Aéronautique - La défense aérienne élargie, un défi stratégique pour le troisième millénaire
Parmi les grandes fonctions opérationnelles définies par le chef de l’État pour nos forces armées, la prévention et la protection deviennent, plus que jamais, des priorités essentielles pour répondre au nouveau contexte de notre politique de défense.
La prévention vise à éviter la résurgence d’une menace majeure contre notre pays et à empêcher la naissance de conflits, notamment régionaux, qui, de proche en proche, pourraient en arriver à mettre en cause notre sécurité. La protection quant à elle, concerne la garantie de notre intégrité et implique, tout particulièrement, la maîtrise de la troisième dimension. Or, depuis la guerre du Golfe et les tirs de missiles Scud irakiens, l’opinion a pris conscience du péril nouveau que constitue l’arme balistique. Menace militaire redoutable, elle représente également un moyen de pression formidable pour les pays qui en disposent, du fait de son impact psychologique important.
Prévenir toute prolifération et se protéger contre toute attaque balistique constituent donc un véritable défi pour notre sécurité, auquel le concept de défense aérienne élargie peut apporter une réponse.
De quoi s’agit-il ?
La défense aérienne élargie se définit comme l’extension de la défense aérienne existante et de tous ses éléments, afin de contrer en vol par des moyens classiques l’ensemble des menaces que des missiles tactiques, de croisière ou tout véhicule aérien ennemi font peser sur les moyens amis en utilisant l’espace aérien. Elle englobe donc la défense aérienne classique et prend en compte logiquement la continuité du milieu constitué par la troisième dimension. Cette extension est déjà réalisée aux États-Unis et au Canada au sein du Norad (North American Aerospace Defense).
L’article qui suit se propose d’analyser la menace balistique, d’évaluer la prolifération, puis d’examiner les parades adaptées.
La menace balistique
Dans un récent ouvrage, François Heisbourg définit la menace comme une « capacité soutenue par une volonté hostile ». Or, le début des années 80 a vu des développements technologiques importants, avec pour corollaire la banalisation d’industries de pointe qui facilitent l’accession aux capacités balistiques.
Ainsi les techniques relatives au guidage des missiles se sont-elles généralisées. La mise à disposition d’utilisateurs civils des satellites de navigation américains Navstar GPS et russes Glonass permet, pour un prix dérisoire, une précision d’une centaine de mètres. On peut également citer l’essor de la commercialisation des photographies à haute résolution, prises par des satellites civils, mais dont la précision est suffisante pour permettre le choix d’objectifs. Enfin, les puissances de calcul des micro-ordinateurs disponibles sur le marché et les progrès dans la propulsion ne peuvent que faciliter ce qu’il est aujourd’hui convenu d’appeler la prolifération balistique.
La prolifération
Si la guerre du Golfe et les tirs des missiles Scud irakiens sur Tel-Aviv et Riyad ont accéléré la prise de conscience de la menace balistique, celle-ci n’est pourtant pas nouvelle. En effet, de nombreux missiles ont été utilisés à l’occasion des divers conflits qui secouèrent la planète : 2 000 Scud lors de la guerre d’Afghanistan, 189 pendant la guerre Iran-Irak. L’Europe n’a d’ailleurs pas été épargnée, ayant subi le tir de 2 Scud libyens en 1986 contre des bases américaines en Italie.
On estime qu’aujourd’hui une vingtaine de pays disposent de missiles balistiques opérationnels, mais bien d’autres ont lancé des programmes de développement, ou envisagent un achat « clé en main » de systèmes opérationnels.
Aussi, face à la menace qui se développe et à laquelle nos forces armées se trouveront de plus en plus sûrement confrontées lors d’interventions extérieures, doit-on s’interroger sur les parades possibles.
Les moyens de protection
La menace « missile » appelle plusieurs types de réponses, que l’on peut classer en trois grandes catégories : les moyens préventifs politiques et diplomatiques, les moyens militaires offensifs et les moyens militaires défensifs.
Il s’agit tout d’abord de lutter politiquement et diplomatiquement contre la prolifération des technologies sensibles. C’est le but des politiques de non-prolifération auxquelles la France souscrit activement, concrétisées par l’accord de contrôle des technologies balistiques (MTCR : Missile Technology Control Regime), dont les bases ont été définies en avril 1987.
Les moyens militaires offensifs concernent les systèmes d’armes perfectionnés qui peuvent servir à la destruction des lanceurs de missiles balistiques. Nos forces en sont dotées aussi bien en senseurs qu’en armes.
Les moyens militaires défensifs peuvent être de nature passive ou bien active. Le durcissement, le camouflage et la dispersion répondent au besoin de protection passive des objectifs militaires. Cependant, force est de constater que les moyens de protection défensifs actifs sont pour l’instant inexistants. Or l’expérience actuelle montre que la diplomatie a ses limites, même lorsqu’elle s’appuie sur des moyens militaires puissants.
Il s’agit donc de construire, en ultime parade, un système de défense aérienne élargie, seul capable de permettre l’interception des missiles assaillants avant qu’ils ne puissent atteindre leurs objectifs. Véritable système de systèmes, une telle architecture comprend trois grands ensembles complémentaires les uns des autres assurant les fonctions d’alerte, de communication et d’interception.
Vers un système d’alerte satellitaire
La priorité doit porter en premier lieu sur l’alerte, fonction essentielle pour surveiller la prolifération en localisant les tirs d’essai, repérer le départ des missiles balistiques menaçants, identifier sans ambiguïté l’agresseur et alerter les autorités et la population en cas d’attaques.
Le choix se porte actuellement sur un système constitué de deux satellites géostationnaires, couvrant une vaste zone mondiale et équipés de capteurs sensibles aux rayonnements infrarouges. Ces senseurs sont en mesure de localiser le départ d’un missile dans un carré de cent kilomètres de côté et de le suivre dans toute sa phase propulsée. Alors même que les étages se séparent, la première alerte a été donnée et le missile est alors suivi dans sa phase balistique par des capteurs plus sensibles. C’est au cours de cette deuxième phase que sont élaborés les éléments de trajectographie, et ce en moins d’une minute. La détermination du point d’impact s’effectuera au cours d’une troisième phase lorsque, avec une précision d’environ trente kilomètres, les calculs la permettront.
Les SIC, véritable ossature de l’édifice
Élément clé d’une défense antimissiles, le système d’information et de communication est nécessaire à la transmission de l’ensemble des données aux conduites de tirs des missiles intercepteurs. Une des caractéristiques principales de la menace balistique est le faible temps de vol et de préavis dans la boucle de décision d’engagement, ce qui nécessite donc la définition de procédures rapides, sûres et interopérables. Les systèmes de transmission de données en cours de développement (liaison 16, Mids…) pourront satisfaire ce besoin.
Principe d’une défense aérienne élargie
Une des solutions étudiées repose sur un certain nombre d’avions de chasse Rafale assurant l’alerte en vol sur des « hippodromes », sortes de circuits d’attente à haute altitude. Ces appareils, en liaison avec la station au sol de traitement de l’alerte, recevraient, via un Awacs et par transmission de données, des paramètres d’interception des missiles à détruire en vol. Cette tâche serait réalisée par un missile air-air à concevoir.
Une coordination étroite devrait être réalisée avec les moyens sol-air ayant des capacités anti-balistiques. Le programme « famille sol-air futur » (FSAF), développé en coopération avec l’Italie pour remplacer les systèmes sol-air courte portée type Hawk, peut répondre à ce besoin. Par ailleurs, la France a signé une lettre d’intention avec l’Allemagne, l’Italie et les États-Unis pour un développement éventuel de système sol-air moyenne portée contre tous types de cibles aériennes (programme Meads : Medium Extended Air Defense System). Il importe donc dès à présent de définir les missiles d’interception les mieux adaptés au besoin afin de garantir la cohérence d’ensemble.
Conclusion
Les évolutions géostratégiques et politiques, les progrès techniques facilement accessibles favorisent la prolifération de la menace balistique. Face à ce nouveau péril, les moyens de protection diplomatiques et militaires adaptés doivent être développés en complémentarité les uns des autres.
Le concept de « défense aérienne élargie », véritable système de systèmes, répond à ce besoin et doit d’abord être amorcé par le déploiement d’un système d’alerte avancée utilisant des moyens spatiaux. La définition des architectures de ce système, les procédures de mise en œuvre, son financement sont autant de défis à relever et paraissent être les champs les plus propices à la coopération européenne ou transatlantique. ♦