Défense dans le monde - La saison des congrès
Les congrès permettent de mesurer l’état exact des relations internationales en Europe. On y prend la mesure des solidarités conjecturées ou avérées, on y découvre, ou on y souligne, des difficultés que l’on aurait mal perçues autrement ou dont on aurait trop tardé à prendre conscience. Ils se tiennent habituellement au début de l’été quand les gouvernements ont besoin de faire un point de situation avant les vacances.
À la recherche d’une identité régionale
Après les réunions de Salzbourg en 1993, de Litomysl en 1994 et de Koszthely en 1995, c’est à Landcut, en Pologne, que se sont retrouvés les 7 et 8 juin les présidents d’Europe centrale pour leur quatrième rencontre. Les dirigeants autrichien, tchèque, allemand, slovaque, slovène, hongrois et italien avaient répondu à l’invitation de M. Kwasniewski qui avait aussi tenu à inviter M. Koutchma, le président ukrainien. L’initiative était particulièrement bienvenue car l’Ukraine est, de fait, la clé de la stabilité européenne et la garantie, malgré elle, de l’indépendance des pays de l’Europe médiane. Il était donc intéressant d’établir le dialogue avec elle, même si elle n’appartient pas à l’Europe centrale stricto sensu.
Les points forts de ce congrès ont été les traditionnelles rencontres bilatérales, mais aussi un débat télévisé de quatre-vingt-dix minutes entre tous les participants. On retiendra de la réunion de Landcut la qualité des relations polono-ukrainiennes et les perspectives de leur accentuation dont il sera question dans une prochaine chronique, le souci de la République tchèque de voir l’Ukraine s’éloigner d’un statut de neutralité et prendre toute sa place dans l’architecture européenne de sécurité. Le président Kovac de Slovaquie a tenu un rafraîchissant langage de vérité en conjurant ses partenaires de ne pas voir dans l’adhésion à l’Otan une fin en soi ni un motif de compétition entre les Peco. Peut-être avait-il en tête l’impératif de coopération économique prioritaire pour cette zone de l’Europe ?
On notera également la présence de l’Allemagne et de l’Italie, et la confirmation de leur rôle de pivot entre les deux parties de l’Europe.
Un mois plus tard, deux autres congrès se tenaient de façon concomitante.
Reprenant l’idée que l’Albanie avait eue en 1990 en réunissant à Tirana les représentants des pays du sud-est de l’Europe, la Bulgarie avait convié à Sofia, les 6 et 7 juillet, les ministres des Affaires étrangères des pays balkaniques. Seules la Grèce, la Roumanie et la Serbie avaient envoyé le chef de leur diplomatie. L’Albanie, la Slovénie, la Croatie et la Turquie étaient représentées à un niveau inférieur. La Macédoine a quitté la réunion dès ses premières heures car elle n’avait pu obtenir d’être désignée autrement que comme « ancienne république yougoslave de Macédoine ». Le coup porté à la diplomatie bulgare était rude : d’une part, en raison des liens affectifs que Sofia ressent pour Skopje, d’autre part, à cause de la cacophonie ainsi introduite au début d’une réunion conçue, en fait, pour affirmer le rôle régional de la Bulgarie.
La rencontre s’inscrit évidemment dans le bouillonnement diplomatique qui entoure la conduite de la guerre en Bosnie et répond, en partie, au souci d’organiser des sous-ensembles régionaux de l’OSCE, intention d’ailleurs traduite par le titre du document final : « Déclaration commune sur le bon voisinage, la stabilité, la sécurité et la coopération dans les Balkans ». Un certain nombre de décisions concrètes y ont été prises pour faciliter le commerce et les communications dans la région.
Le premier intérêt de ce congrès était de tenter de cerner la notion bien imprécise de « Balkans » qui est, au singulier, un massif montagneux de Bulgarie. Si la Slovénie et la Croatie ont participé, Ljubljana a formellement déclaré ne pas se considérer comme balkanique, tandis que la délégation croate a seulement fait acte de présence en ne prenant pas part aux travaux. La Turquie était présente plus, sans doute, pour des raisons historiques et économiques que géographiques.
Les différents entretiens ont permis de pointer quelques soucis de minorités : les journalistes bulgares ont ainsi questionné les envoyés grecs sur l’intérêt de la presse de leur pays pour l’autonomie des Pomaks, d’autres se sont souciés auprès de la délégation de Belgrade du sort des Bulgares de Serbie ; toutes choses d’importance régionale qu’il est pourtant bon de se remémorer de temps en temps.
Cette réunion aura des suites. Les ministres de la Défense de ces pays devraient se revoir à Sofia avant la fin de 1996 et les ministres des Affaires étrangères se retrouveront en 1997 en Grèce. La guerre en Bosnie sera alors entrée dans la phase de l’après-Ifor et ce congrès sera l’occasion de faire un point intéressant.
Économie et politique
Dans le même temps, du 7 au 9 juillet, le Forum économique mondial de Davos avait suscité un « Forum sur l’Europe de l’Est » accueilli à Salzbourg. Par nature destinée aux hommes d’affaires et aux dirigeants économiques, cette rencontre a cependant permis aux dossiers politiques de suivre leur cours. On y a retrouvé les mêmes participants qu’à Landcut, auxquels s’étaient jointes Roumanie, Bulgarie, Albanie, Bosnie, Serbie, Lettonie et Russie. Une finalité indirecte de ce colloque était, pour Vienne, de poursuivre le vieux rêve de redevenir la plaque tournante de l’Europe centrale. Le but direct était de réfléchir au moyen de faire bénéficier le continent du potentiel de croissance de l’Europe centrale. Bien entendu, face à une telle gageure, aucune réponse ne pouvait être immédiate. Il a donc été décidé de se revoir l’année prochaine dans la même configuration.
Le président autrichien, adepte de la sortie de neutralité, a profité de l’occasion pour délivrer un vibrant plaidoyer en faveur de l’adhésion de son pays à l’Otan. À l’inverse, en marquant son hostilité à l’extension de celle-ci, le délégué russe a soufflé le froid après que la Russie eut soufflé le chaud au sommet de l’Alliance à Berlin quelques semaines plus tôt.
Le président ukrainien a fait sensation en proposant l’instauration d’une zone dénucléarisée en Europe, de la Baltique à la mer Noire. Cette initiative, encore peu débattue, a de beaux jours devant elle.
En conclusion de ces trois congrès, on notera la multiplication des configurations non officielles qui montrent l’inadaptation d’autres institutions pourtant plus classiques. Ensuite, dans la mesure où ces congrès ont été convoqués par les Peco eux-mêmes, on retiendra le dynamisme spécifique de l’Europe centrale, mais aussi la difficulté dans laquelle elle se trouve de choisir le format le plus adapté pour organiser son avenir. Dans cette perspective, l’élargissement de l’Otan ne va-t-il pas venir trop tôt en figeant pour des années une zone de l’Europe dont la souplesse et la capacité d’adaptation sont les principaux atouts ?
On constatera enfin le rôle actif de Berlin. On y voit la confirmation de la volonté de l’Allemagne de s’engager dans la région médio-européenne, ce qui ne se fera probablement pas à coût nul pour elle. Elle ne pourra pas, à la fois, calquer sa diplomatie sur celle de l’Otan et disposer d’un statut régional.
Activisme magyar
Dans les mêmes parages, mais dans un genre différent quant à ses conséquences, le quatrième congrès de la Fédération mondiale des Hongrois s’est tenu à Budapest. Il publiait les 4 et 5 juillet une « déclaration commune » qui est à l’origine, sinon d’un incident, du moins d’une tension dans la région. Il y est question (article 3) « d’auto-administration et d’autonomie » des minorités hongroises à l’étranger. Certes, tout cela est envisagé « dans l’esprit des normes internationales », mais le mot était lâché. Si l’on ajoute que les organisations de Hongrois à l’étranger sont assurées, par le document, du soutien des autorités de Budapest, on connaîtra l’origine de la réaction vigoureuse de Bratislava et de Bucarest, les deux capitales européennes les plus concernées, en dehors des garantes du traité de Trianon, par la question des minorités hongroises.
Leur réaction a peut-être été amplifiée par le comportement antérieur d’une partie de la classe politique hongroise. En mars de cette année, la commission des affaires étrangères du Parlement hongrois a empêché que vienne en discussion une motion du parti des petits propriétaires demandant l’annexion de six communes ukrainiennes frontalières. Parmi les signataires de la « déclaration commune » figurent deux associations de Hongrois d’Ukraine. Au printemps, on a également enregistré le souci actif de Budapest de mieux garantir le statut des Hongrois de Voïvodine en Serbie. Devant l’énergie des réactions slovaque et roumaine, Budapest a dû s’expliquer et se justifier sans, toutefois, retirer le texte litigieux.
L’apaisement des tensions ancestrales dans cette partie de l’Europe à la mémoire aussi douloureuse prendra du temps et demandera l’adresse et le doigté des gouvernements concernés.
Septembre 1996