Marine - Renseignement et Marine
Depuis la fin des années 80, nous nous dirigeons d’un monde bipolaire structuré vers un ensemble éclaté. Les risques d’un conflit majeur ont, certes, considérablement diminué. Pourtant, partout dans le monde, des foyers d’instabilité sont apparus et constituent de nouvelles menaces à l’encontre de nos intérêts nationaux et européens : la résurgence des nationalismes en est un exemple parmi tant d’autres. Les deux critères pouvant qualifier ces nouveaux dangers sont leur imprévisibilité et leur complexité.
Évolution de la menace
Du point de vue maritime, cette complexité s’est également accrue du fait que la menace a changé de lieu : de la haute mer, elle s’est déplacée vers les zones littorales. Elle a aussi changé de volume : de celui d’une confrontation globale entre deux superpuissances, elle est devenue multipolaire. Elle a donc changé de caractère et les études classiques sur l’ennemi pouvant être énoncées à l’École de guerre il y a six ans ne sont plus de mise au Collège interarmées de défense ou dans les Écoles d’état-major alliées en 1995…
Avec elle, la nature du renseignement, qui a pour fondement de précéder et de préparer l’action, n’a pu qu’évoluer.
Nouvelles doctrines pour le renseignement naval
Les Occidentaux, dans leurs nouvelles doctrines concernant le renseignement naval, ont pris en compte l’évolution de cette menace en définissant des missions de renseignement du temps de paix très proches de celles du temps de crise. Ainsi la marine américaine a-t-elle adapté la composition de ses task forces et les lieux de leur déploiement selon une nouvelle théorie : la projection de puissance doit s’effectuer près du littoral.
Dans ce nouveau contexte, le renseignement devient, bien sûr, capital : aujourd’hui, les pays du Tiers Monde peuvent en grande majorité s’équiper d’armes perfectionnées, par exemple antinavires ; il est donc très important de savoir maintenir des bases de données très précises sur ces types d’armement nouvellement acquis et leurs fournisseurs. De même, en cas d’intervention, la connaissance de l’environnement ainsi que des infrastructures ennemies reste primordiale : études des topographies, des ports, des bathymétries (1), mais aussi répertoire des types d’infections et maladies possibles, sont autant de données nécessaires avant l’action.
Il est donc intéressant de noter l’importance prise de plus en plus par le renseignement de type « ouvert », qui demande une réactualisation constante afin d’être efficace. Le deuxième point concerne le rôle accru et nécessaire d’un nombre de plus en plus élevé de spécialistes en divers domaines, et n’exerçant pas obligatoirement une activité dans celui de la défense, afin d’élaborer ce renseignement. Un travail méthodique d’analyse et de synthèse de la documentation, le traitement des différents rapports de visites ou de conférences, la prise en compte des échanges entre alliés, fournissent en effet 80 % du renseignement « élaboré », et cela à partir de sources ouvertes.
Intégration
Un autre aspect important du renseignement est qu’il doit faire entièrement partie d’une chaîne opérationnelle pour être efficace : ainsi, les spécialistes du renseignement naval embarqués sont-ils à même d’informer le commandement d’une opération amphibie qui se déroulerait à terre en même temps qu’ils renseignent les bâtiments présents dans la zone afin de contribuer à maintenir une supériorité militaire sur l’ensemble du champ de bataille aéromaritime. L’intégration, l’imbrication parfaites d’une composante « renseignement » dans un état-major embarqué sont fondamentales, mais celles-ci ne fonctionneront le jour J qu’à force de préparation, de formation et d’entraînement spécialisés.
Entraînement interarmées, formation
Cet entraînement doit être interarmées et le personnel devra acquérir une compétence spécifique grâce à des affectations variées : les différentes situations procureront autant d’occasions « d’apprendre » lors d’exercices combinés nationaux ou multinationaux.
Une capacité qu’il convient de développer est la connaissance et la pratique de différents dialectes dans nos écoles, puisque la multiplicité des menaces « littorales » rend nécessaire l’apprentissage de nouvelles langues qui n’étaient pas communément enseignées il y a quelques années. Il est également nécessaire de former, dans le domaine des systèmes d’armes modernes, des spécialistes capables d’exploiter et d’analyser les différents articles de presse concernant ces matériels.
L’autre effort porte sur la simulation d’opérations combinées où la composante « renseignement » a toute sa place. Cet entraînement doit inclure l’emploi de systèmes d’information aptes à fournir au commandement, de façon instantanée, des données sur la surveillance des champs de bataille grâce à nos capteurs (satellites, avions…) et pouvant échanger ces informations avec nos partenaires grâce à la mise au point d’une interopérabilité nécessaire dans nos moyens de transmissions.
Ces impératifs sont à la portée des ambitions de la marine nationale, et le lancement d’Hélios vient récemment de parachever la panoplie croissante des moyens techniques développés par la France concernant le renseignement, dont profite la marine, comme les autres armées.
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La marine, de par ses missions, possède une vocation certaine pour jouer un rôle primordial dans la collecte des renseignements. Ces missions amènent les bâtiments à évoluer dans les eaux internationales et leur permettent ainsi plus aisément de recueillir des renseignements (par exemple d’origine électromagnétique) lors de rencontres fortuites à la mer. De même, chaque visite en escale de bâtiments étrangers est l’occasion d’une recherche « ouverte » et d’échanges très utiles… « Si le prince éclairé et le général avisé défont l’ennemi, c’est grâce à l’information préalable » (Sun Tse). ♦
(1) Technique de relevé des caractéristiques de l’eau de mer pour déterminer dans ce lieu et à cet instant les conditions de propagation des ondes acoustiques, seul phénomène actuellement utilisable avec une certaine efficacité dans la lutte anti-sous-marine (NDLR).