Marine - Les classes « post-BEP » : un partenariat fructueux avec l'Éducation nationale
Pendant longtemps, en fait tant que les navires ont été mus par le vent, la Marine a pu, pour l’essentiel, se contenter d’un recrutement que l’on qualifierait aujourd’hui de « proximité » : la population côtière, dont les débouchés étaient alors limités, suffisait aux besoins, d’autant mieux que les exigences en formation préalable étaient des plus modestes.
Avec l’avènement de la propulsion mécanique dans la première moitié du XIXe siècle, s’est posé le problème de trouver des gens capables de mettre en œuvre des équipements relativement complexes. Cet impératif s’est accru avec les progrès techniques qui se sont multipliés depuis lors. Aujourd’hui, les engagés destinés aux spécialités à caractère technique (mécanique, électrotechnique et électronique) constituent près des deux tiers du recrutement.
Une ressource limitée pour des besoins importants
C’est dans les bassins industriels, et surtout dans le Nord et en Lorraine, que l’on est d’abord allé chercher les futurs marins possédant la formation technique souhaitée. Cela explique d’ailleurs la tradition d’engagement dans la Marine qui existe toujours dans ces régions.
La difficulté persistante à recruter en nombre suffisant des jeunes possédant une formation adaptée a très tôt conduit la Marine à assurer elle-même l’essentiel de cette formation. Pendant près d’un siècle, elle a recruté des garçons de seize ans, au bagage scolaire modeste mais éprouvé. L’école des apprentis mécaniciens de la flotte, installée à partir de 1936 à Saint-Mandrier, près de Toulon, leur donnait des compléments de formation qui leur permettaient ensuite de suivre l’enseignement des écoles de spécialités. Alimentant ainsi les flux de recrutement technique dont elle avait besoin, la Marine jouait de surcroît un rôle de promotion sociale pour beaucoup de jeunes aux perspectives d’avenir incertaines, auxquels elle offrait de bonnes possibilités de progression.
Avec l’allongement de la durée des études — plus de 80 % des Français de dix-huit ans sont aujourd’hui scolarisés —, la filière des apprentis mécaniciens s’est tarie. La Marine, comme tous les employeurs, comptait que le système éducatif, formant plus, allait mettre sur le marché de l’emploi des éléments convenant mieux à ses besoins ; mais la valorisation de la formation professionnelle, que les ministres successifs de l’Éducation nationale ont cherché à promouvoir, n’est toujours pas acquise. Aujourd’hui ce sont pour l’essentiel des jeunes en difficulté qui aboutissent dans cette formation ; et au sein de celle-ci, les effectifs formés dans les filières industrielles, intéressants pour la Marine en raison de leur qualification ouvrière, sont très modestes : de l’ordre de 45 000 seulement obtiennent chaque année un BEP de mécanique ou d’électrotechnique.
Où les intérêts de la Marine et de l’Éducation nationale se rejoignent
Dans ses efforts pour valoriser la formation professionnelle et en réponse à la critique qu’elle ne dispensait pas un enseignement favorisant assez l’insertion des jeunes, l’Éducation nationale a créé en 1987 les formations complémentaires d’initiative locale (FCIL) : des jeunes scolaires d’un niveau déterminé y reçoivent un enseignement spécifique, défini conjointement par le lycée d’accueil et un futur employeur, pour les préparer à un type d’emploi qui intéresse ce dernier.
Contactée dès 1988 par l’Éducation nationale, la Marine a trouvé un grand intérêt à cette formule. Celle-ci pouvait en effet favoriser un flux notable d’engagements dans des spécialités techniques difficiles à alimenter. S’agissant d’une formation d’initiative locale, c’est avec les différentes académies qu’il a fallu passer de véritables accords de partenariat. Ceux-ci ont pris la forme de protocoles permettant l’ouverture de classes dans des lycées professionnels au profit de jeunes titulaires d’un BEP de mécanique ou d’électrotechnique.
Les premiers de ces protocoles furent signés en 1989 avec les académies de Paris et de Lille ; les deux premières classes ouvraient à la rentrée scolaire 1990. Aujourd’hui, après une rapide montée en puissance qui illustre l’attrait de la formule, ce sont 23 académies sur 26 qui ont signé un tel protocole ; quant aux classes dites de formation complémentaire Marine (FCM), au nombre de 38, elles accueillent quelque 450 élèves.
L’originalité de cette formation réside dans la garantie d’insertion donnée à des jeunes de niveau modeste, alors qu’ils sont encore dans le système éducatif, bien avant qu’il leur soit demandé de se déterminer pour un quelconque engagement.
Une coopération étroite avec l’Éducation nationale
L’information sur la FCM est dispensée par les bureaux d’information sur les carrières de la Marine (BICM), mais aussi par les lycées concernés et par les centres d’information et d’orientation de l’Éducation nationale. Les candidats sont reçus en entretien dans les BICM et y passent des tests. Leur admission dans les classes est prononcée par une commission mixte Marine-Éducation nationale.
L’effectif des classes est de 12 élèves seulement qui, de ce fait, sont très bien suivis. C’est le lycée qui délivre la totalité de l’enseignement pendant les huit mois que dure la scolarité. La Marine, pour sa part, cherche durant cette période à faire connaître du mieux possible aux élèves les métiers vers lesquels ils s’orientent : stage de deux semaines au centre d’instruction naval de Saint-Mandrier, abonnement individuel à l’hebdomadaire Cols bleus, fréquentes visites du personnel du BICM de rattachement, qui est par ailleurs toujours disponible pour accueillir les élèves et répondre à leurs questions.
Des responsables de la Marine participent aux conseils de classe trimestriels. En mai, après une dernière série de tests Marine d’évaluation des connaissances assimilées et le conseil de classe de fin d’année, c’est à nouveau une commission mixte qui décide de l’octroi des contrats d’engagement : huit ans à tous ceux qui ont donné satisfaction, trois ans à ceux qui sont « un peu justes » mais qui paraissent pouvoir encore se rattraper, et enfin élimination des élèves qui n’ont pas fourni le travail nécessaire ou qui se sont mal comportés.
Les jeunes retenus rallient le centre d’instruction naval de Querqueville, près de Cherbourg, aux alentours du 1er juin. C’est à ce moment qu’ils signent leur engagement, rien ne les liant à la Marine jusque-là. Ils suivent ensuite exactement le même cursus que les autres engagés. À ceux de l’option mécanique sont ouvertes les spécialités de mécanicien naval ou d’aéronautique, d’électromécanicien de sécurité, de missilier et de missilier d’armes sous-Marines ; à ceux de l’option électro-technique, celles d’électrotechnicien, d’électromécanicien de sécurité ou d’aéronautique, d’électronicien d’armes, de détecteur et de détecteur anti-sous-marin.
Attrait supplémentaire important pour ceux qui sont engagés comme électrotechnicien : la possibilité de préparer en formation continue, pendant les deux ans qui suivent leur incorporation, un baccalauréat professionnel compatible avec leur activité. Les volontaires bénéficient d’un aménagement précieux de leur programme : après leur formation initiale de spécialité, ils reçoivent une affectation d’un an seulement durant laquelle ils suivent un cours par correspondance ; ils retournent ensuite, pour le brevet d’aptitude technique, au centre d’instruction naval de Saint-Mandrier, où ils jouissent de conditions de travail privilégiées avant de passer l’examen. Les premiers marins à profiter de cette formule passeront leur bac en juin 1996.
La Marine et l’Éducation nationale travaillent à étendre l’accès au bac professionnel aux élèves de classes « post-BEP » engagés dans d’autres spécialités. Les prochains bénéficiaires seront les mécaniciens navals. Les jeunes intégrant une FCM à partir de septembre 1996, qui seront engagés dans cette spécialité, pourront prétendre au nouveau bac « pilotage des systèmes de production automatisée » qui vient d’être créé.
Une formule très satisfaisante pour chacun des deux partenaires
En un temps où l’insertion des jeunes est devenue un dossier prioritaire, l’Éducation nationale cherche à créer avec des partenaires du monde du travail des formations qui débouchent directement sur des emplois : aussi, la formation complémentaire Marine paraît-elle exemplaire à ce titre.
Pour les lycées concernés, les classes FCM sont des classes sans problème, voire modèles : sans inquiétude pour leur proche avenir, les élèves s’y comportent bien et sont plus réceptifs que les autres à l’enseignement qui leur est dispensé ; ils donnent en général de grandes satisfactions à leurs professeurs.
La Marine, quant à elle, entretient par cette filière un flux régulier d’engagés possédant une solide formation ouvrière, convenant bien à de nombreux postes de début de carrière, à pourvoir dans les spécialités techniques. Ce flux, qu’il a paru convenable de limiter à 400 engagés par an, pourrait être revu à la hausse si le besoin s’en faisait sentir.
Les classes de formation complémentaire contribuent par ailleurs de façon très efficace au rayonnement de la Marine dans les régions où elles sont implantées, et aussi dans le monde de la formation professionnelle. Enfin, et peut-être surtout, l’étroite coopération entre la Marine et l’Éducation nationale pour la création et le fonctionnement de ces classes a permis aux deux partenaires de bien mieux se connaître et se comprendre. La confiance mutuelle qui en découle est très profitable à toutes les relations entre les deux institutions. ♦