Afrique - La coopération militaire française en Afrique
Le gouvernement Juppé 1, dès son installation, avait engagé un processus de réforme de la coopération française, dans le but, selon les termes mêmes de la lettre d’orientation adressée par le Premier ministre à Jacques Godfrain, le ministre délégué à la Coopération, de « mieux insérer la politique de développement dans la politique extérieure de la France ». « Vous réformerez sans tarder, ajoutait Alain Juppé, l’organisation et le fonctionnement de notre aide publique au développement dans le sens de la simplicité et de l’efficacité ».
Avant qu’une telle réforme, dont on sait qu’elle est fort complexe et délicate, soit véritablement mise en œuvre, le champ d’intervention du ministère délégué à la Coopération a été élargi à l’ensemble des pays signataires des accords de Lomé avec l’Union européenne, dits les pays Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP). Même si le ministère de la Coopération est redevenu un ministère délégué auprès du ministère des Affaires étrangères, il a été décidé de lui laisser, au moins pour l’année 1996, un budget séparé, incluant les crédits du Fonds d’aide et de coopération, qui continuera de privilégier les pays de l’ancien champ en majorité francophones et lusophones, signataires d’accords particuliers de coopération, et partenaires traditionnels de la France en Afrique au sud du Sahara.
En tout cas, quoi qu’il advienne de cette réforme, il faudra tenir compte de la spécificité d’un domaine particulier de la coopération française, celui de la coopération militaire. Instaurée dès les indépendances avec la plupart des anciennes colonies de la France en Afrique noire, puis élargie à d’autres pays de la région, elle a constitué de facto une véritable assurance de sécurité régionale qui a permis de limiter considérablement les risques de conflit entre les États concernés, de donner à ceux-ci des garanties contre les agressions armées extérieures tout en maintenant leurs dépenses militaires à un niveau très modeste. Cette coopération est conduite et mise en œuvre par la Mission militaire de coopération (MMC), rattachée à la Rue Monsieur. Elle s’appuie actuellement sur des accords bilatéraux signés entre 1960 et 1987 avec 23 pays africains (compte tenu des accords de défense signés avec une dizaine de pays africains et qui sont gérés et mis en œuvre par le ministère de la Défense). À ces 23 pays, il faut ajouter le Cambodge, rattaché à la MMC et avec lequel un accord relatif à la coopération technique dans le domaine de la défense a été signé en 1993, et un autre relatif à la coopération militaire technique en février 1994.
Depuis la fin de la guerre froide et l’évolution des processus de démocratisation sur le continent, une réorientation de cette coopération militaire a été engagée. Elle est basée sur trois notions : la prévention, la stabilité, l’État de droit. L’objectif est de s’adapter, en même temps qu’évolue la coopération civile dans le domaine de la sécurité, aux nouvelles menaces et aux nouveaux besoins des pays.
Au total, pour 1996, cette coopération militaire représentera 776 millions de francs de crédits, qui se répartissent en trois types d’actions.
L’assistance militaire technique (AMT), pour laquelle sont prévus 522,2 MF de crédits en 1996. Ils concernent l’envoi de 714 assistants militaires techniques français dans 24 pays africains. Les plus gros contingents concernent les États suivants : Cameroun (54), Centrafrique (63), Côte-d’Ivoire (50), Djibouti (47), Gabon (60), Mauritanie (52), Niger (50), Tchad (60). Le total des effectifs de l’AMT connaît une baisse notable depuis une dizaine d’années : il est passé de 923 en 1986 à 688 en 1994. On constate une légère remontée à partir de 1995 (701), qui paraît donc se confirmer pour 1996. Au fil des ans, l’AMT évolue systématiquement vers des postes de conseillers ou d’instructeurs. Les assistants techniques français ne devraient plus, sauf cas exceptionnels, exercer des fonctions de commandement dans des unités des armées des pays partenaires.
L’aide directe en matériel : les crédits prévus pour 1996 s’élèvent à 162,1 MF. En 1995, les plus gros bénéficiaires de cette forme d’aide ont été le Bénin (10,23 MF), le Burundi (11,41 MF), la Centrafrique (15,19 MF), la Côte-d’Ivoire (14,17 MF), Madagascar (11,95 MF), le Niger (14,35 MF), le Sénégal (18,50 MF) et le Tchad (43,21 MF). Après une longue période au cours de laquelle cette aide, notablement plus élevée, a servi à financer l’équipement de base des armées des pays africains francophones, elle a connu également une baisse notable. Pour certains États, des programmes pluriannuels d’équipement ont été définis. En réalité, la répartition de cette aide est largement déterminée par la conjoncture, c’est-à-dire par les besoins urgents qui peuvent surgir dans tel ou tel pays en raison d’une crise ou d’un conflit.
La formation des stagiaires : les crédits affectés à cette catégorie d’aide en 1996 s’élèvent à 91,7 MF. Environ 1 400 stagiaires militaires africains en France seront concernés par ce volet de l’aide. Près de la moitié des places de stages prévues seront octroyées à 6 pays : le Cameroun, le Gabon, le Sénégal, le Tchad, la Mauritanie et le Burkina Faso. En 1995, les principaux bénéficiaires ont été le Bénin (82 stagiaires), le Burkina Faso (87), le Sénégal (114) et le Tchad (116). Dans ce domaine aussi, le volume des crédits, donc le nombre de stagiaires militaires africains accueillis dans les écoles françaises, avait notablement diminué au cours des dernières années. Un effort de redressement a été amorcé en 1995 et devrait être confirmé en 1996.
Dans la réorientation récente de la politique de coopération militaire, l’élément le plus original, sur lequel un effort notable a été entrepris, concerne les actions destinées à renforcer la sécurité intérieure pour stabiliser et consolider les États de droit. Les actions sont orientées vers les forces dont la mission première est de préserver l’État de droit (les gendarmeries et les gardes nationales), ainsi que toutes les forces qui participent à des missions de service public, à la sécurisation de l’État, ou au développement des activités économiques : gendarmeries bien sûr, mais également armées de terre (génie, contrôle des frontières, lutte contre la contrebande ou contre le grand banditisme rural…), marines (surveillance des zones économiques, appui aux douanes, sauvetage…), armées de l’air (surveillance des zones économiques, lutte contre la contrebande, recherche des cultures de drogue…), ainsi que certains services spécialisés (santé, services administratifs ou techniques).
Pour pouvoir développer ces actions malgré la baisse des crédits de la coopération militaire, les projets liés à la sécurité intérieure et mis en œuvre par la MMC peuvent, depuis juillet 1994, profiter d’un financement par le Fonds d’aide et de coopération (FAC). Ainsi, en 1995, 12 pays ont pu bénéficier d’un appui militaire concernant la sécurité intérieure, financé par le FAC : le Bénin, le Burkina Faso, le Burundi, le Cameroun, la Centrafrique, le Congo, la Côte-d’Ivoire, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal et le Tchad. Ces projets FAC portent essentiellement sur la fourniture de moyens logistiques à des forces de sécurité à statut militaire.
On peut constater que, pour l’heure, l’essentiel de l’effort de réorientation a porté concrètement sur les problèmes de sécurité intérieure, qui recouvrent, il est vrai, une partie importante des menaces et des facteurs d’instabilité pouvant hypothéquer aussi bien le développement que les processus de démocratisation. Il apparaît également que, malgré la baisse sensible des crédits de la coopération militaire, la France reste tant bien que mal en mesure de répondre aux besoins importants exprimés par les pays africains dans le domaine de la sécurité. L’éligibilité au FAC de certains projets, la marge procurée par la dévaluation du franc CFA, ou la suspension par décision politique de la coopération militaire à une période donnée avec certains pays (Togo, Zaïre, Rwanda…) ont permis de faire face à cette baisse des crédits sans dommages majeurs. Il reste que ces données, pour la plupart conjoncturelles, risquent de ne pas durer, alors que la demande va sans aucun doute croître. D’autant plus qu’outre le domaine de la sécurité intérieure, la France s’est engagée à apporter un appui aux projets en cours d’élaboration concernant la prévention des conflits et la préparation d’éventuelles forces africaines de maintien de la paix et d’intervention.
Il faut ajouter à cela un autre élément qui risque aussi de représenter une difficulté budgétaire importante : celui de la réforme de la coopération, de l’éventuelle fusion entre les budgets de la Rue Monsieur et du Quai d’Orsay et de la redéfinition du champ d’action de la coopération française en Afrique. ♦