À travers les livres - Les interactions soviéto-américaines : les « modèles Foster »
L’arme atomique n’est pas à la source de l’angoisse du monde moderne ; elle est l’affirmation de cette angoisse, l’accomplissement d’un grand désordre interne, et comme la concrétisation de la folie totalitaire de notre temps. Lorsque Einstein, Léo Szilard et d’autres savants émigrés d’Europe font porter au président Roosevelt le message qui arrachera la décision des responsables politiques, ils sont d’abord gouvernés par une crainte explicite : puisque l’arme est concevable, les nazis peuvent la découvrir les premiers. Il est vrai qu’ils sont également animés par un espoir plus secret : fonder sur l’apparition de l’arme absolue, sur la menace très réelle d’un désastre commun, pour la première fois dans l’Histoire, une « cité humaine » à l’échelle du monde, une « démocratie mondiale » — ainsi, selon le secrétaire d’État Stimson, « pourrait être renversé le cours de la civilisation ». Le bulletin des savants atomistes américains s’orne d’une horloge : la petite aiguille marque minuit, la grande s’en approche ou s’en éloigne selon les fluctuations de la politique internationale. « Le compte à rebours définit l’unique horaire, tous les mortels sont voyageurs du train-humanité, le monde est devenu idéal », écrit André Glucksmann dans son remarquable Discours de la Guerre (L’Herne, 1967). Puisque la guerre nucléaire est pure abstraction et croix sur le monde réel, l’arme absolue devient l’instrument de la prise du pouvoir de la raison. Puisque la lutte à mort ne pourrait conduire des adversaires nucléaires qu’à l’holocauste final, l’arme absolue devrait discipliner, ordonner, unifier les conduites sur la scène internationale.
La réalité internationale d’aujourd’hui répond-elle aux attentes des interlocuteurs de Roosevelt, ces initiateurs de l’ère atomique ? La conscience de leur responsabilité nucléaire commune a-t-elle incité les Supergrands à rationaliser, à codifier leurs rapports ? Devant la considération du risque nucléaire, la terreur est-elle en voie d’être convertie en ordre mondial ? Entre les superpuissances, crises, défis, ruptures de négociations ne sont-ils que moyens de communiquer, d’extérioriser la dissuasion, de rappeler le partenaire au bon sens ? Aux interactions soviéto-américaines, le directeur du Centre d’études stratégiques de l’Institut de recherches de Stanford, Richard B. Foster, consacre une étude, publiée dans l’ouvrage collectif National strategy in a decade of change (Lexington Books, Lexington, Mass. 1973).
Envisager les relations américano-soviétiques comme un ensemble comprenant à la fois des occasions de coopération et des possibilités de conflit, les unes étant souvent neutralisées par les autres : tel est l’objet de la recherche « méthodologique » de Richard B. Foster. « Puisqu’il est de l’intérêt des deux États d’empêcher une guerre nucléaire entre eux, une nécessité dialectique de coopération s’impose à eux… À son tour, cette nécessité stratégique peut conduire à une plus haute synthèse, une nouvelle politique internationale qui serait le ciment d’un ordre mondial »… Son modèle dialectique des interactions soviéto-américaines, l’auteur l’expose à l’aide d’une série de triangles. Cinq croquis sont utilisés pour représenter la genèse d’une organisation globale du système international. L’ossature fondamentale de ce système comprend : la force (Strength ou « S ») et l’association avec les alliés (Partnership ou « P ») qui permettront d’entreprendre des négociations (Negotiations ou « N ») avec l’Union soviétique et la Chine en vue d’instaurer un monde plus pacifique. Dans les diagrammes, les lignes représentant les associations principales sont marquées d’un pointillé, celles qui indiquent les négociations essentielles sont barrées d’une hachure, celles qui correspondent aux principaux engagements de garantie nucléaire sont rayées obliquement.
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