Défense dans le monde - La coopération balte
Dès leur indépendance, les États baltes ont souhaité constituer des forces armées les plus proches possible des standards de l’Europe de l’Ouest. Les Occidentaux les ont soutenus dans cette entreprise, mais ils ont aussi exercé des pressions pour que l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie mettent sur pied des politiques régionales, notamment dans le domaine de la défense. Cinq ans après, les résultats sont contrastés.
La coopération régionale
La position géographique, l’histoire et la taille de ces pays donnent aux Occidentaux le sentiment qu’il devrait être aisé d’élaborer une coopération régionale. Elle permettrait, en particulier, de faire valoir sur la scène internationale des intérêts communs aux trois pays et d’atteindre collectivement un poids politique suffisant pour influer à leur bénéfice sur les équilibres de la zone.
Ce serait ignorer des facteurs de différenciation bien réels. L’Estonie et la Lettonie ont des frontières directes et longues avec la Russie, tandis que la Lituanie n’est limitrophe que de l’enclave de Kaliningrad. Les communautés d’origine russe pèsent d’un poids différent sur la scène politique intérieure en s’intégrant plus ou moins bien dans la population locale. La religion dominante n’est pas la même dans les trois pays. Enfin, des incertitudes sur le tracé des frontières, terrestres ou maritimes, créent un arrière-fond de méfiance dans les relations bilatérales.
Malgré cela, les dirigeants de Tallinn, Riga et Vilnius essaient de donner vie à une coopération régionale de sécurité. Des rencontres régulières, entre les présidents comme entre les ministres et les chefs d’état-major, sont d’opportuns rendez-vous pour insuffler un élan à des projets trilatéraux. La dernière en date de ces conférences s’est tenue le 23 janvier à Vilnius entre les ministres de la Défense. MM. Ôëvel, Krastins et Linkevicius ont tiré les enseignements des efforts antérieurs et ont décidé d’accentuer leur coopération de défense. Ils ont sélectionné un certain nombre de domaines dans lesquels il leur paraissait judicieux de mettre en commun leurs énergies : la surveillance de l’espace aérien des trois pays, le développement d’un réseau de télécommunications régional, la poursuite de la mise sur pied d’un bataillon tri latéral de maintien de la paix et l’ouverture d’un centre d’entraînement naval commun. Ces décisions sont, pour certaines, la concrétisation de réflexions antérieures : le bataillon balte est en gestation depuis plus de deux ans et la question de l’espace aérien est périodiquement agitée en raison, notamment, des marchés qui lui sont liés.
En revanche, les deux autres projets sont nouveaux et traduisent des soucis politiques de la part de leurs auteurs. Les quelques moyens navals disponibles dans chaque pays soant disputés entre les forces armées, la défense territoriale, les douanes et le ministère de l’Intérieur. Ils échappent donc singulièrement à l’autorité politique pour devenir des enjeux de pouvoir sur fond de campagnes électorales. Les ministres de la Défense ont peut-être été tentés de regrouper ces moyens pour mieux asseoir leur tutelle et constituer une chaîne hiérarchique qui donne prise à l’exercice du contrôle démocratique. L’idée du réseau de télécommunications régional répond à un souci plus immédiatement technique. Il ne faut cependant pas exclure le souhait des dirigeants baltes, par-delà la modernisation des réseaux existants, de disposer d’une redondance des moyens. Il reste que ces projets devront être financés et l’on rejoint ainsi la politique intérieure des États concernés.
À cet égard, la volonté politique au plus haut niveau de ces États ne rencontre pas l’assentiment général. Il est vrai que les trois pays font déjà des efforts importants pour créer des sections (Estpla pour Estonian platoon ; Letpla ; Litpla, dans la terminologie technico-militaire contemporaine) qui participent aux efforts collectifs dans la mise en œuvre du plan de paix en Bosnie. Les moyens nécessaires, notamment budgétaires et en personnel formé, sont déjà lourds, estime une partie de l’opinion publique, sans qu’il soit besoin d’y ajouter une unité du niveau du bataillon qui requiert une à deux compagnies par pays contributeur. Par ailleurs, des voix plus politiques, et non des moindres, se font entendre pour freiner la dynamique régionale et réprouver tout projet perçu comme trop « dissolvant » pour les jeunes identités nationales. On constate ainsi des réticences parlementaires et un engagement mesuré des ministres des Affaires étrangères : le communiqué publié à l’issue de leur rencontre du 7 février ne reprend pas de ces intentions.
Les Occidentaux approuvent cependant ces projets qu’ils ont appelés de leurs vœux et s’organisent pour les soutenir.
La coordination de l’aide occidentale
Avec les Baltes comme avec les anciens satellites de la Russie, les Occidentaux ont voulu mettre en place des programmes de coopération bilatéraux. Des partenariats étroits ont ainsi vu le jour entre la Finlande et l’Estonie, entre la Suède et la Lettonie, et entre le Danemark, voire la Pologne, et la Lituanie. Les grands États n’étaient pas en reste : l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne ainsi que les États-Unis ont établi des relations militaires suivies. Les Baltes ont certainement apprécié ces relations, nouvelles pour eux, de même que les flux d’assistance mis en place. Ils témoignent de l’intérêt politique porté par les partenaires occidentaux. Toutefois, les structures politiques et militaires locales ne sont pas suffisamment établies pour que tout le bénéfice possible en soit tiré.
Dans le même temps, les Occidentaux prenaient conscience de l’immensité du travail à accomplir et arrivaient à la conclusion qu’il fallait se répartir les tâches pour rentabiliser les budgets qu’ils peuvent consacrer aux Baltes. Différents groupes de travail ont alors vu le jour.
L’International defence advisory board agit au niveau le plus élevé. Il s’est donné comme objectif de conseiller les autorités baltes pour la mise sur pied de leur politique de défense et pour la concertation interministérielle. Un Britannique, le général Johnson, assure la direction de ce groupe non officiel qui s’est déjà réuni une dizaine de fois. Les Scandinaves, l’Allemagne, la France et les États-Unis participent aussi à ses travaux. À la demande des Baltes, il verra son activité pérennisée alors qu’initialement son existence était provisoire. L’Otan a été tentée par une participation, mais des raisons politiques évidentes ont fait repousser cette idée.
Au niveau inférieur, le Defence management assistance est destiné à apporter aux Baltes des conseils pour la création et le fonctionnement d’une administration de défense. Sa tonalité est donc plus proche du conseil en organisation que de la technique militaire. Il est cependant plus difficile à ce groupe d’exercer ses talents. La structure des ministères des trois États tient compte des particularités nationales et des équilibres politiques intérieurs. L’assistance peut donc difficilement être dispensée de façon indifférenciée alors qu’il s’agit là d’une règle d’action des Occidentaux vis-à-vis des Baltes. Cela explique que cette institution se soit réunie moins souvent. Il n’en demeure pas moins qu’elle répond à un besoin ; les mêmes États occidentaux ont donc décidé d’y participer et, comme le précédent, ce groupe travaille sous présidence britannique.
Le secteur purement militaire n’est pas tenu à l’écart des offres européennes d’assistance. La mise sur pied du bataillon balte tripartite (Baltbat), requiert un fort soutien des Occidentaux habitués à la coopération internationale, rodés à la recherche quasi quotidienne de compromis et équipés pour mener à son terme un projet aussi ambitieux. Le comité directeur du bataillon se réunit plus fréquemment que les autres groupes et voit ses travaux préparés par des sessions techniques. La même série de pays occidentaux y participe. Ceux-ci agissent par le conseil, la mise à disposition de personnel et par des dons de matériels. Jusqu’alors la France, en raison de sa position géographique, y avait un rôle d’observateur mais la réussite relative de cette œuvre multinationale pourrait la pousser à s’y engager plus fortement.
Les séances du comité se tenaient traditionnellement à Copenhague, montrant ainsi la paternité danoise du projet. Depuis peu, la décision a été prise de se réunir alternativement dans les capitales des pays directement intéressés. Cet épisode traduit le souhait concurrent des Britanniques et des Danois d’assurer, sinon la direction formelle, du moins la mise en cohérence de l’activité de ces groupes et l’orientation de leurs travaux. On voit probablement réapparaître les termes du débat que l’on avait connu à l’Otan au moment de la détermination du commandement compétent pour la Baltique. Les arguments britanniques en faveur de la dévolution au commandement nord-ouest (Afnorthwest), installé dans la banlieue de Londres, s’opposaient à ceux des Danois et du commandement centre (Afcent) plus continental.
On constate enfin que la coordination de la coopération occidentale a su rester suffisamment technique et à petit niveau pour que la Russie ne s’en soit pas formalisée. ♦