’importance en Indonésie. Ainsi, le poids de l’armée n’est qu’évoqué par différents auteurs sans qu’un article lui soit entièrement consacré. Il en est de même pour les problèmes de défense. On trouvera cependant quelques remarques intéressantes dans l’éditorial de François Missoffe, en particulier sur le rôle de la marine. Il en est de même de la question de Timor Est. Par contre, la politique de colonisation agricole en vigueur depuis 90 ans, réponse aux déséquilibres démographiques dans un pays où 62 % de la population vivent sur 7 % du territoire, fait l’objet d’un excellent exposé d’Olivier Sevin sur « La transmigration ».
Comme chaque dossier de Géopolitique, celui-ci est complété par une dizaine de pages intitulées « Indonésie : les faits et les chiffres » couvrant la géographie physique, la démographie, l’histoire, l’économie, la société, la vie politique, les institutions… Une fois de plus, cette revue offre une excellente synthèse sur la situation d’un pays.
Jacques de Goldfiem
• « Russie : le monde à l’envers ». Sous ce titre qui rappelle aux Américains la reddition de Yorktown en 1781, la revue Orbis, organe du Foreign Policy Research Institute de Philadelphie, regroupe six articles sur le monde russe et l’étranger proche dans son numéro d’été 1995.
Dans une présentation générale, Walter A. McDougall, directeur de la revue, se demande qui désirait l’effondrement du bloc soviétique (tout le monde sauf les marxistes), qui souhaitait l’effondrement de l’Union Soviétique (peu de gens, par crainte d’instabilité et d’anarchie), qui désire actuellement la disparition de la Russie (pratiquement personne, même si elle demeure le règne de la force, voire de la terreur) ? On a cherché à limiter sa puissance, non à la détruire. Tout État a une fonction à remplir, celle de la Russie est à définir, même si elle reste une énigme.
De son côté, R. Saunders montre que les querelles des partis sur la politique étrangère sont de la folie furieuse. Clinton et les démocrates défendent un multilatéralisme qui a échoué et l’associent aux Nations unies en renonçant à tout leadership. Les républicains veulent une politique forte mais à bon marché, ce qui conduit à des excès verbaux soutenus par une force insuffisante. Le bon sens ne suffit pas à définir une politique. Dans le monde, les gens ne désirent pas la démocratie, mais veulent s’enrichir rapidement Pour la paix, il faut de solides alliances ou coalitions que l’on fait couvrir par l’ONU. Les militaires doivent pouvoir mener des opérations où ils ne disposent pas d’une supériorité écrasante (doctrine Powell) et de durée limitée. On doit abandonner la guerre économique, moins prêcher à l’extérieur, mettre de l’ordre dans la maison américaine.
Le premier article, de Susan L. Clark et David R. Graham, étudie les chances de survie de la Fédération russe. Pourra-t-elle trouver un terrain d’entente pour ses 89 composantes, républiques, oblasts, krais, formés à dessein pour diviser les ethnies ? La population totale est à 80 % russe, mais le système ne tient que par des traités ou accords bilatéraux qui ne sont pas uniformes. Le manque d’autorité de Moscou augmente les responsabilités des dirigeants locaux. Des accords régionaux se font comme celui de la Sibérie regroupant 19 composantes sur un tiers du territoire (il existe maintenant huit de ces associations). Les partis politiques n’ont pas d’infrastructures locales, les élus à Moscou ne se considèrent pas comme les représentants de leurs électeurs. La cohésion de la Fédération ne peut venir que d’une communauté d’intérêts économiques. Actuellement, c’est une période de tiraillements entre Moscou et les composantes.
Nos deux auteurs abordent les problèmes économiques. Le pouvoir central doit simultanément éviter l’effondrement économique (industrie désuète, rupture du système d’échanges à l’échelon de l’URSS, conflit en Tchétchénie, fiefs locaux), et créer un système viable de finances publiques et de gestion des ressources naturelles, ainsi qu’un système de commerce international, sans briser la Fédération, les intérêts étant divergents. Les forces armées ont gardé un semblant d’unité, mais refusent de servir à maintenir la Fédération : les militaires ne peuvent vivre qu’avec le soutien des autorités locales ; les officiers russes ont une peur instinctive de la guerre civile. La menace extérieure a un effet unificateur : le système nucléaire est maintenu, les meilleures troupes sont au nord du Caucase.
La Russie peut se désintégrer, rester une fédération ou devenir un régime autoritaire. L’Occident a intérêt à n’avoir qu’un seul interlocuteur. Des organisations paramilitaires peuvent devenir dangereuses. Un problème grave est la sécurité des installations nucléaires civiles. On ne peut se polariser sur Moscou et il faut se préparer à établir des liens durables avec de nouveaux centres de décision, surtout en Extrême-Orient et en Sibérie.
Dans un deuxième article, Martha Brill Olcott étudie l’étranger proche : à part les États baltes, il tend à se rapprocher de la Russie. Des accords bilatéraux remplacent la CEI, avec des différences dans les notions d’indépendance et de souveraineté. Chaque pays reconnaît la nécessité d’une hégémonie russe, mais espère en limiter les effets. En Ukraine et en Azerbaïdjan, l’opinion reste méfiante. Les accords bilatéraux engagent moins la souveraineté, d’où l’échec d’un comité interétatique à l’échelon de la CEI. Les dirigeants craignent l’ingérence de Moscou dans les affaires intérieures, comme c’était le cas pour les pays du Pacte de Varsovie. C’est pourtant un système de ce genre qui a la faveur du Kazakhstan, du Kirghizistan, de la Biélorussie et du Tadjikistan. Nazarbaïev a proposé une union eurasiatique, mais Moscou n’accepte pas l’égalité qui permettrait à d’autres d’influencer ses décisions économiques et militaires. D’autres États (Géorgie, Arménie, Moldavie) sont indécis. La Russie est divisée. La doctrine militaire de Gratchev prévoit le retrait de toutes les unités sur le territoire russe mais, en 1994, il a décidé l’ouverture de 27 ou 28 bases hors de la Russie. À Moscou, les partis politiques veulent une intégration plus étroite des anciens pays de l’URSS sans préciser les contreparties. À long terme, Moscou pourrait admettre de renoncer à une hégémonie sur l’Ukraine et le Kazakhstan, voire à se retirer du Caucase, mais dans les dix ans à venir, sera maintenue une zone de « sécurité extérieure ». C’est la Russie qui déterminera l’avenir des relations entre États de la CEI.
Stephen Bland étudie la poussée russe vers le Sud. En avril 1994, Moscou a fait savoir à Londres qu’il rejetait un accord britannique avec l’Azerbaïdjan sur l’exploitation du pétrole, la Caspienne constituant un écosystème engageant tous les riverains. Existe aussi une rivalité turco-russe sur le passage d’oléoducs venant d’Asie centrale. Moscou veut créer une zone économique de la mer Noire permettant de dominer l’Europe méridionale, et faire partie d’organisations de sécurité européennes pour empêcher les Occidentaux de s’opposer à ses intérêts, cela concernant l’OSCE au Caucase et en Transcaucasie. L’Occident a réagi et la Russie a dû céder pour l’énergie.
L’Azerbaïdjan est devenu un test des intentions russes et des moyens des Occidentaux pour s’y opposer. Une théorie des dominos est à l’origine des bases militaires russes en Transcaucasie. Le conflit tchétchène fait renaître la lutte entre l’Empire ottoman et celui des Romanov, mais il y a un monde entre les ambitions de Moscou et ses moyens d’action. Le danger est de voir s’établir des zones d’influence qui mèneraient à la reconstitution de blocs antagonistes.
L’article de Vejas Gabriel Liuvicius traduit les peurs des pays Baltes, alimentées par l’enclave de Kaliningrad. Sumner Benson se demande si la technologie moderne ne va pas remilitariser la Russie.
• « Morale et environnement ». La revue britannique International Affairs, organe du Royal Institute of International Affairs (Chatham House), consacre son numéro de juillet 1995 à six articles concernant les rapports entre morale et environnement
Henry Shue, professeur à l’université Cornell, présente l’ensemble en justifiant l’introduction de la morale dans les affaires internationales : les individus doivent être considérés dans leurs relations avec la famille, la nation, la classe sociale, le sexe et l’humanité, la réflexion morale pouvant être normative sans être utopique. De plus en plus de moralistes s’intéressent aux relations internationales : on ne peut parler de « colonisateur » ou d’« agresseur » sans se référer à une norme morale ; il y a aussi ce qui est raisonnable ou déraisonnable. Stockholm 1972 a eu pour sujet l’environnement, Rio 1992 environnement et développement. Le droit à ce dernier a conduit à la notion de « développement supportable ». Développement et environnement sont devenus des intérêts fondés sur des normes, le jugement éthique faisant maintenant partie des affaires internationales. Pour les réalistes, l’intérêt national justifie toute action, ce qui est le signe de la souveraineté, et il faut discerner quand il se heurte à celui des autres pays.
Pour Cedric Grant, auteur du dernier article, des considérations morales doivent faire partie de la manière dont chaque nation conçoit ses intérêts dans un ordre international qui doit être juste. Beaucoup de gens ne conçoivent la morale que pour les êtres humains, l’écosystème n’ayant de valeur que pour l’homme. Maintenant on voit apparaître des forces politiques défendant l’environnement pour lui-même. Pourtant l’article de Farhana Yarnin sur la biodiversité montre que celle-ci trouve ses arguments les plus forts dans sa valeur pour l’homme.
Henry Shue en vient à penser que des êtres qui ne sont pas des humains peuvent avoir à la fois une valeur d’instrument et une valeur intrinsèque, mais une politique de protection de la nature contre les actions de l’homme ne doit pas être confondue avec celle menée pour éviter les changements climatiques et destinée à protéger les pays les plus pauvres. Aussi Henry Shue est-il très critique sur l’article de Deepak Lai intitulé « Écofondamentalisme » qui veut répondre à Samuel Huntington opposant un Occident raisonnable à un déraisonnable reste du monde. Lai renverse le propos ; d’après lui, ceux qui rendent l’Occident déraisonnable sont des extrémistes qui ont effectivement joué un rôle dans les organisations internationales ayant préparé Rio 1992. Les véritables problèmes posés par les changements climatiques sont exposés dans le premier article par Michael Grubb : éviter les désordres économiques et sociaux entraînés par des variations rapides ou imprévisibles. Le but à long terme reste le bien-être des hommes, mais végétaux et animaux en profiteront.
Pour Henry Shue, les discussions engagées dans ce numéro montrent un danger : utiliser une langue de bois et déclarer que tout s’arrangera facilement, à condition que les objectifs soient compatibles entre eux. Dans l’article de Victoria Johnson et de Robert Nurick sur les conflits entre le respect des droits de la femme et le niveau supportable de population, ou dans celui de Duncan Brack sur la libéralisation du commerce et la protection de l’environnement, apparaissent des oppositions flagrantes. Brack montre que l’on ne peut pas arriver simultanément à ces deux derniers objectifs sans mettre en place des institutions internationales. Henry Shue pense que le plus bel exemple de langue de bois est l’expression sustainable development (développement supportable) : personne n’explique ce qu’il entraîne concrètement ! Un ordre international est à créer en choisissant ce qu’il faut sacrifier ou respecter ; les principes moraux de justice internationale et des droits de l’homme font partie des fondements mêmes des intérêts nationaux légitimes et ne doivent pas être des contraintes externes.
Pour compléter cette analyse de Henry Shue, on peut citer la conclusion de Michael Grubb : il faut définir le partage des responsabilités pour faire face aux changements de climat, surtout pour les plus vulnérables, et pour tenir compte des contraintes qui surgiront quand la planète aura dix milliards d’habitants. Il ne peut y avoir d’ordre international moral si un pays agit sciemment et de longue durée en imposant des dommages à l’environnement dont d’autres souffriront. La division entre Nord et Sud n’aura pas de sens au XXIe siècle. Il faudra du temps pour que l’on prenne conscience d’un bien commun et pour que l’on mette en place des institutions. Il y aura lutte entre la puissance et la justice. Brack demande que l’on améliore l’Organisation mondiale du commerce (OMC), surtout dans le domaine de l’environnement pour ne pas renforcer les arguments protectionnistes.
Victoria Johnson et Robert Nurick passent en revue les thèses sur la population depuis Malthus et mettent en relief ce qu’elles comportent de contraire à la morale. Malgré de nombreuses études, il n’y a pas encore d’accord sur les relations entre croissance de la population et dégradation de l’environnement ; elles existent pourtant, sans que l’on puisse affirmer un lien de cause à effet. Les politiques natalistes ou antinatalistes ont trop longtemps ignoré les effets sur les aspects les plus intimes de la vie des personnes et des familles, alors qu’il existe des arguments très forts pour que soient respectés les droits individuels. Le droit à la reproduction doit-il dépendre d’objectifs démographiques ou doit-il en être indépendant ? Cedric Grant montre les responsabilités des États-Unis pour que règne l’équité dans les relations internationales : pour eux, la notion d’ennemi à combattre doit être remplacée par celle d’interdépendance et de partenariat à l’échelle mondiale.
Georges Outrey
• Dans le n° 6/1995 de Europaïsche Sicherheit, F. Mendel s’inquiète – « Concert de voix moscovites » – de plusieurs déclarations russes fracassantes : ainsi, pour Kozyrev, « il se pourrait que la force militaire devienne nécessaire pour protéger nos compatriotes à l’étranger ». Le général Lebed, dont la 14e Armée russe occupe toujours la partie est de la Moldavie, théoriquement indépendante, affirme que « l’extension de l’Otan mène à une troisième guerre mondiale ». Traiter l’Otan de fauteur de guerre est une tradition bien enracinée ; pourtant, la plupart des Russes – leur gouvernement et leurs généraux au moins – savent que les Occidentaux se donnent au contraire beaucoup de mal pour les aider à promouvoir chez eux la démocratie et l’économie de marché.
C’est surtout l’étonnement des Occidentaux devant ces déclarations, en partie électorales, qui devrait surprendre : la doctrine militaire russe approuvée par Eltsine prévoit formellement des actions militaires dans l’étranger proche, où vivent 25 millions de Russes, ce qui inquiète à bon droit leurs voisins. Cependant, lorsque Gratchev « estime impossible de continuer à appliquer le traité FCE à cause de la situation dans le Caucase », ils sont obligés de se demander quelle ligne politique ils doivent appliquer envers la Russie si celle-ci se met à ne plus respecter les accords signés. Moscou ne redoute certainement pas une nouvelle guerre mondiale, mais il entend se garder les mains libres pour intervenir à son gré au dehors.
• « Stratégie de sécurité de l’Allemagne et développement de l’Otan ». Le Dr Inacker taxe de légèreté les politiciens de son pays qui s’enflamment pour l’extension de l’Otan à la Pologne, à la Hongrie et à la République tchèque. Faute d’accepter de regarder en face des réalités dérangeantes, ils oublient de cerner les intérêts de sécurité allemands dans toute leur complexité.
V. Riihe – « le ministre secret des Affaires étrangères » et « un des rares à savoir ce qu’il veut » – a poussé le gouvernement d’abord, puis l’Otan, dans cette direction, persuadé que son rôle en flèche serait favorable à sa propre image de marque. D’une importance vitale, cette affaire mériterait pourtant des débats approfondis. De toute façon, on devra continuer à vivre pacifiquement auprès d’une Russie de 150 millions d’habitants qui, en dépit des vicissitudes présentes, reste une puissance militaire de première grandeur. Hors d’état aujourd’hui d’empêcher cette extension, il pourrait bien y avoir un retour de bâton plus tard si on a fait l’impasse sur elle. Créer sur le Boug une ligne artificielle de plus arrondirait la zone Otan, mais pourrait entraîner ultérieurement une fermeture des pays Baltes, de la Biélorussie, de l’Ukraine, probablement aussi d’autres États de l’Europe du Sud-Est contraints à retomber sous la tutelle russe, alors qu’actuellement, tout cet espace géostratégique entre l’Oder et la frontière orientale de l’Ukraine est largement ouvert et profite du rayonnement stratégique de l’Alliance.
Avec l’extension envisagée, l’Otan devrait apporter sa garantie militaire – y compris nucléaire – à des États dont les frontières géographiques et ethniques ne coïncident pas toujours. Des tensions bien pires encore que celles provoquées dans l’Alliance par la querelle gréco-turque pourraient en résulter. Déjà chancelante, sa cohésion y résisterait-elle ? Par suite d’intérêts et de points de vue de plus en plus divergents, les processus décisionnels qui permettent d’aboutir à l’indispensable « consensus Otan » risqueraient de se gripper, comme on l’a vu à propos de l’ex-Yougoslavie. Enfin, où l’Otan prendrait-elle le supplément de capacités militaires nécessaire pour assurer la protection de ses nouveaux membres alors que, chez les anciens, celles-ci sont « en chute libre » ?
Chef d’une sous-direction d’armement au ministère, K. Schloemann rappelle que, avec la réduction du budget militaire, l’industrie d’armement a dû énormément « dégraisser », perdant déjà les deux tiers de ses postes de travail. Il est indispensable que la recherche au moins ne soit pas sacrifiée et qu’elle bénéficie d’une aide de l’État. Sans parler de retombées bénéfiques pour l’ensemble du pays, elle est le deuxième pilier de la politique allemande de sécurité et de défense. Elle conditionne l’aptitude de la RFA à entrer dans des coopérations avec ses alliés pour fournir au meilleur compte à la Bundeswehr les équipements dont elle a besoin. Il est donc indispensable de sauvegarder une capacité minimale de recherche (vouloir davantage serait vain) dans tous les domaines clés. Une politique commune de défense et de sécurité ne se conçoit pas sans une industrie européenne des armements. Quelles que soient les difficultés de tout ordre à la mettre sur pied, elle est absolument nécessaire. Aucune solution purement nationale n’est envisageable.
• La Bundeswehr fait l’objet d’une moitié du n° 7/1995 de Europaïsche Sicherheit, sous la signature des plus hautes autorités : le Generalinspekteur (CEMA), son adjoint, les trois Inspekteur d’armée (CEM) et le directeur du service de santé. Rappelant tout le travail accompli depuis la réunification, le général K. Naumann présente « La Bundeswehr future » dont les fondements sont posés : maintien d’un service obligatoire ramené à dix mois, transformation de « l’armée de présence » en « armée d’instruction » mobilisable dans les délais compatibles avec la situation actuelle (six mois), mise sur pied de quelques formations instruites, à effectif plein, pour la couverture ou l’action extérieure maintenant formellement envisagée tant en zone Otan qu’en mission de paix ailleurs. Les forces sont classées en trois catégories : « de réaction de crise » (KRK), « principales de défense » (HVK), « bases militaires » (MBO), dont la composition, le taux de présence, le niveau d’instruction sont adaptés aux missions de chacune.
L’esprit de tous les cadres est à transformer en conséquence : à côté de missions classiques comme la surveillance de zone, les actions extérieures vont le plus souvent consister à s’interposer entre des adversaires, à relever des contingents de toute origine : « conserver, protéger, sauver des vies, c’est une mission exaltante », mais « vouloir aider et savoir combattre n’est en rien antinomique », au contraire. Des actions se dérouleront parfois dans une « zone grise » où les missions resteront floues, où il faudra se comporter en négociateur impartial et habile. Outre les connaissances militaires, toujours indispensables, officiers et sous-officiers devront apprendre à connaître et respecter des cultures, des civilisations, des traditions étrangères, à faire preuve de tact et de tolérance, et à améliorer leur pratique des langues, toutes matières à inclure désormais dans les programmes d’instruction, de même que le bon usage des médias, d’importance primordiale. L’information interne aussi devra recevoir encore plus d’attention. Partageant les dangers et les fatigues de ses hommes, le chef devra, plus que jamais, faire preuve de sollicitude envers ceux-ci, et leurs familles demeurées au pays devront faire aussi l’objet de l’attention du commandement.
« Le but est de constituer une communauté soudée, apte à tous les types de missions exigés par la situation nouvelle. Le soldat doit savoir pourquoi il sert et être convaincu qu’il contribue ainsi à assurer la paix dans le monde. Si nous y parvenons, nos efforts aboutiront à une Bundeswehr transformée, conforme à ce que doivent être les forces armées dans une démocratie : le cœur et la précondition de la souveraineté de l’État ».
• Adjoint du Generalinspekteur, le vice-amiral d’escadre H. Frank présente « Les services militaires centraux de la Bundeswehr » (ZMilDBw), ensemble peu connu qui regroupe 172 organismes divers sous son autorité, directe pour 107 d’entre eux, par l’intermédiaire de l’office des forces armées (SKA) pour les autres. Les ZMilDBw se composent d’offices centraux, d’établissements d’instruction, de services spécialisés auxquels viennent s’ajouter toutes les participations allemandes dans des états-majors intégrés, les missions de liaison allemandes auprès des Alliés et les 47 postes d’attaché militaire. L’importance et la multiplicité des tâches expliquent que 22 % de tous les officiers supérieurs et 19 % des officiers généraux de la Bundeswehr y soient affectés.
Le SKA a trois sortes principales d’attributions : autorité supérieure pour les organismes sur lesquels l’adjoint lui a donné délégation, autorité de commandement plein sur ses propres éléments, fourniture d’expertises variées pour toutes les diverses composantes du ministère. Il serait trop long de détailler ses fonctions.
L’office du personnel administre tous les officiers jusqu’au grade de lieutenant-colonel inclus ; il veille à la satisfaction des besoins en candidats officiers et officiers de réserve. Les universités militaires (Hambourg, Munich) dispensent aux jeunes officiers de carrière ou sous contrat la culture initiale. La Führungsakademie (Hambourg) assure le perfectionnement d’officiers subalternes et forme les brevetés d’état-major. L’Académie fédérale pour la politique de sécurité réunit des officiers et fonctionnaires de l’État et des Länder de haut rang avec des responsables du privé.
D’importants organismes centraux ont été redéployés en Brandebourg depuis la réunification : l’Académie militaire d’information-communication (officiers de presse et de relations publiques) et l’Institut militaire de sociologie à Strausberg (à l’est de Berlin), l’office de recherches militaires historiques déplacé de Fribourg à Potsdam, l’École des sports… Grossi de quelques sections du SKA, l’office logistique a remplacé l’ex-office du matériel de la Bundeswehr et l’École logistique (Hambourg) a été supprimée.
Sont également sous les ordres de l’adjoint du CEMA : le service militaire de géographie ; l’office des transmissions et systèmes d’information, responsable du C3I du haut commandement, coordonnateur de ceux des trois armées et chargé de la sécurité de l’ensemble ; le centre de vérification qui planifie et exécute les inspections allemandes de désarmement à l’étranger et accompagne en RFA les missions étrangères correspondantes ; l’office militaire de renseignement pour exploiter toutes informations militaires et politico-militaires au profit du haut commandement et des armées ; les fonctions de l’École interarmées du renseignement, dissoute, sont réparties entre lui et le MAD (sécurité militaire) ; l’office des études et exercices rédige divers travaux de fond pour le ministère, planifie, conduit, exploite les manœuvres nationales ou Otan.
Autre responsabilité de l’adjoint : le système des dépôts militaires allemands à l’étranger (Benelux, Danemark, Norvège…). Leur refonte pour plus d’efficacité reste à décider en accord avec le commandement logistique d’Afnorth.
• C’est « Un Heer nouveau pour des tâches nouvelles » que prépare le général H. Bagger. Jadis voué à la seule défense du sol allemand, il a vu s’élargir l’éventail de ses missions, rendant indispensable une révolution culturelle de la part de ses cadres (et aussi de la troupe et même de l’ensemble de la population).
Après un dernier « dégraissage » (900 officiers, 7 000 sous-officiers et 16 500 hommes du rang) à réaliser d’ici décembre, et compte tenu des réductions budgétaires, de la transformation des missions et de la volonté de créer une multinationalité accrue, la « structure 5 » envisagée lors de la réunification ne convient plus. Les détails de sa remplaçante seront décidés l’an prochain. On supprime les échelons de commandement moins indispensables (1) pour étoffer ceux conservés ainsi que l’encadrement des compagnies et des bataillons qui doivent rester le cadre stable de la vie du soldat.
Préoccupation essentielle, le Heer doit rester l’armée de l’unité. Les KRK ne doivent pas devenir « une armée dans l’armée » : la formation initiale de tous les cadres sera commune ; ils serviront alternativement en KRK, HVK, MGO ; l’osmose maximale sera recherchée, les recrues KRK recevront l’instruction initiale dans des corps HVK, avant de rejoindre par groupes leur formation d’emploi. Il n’y aura pas de brigades « affectées KRK », mais l’état-major et les unités organiques de certaines auront une structure interne renforcée pour leur permettre d’inclure au moment du besoin des formations destinées à une action extérieure. De plus, doit être effacée toute trace d’ancienne « frontière interne » : une brigade implantée à l’Est peut avoir une partie de ses corps à l’Ouest, et réciproquement. La dissolution de 4 organes importants de commandement et de quelque 35 bataillons entraîne inévitablement une refonte du stationnement mais, pour des motifs tant politiques que concernant le moral des cadres, on l’a limitée le plus possible : 6 garnisons disparaissent ; le Heer en quitte 9 autres dans lesquelles subsistent ou arrivent des éléments air, marine, MBO ou de l’administration militaire ; 19 autres voient l’effectif de « leur » bataillon s’amenuiser, mais elles conservent à part entière le statut de garnison.
La nouvelle organisation répond-elle à ses objectifs ? On s’est efforcé de procéder à des réductions équilibrées afin de garder une capacité de combat suffisante pour la défense du pays, à condition que soit utilisé à plein le délai de pré-alerte résultant de la situation nouvelle dans laquelle l’Allemagne n’est plus en première ligne. De ce fait, même les réductions considérables pratiquées dans la défense territoriale paraissent supportables. Dans le conflit entre nécessités militaires, ressources disponibles et données politiques, il a fallu trouver des compromis. Dès la mi-1996, le Heer commencera à se réarticuler dans une organisation nouvelle, en commençant par les KRK ; mais les grandes orientations dès maintenant arrêtées ne prendront tous leurs effets qu’aux environs de l’an 2000.
Nota : patron de l’Alat, le général F. Garben insiste sur l’importance accrue de l’aéromobilité pour accélérer le rythme d’action des forces terrestres. Le parc d’hélicoptères du Heer est de 650 appareils, mais vieillissants (2) : capacité d’emport insuffisante du Bell UH-1D Iroquois, prolongation de vie d’anciens modèles nécessitant des coûts de maintenance excessifs. Le regroupement dans une seule main de tous les hélicoptères permet de rationaliser au maximum les opérations d’entretien et d’assurer un emploi satisfaisant.
• Le général de corps d’armée aérien B. Mende livre sa conception de « La Luftwaffe de l’avenir ». Sa capacité d’action rapide et lointaine en fait « l’arme de la première heure », indispensable au gouvernement pour sa politique de sécurité. Elle doit se tenir prête à couvrir la mobilisation des forces dans le cas (très improbable provisoirement) d’une menace directe, mais également à intervenir n’importe où et sans délai pour juguler « ces crises qu’il importe de tenir à distance ». La projection de forces prend donc une importance nouvelle. N’ayant pas à occuper le terrain, l’aviation est particulièrement apte à l’escalade comme à la désescalade, contribuant ainsi à assurer la liberté d’action du gouvernement.
Pour pouvoir mettre en œuvre ses possibilités, il faut à la Luftwaffe :
– Un système de commandement fiable et performant, y compris sur de très longues distances ; le maintien de l’avance dans ce domaine des puissances industrielles occidentales justifie des sacrifices financiers.
– Une défense aérienne modernisée : l’EF 2000 (Ndlr : Eurofighter Typhoon) y pourvoira à partir de 2002 ; pour durer jusque-là, il faut au F-4F Phantom II des missiles stand off de portée moyenne. Comme sol-air, on a besoin d’un missile mobile (pour assurer aussi la couverture de forces en action extérieure), de moyenne portée, doté de capacité antimissile : le MEADS, à l’étude avec les États-Unis, la France et l’Italie, conviendra. Quant au Patriot, l’ensemble PAC 3 améliore son efficacité antimissile.
– Pour la part « air » de la tâche interarmées de renseignement, un système de satellites d’observation propre aux Européens est indispensable ; il faut aussi de nouveaux pods (photo, capteurs divers) pour les Tornado de reconnaissance.
– Les capacités d’attaque au sol sont à compléter avec des armes de précision et des missiles stand off ; à améliorer aussi l’avionique et l’équipement de navigation du Tornado.
– Les besoins accrus de transport aérien seront satisfaits vers l’an 2000 avec l’Avion de transport du futur ou ATF (Ndlr : A400M) et l’hélicoptère NH-90, développés en coopération.
Tout cela coûte évidemment cher ; il faudrait que la part « investissements » du budget militaire, sacrifiée ces dernières années, remonte vers 30 % dès que possible. Tout ce matériel serait inopérant s’il n’était pas servi par un personnel compétent et ardent. L’attrait du service est à développer pour faire naître des vocations chez des jeunes d’excellent niveau ; se passer des appelés paraît impossible : eux aussi remplissent des tâches importantes.
Selon la nouvelle « catégorisation » des forces, 28 700 aviateurs servent en MGO (unités de commandement air, de soutien du fonctionnement, de logistique et d’instruction) ; 19 000 sont dans les HVK (« le bouclier ») où le taux de présence a pu être réduit sans renoncer à leur participation aux tâches de souveraineté ; 12 300 sont dans les KRK, en même temps composante allemande des forces de réaction (air) de l’Otan (« le glaive opératif tactique »). Dès la fin de cette année, une capacité minimale d’intervention immédiate sera assurée, qui sera ensuite à compléter, sans oublier que, « pour la Luftwaffe, un continuum est à maintenir entre elle et les HVK ».
« Nos capacités d’action dépendent de façon décisive de l’équipe Luftwaffe, cet ensemble de militaires de carrière et sous contrat, d’appelés et de personnels civils qui, tous, coopèrent avec ardeur à l’exécution de la mission… Sa réussite repose sur l’engagement personnel de chacun et sur une confiance mutuelle. Notre but est que la Luftwaffe soit apte à remplir sa mission, à la hauteur, par ses personnels et son matériel, de son importance accrue et des espoirs mis en elle ».
• Quant à « L’avenir de la marine », le vice-amiral d’escadre H.-R. Boehmer explique que, vu la fin de la guerre froide et les difficultés budgétaires, elle « a décidé, non de subir, mais d’organiser sa transformation ». Réduisant son volume sans sacrifier aucune de ses composantes techniques, elle regroupe ses moyens en deux task forces comportant chacune des frégates, des corvettes, des chasseurs de mines, des sous-marins et des navires logistiques, appuyées depuis la terre par ses chasseurs bombardiers et avions de patrouille maritime. Ainsi conserve-t-elle la possibilité de participer activement aux opérations navales de l’Alliance : présence, protection et défense côtières, mais aussi en haute mer (exemples d’action lointaine : le déminage du golfe Persique et l’embargo en Adriatique).
Mariant économie et efficacité, la marine met cette année en service la 2e des quatre frégates type 123 ; celles du type 124 commenceront à relever à partir de 2002 les anciens destroyers de la classe Lutjens ; sortiront alors les premiers sous-marins du type 212 dotés d’une propulsion auxiliaire avec piles à combustible qui, en emploi tactique, les affranchit de l’air extérieur, une révolution pour des sous-marins non nucléaires. Un peu plus tard, les corvettes relèveront les patrouilleurs rapides des classes 148, 143 et 143A ; vers la même époque, il faudra remplacer avions de patrouille maritime et hélicoptères par des appareils développés en coopération.
Dans un esprit d’économie, on supprime 4 des 9 points d’appui navals et 9 des 14 installations d’instruction. Dans le stationnement modifié, un quart des moyens sera déployé sur la côte poméranienne ; l’office de la marine, un de ses trois organes centraux de commandement, quittera Wilhelmshaven pour Rostock, tandis que l’École technique se réimplantera à côté de Stralsund.
« Bien organisée et bien équipée, très opérationnelle, la marine peut regarder avec confiance vers le XXIe siècle ; elle est constituée d’hommes jeunes et dynamiques ; la présence parmi eux de 20 % d’appelés est pour elle à la fois bénéfique et indispensable ».
• « Les tâches nouvelles du Service de santé de la Bundeswehr » ont conduit le médecin général inspecteur G. Desch à publier en avril 1993 une directive technique qui transforme considérablement son organisation et son fonctionnement « en vue d’assurer à tous les militaires (où qu’ils se trouvent) des soins de même qualité que ceux dont bénéficie la population allemande ». Efficacité et économie conduisent à regrouper au mieux les moyens, à transformer le processus d’évacuation et de traitement en renonçant à affecter à chaque formation de niveau donné une unité sanitaire type, quelles que soient sa localisation et ses activités.
À la suite d’un an d’expérimentation, les infirmeries de corps de troupe disparaissent, remplacées par un maillage de centres de santé de garnison mieux équipés ; ils dispensent les soins et l’instruction « secourisme » (à renforcer) à tous les éléments de la Bundeswehr et de l’administration militaire de leur secteur ; ils leur fournissent les équipes nécessaires lors des manœuvres et déplacements. Au-dessus, hôpitaux et centres spécialisés du service central de santé assurent consultations, traitements et expertises ; ils participent obligatoirement aux urgences, accidents et traumatologie de la santé civile, entraînement à la chirurgie de guerre. Pour les besoins d’abord des KRK, certains reçoivent une unité aérotransportable de 200 lits (conteneurs, tentes, matériel de pointe « jusqu’à des ordinateurs de tomographie »…). Les deux premières viennent d’être livrées. Les besoins en soutien santé des KRK seront définis chaque fois sur mesure en fonction de la mission, du climat, des risques prévisibles et des possibilités ou non d’aide par la « nation hôte » : infirmiers et secouristes à la compagnie, poste de secours de bataillon, renforcé éventuellement en spécialistes (anesthésistes…) pour assurer les premiers soins avant évacuation directe (normalement par hélicoptère) sur l’hôpital éloigné, à terre ou flottant, en mesure de traiter des polytraumatisés ; le traitement définitif s’y déroulera entièrement. Là où la situation s’y opposerait, mise en place d’antennes capables d’opérer et de soigner sur place blessés et malades.
En cas de guerre en Allemagne, les groupes d’hôpitaux de campagne de réserve (chaque hôpital a une capacité de 1 000 lits) seront, chaque fois que possible, implantés à proximité d’établissements civils pour travailler en étroite symbiose avec eux. « Si le pays venait à être attaqué, ce n’est que par le travail en commun de tous les moyens de santé, civils comme militaires, que pourraient être approximativement assurés les besoins médicaux. »
Jean Rives-Niessel
• Le n° 2, été 1995, de Politique étrangère, revue de l’Institut français des relations internationales (Ifri), publie un dossier intitulé « Le Maghreb à l’épreuve de l’Algérie », sous la direction de May Chartouni-Dubarry. Les nombreux articles sont signés : Benjamin Stora, Lyes Si Zoubir, Ahmed Rouadjia, Brahim Younessi, Abderrahim Hafidi, Nicole Grimaud, Gema Martin-Munoz, Alain Chenal et José Garçon. On trouvera aussi des textes sur l’Europe. l’Allemagne et le Japon, l’opinion américaine sur l’internationalisme, le libre-échangisme et la France.
(1) Six états-majors de région militaire (WBK) fusionnent chacun avec une division ; un EM de WBK et un EM de division restent indépendants, ainsi qu’un EM divisionnaire haut le pied. Le nombre de divisions militaires (VBK) passe de 46 à 27 ; on n’envisage plus d’en fusionner avec des brigades ; les cercles de défense (VKK) sont supprimés mais des éléments de liaison seront mis en place dans les Länder, et aussi aux échelons inférieurs pour veiller au maintien de la coopération civilo-militaire. Les 21 brigades seront de 4 types différents selon le taux de présence ; s’y ajouteront en mobilisation 4 brigades de chasseurs, issues des régiments territoriaux. Les compagnies autonomes de chasseurs de chars disparaissent dans les brigades mécanisées, ainsi que les éléments de défense NBC (regroupés dans la brigade du génie de