Gendarmerie - Le service historique de la Gendarmerie nationale
Si d’aucuns peuvent être portés à constater un certain développement des recherches sur la gendarmerie, ce phénomène, il est vrai encore largement embryonnaire, participe de la conjonction de diverses initiatives, dont la plus significative est, sans conteste, la politique d’ouverture entreprise par cette institution depuis le début des années 90. Grandement favorisée par l’électrochoc qu’ont pu représenter la fronde épistolière des gendarmes et le malaise de l’été 1989, cette ouverture s’est traduite, tout d’abord, par le souci qu’a pu avoir la direction générale de la gendarmerie de permettre aux chercheurs et aux universitaires d’accéder, presque sans réserve, à l’ensemble des informations nécessaires à leurs travaux, notamment dans le dessein de tirer parti d’un autre regard sur la réalité de l’institution : un regard souvent critique et même dérangeant, mais de nature à apporter cet éclairage extérieur dont la nécessité n’est plus à souligner bien qu’il fasse le plus souvent défaut aux décideurs et acteurs institutionnels. Dans le même ordre d’idées, l’ouverture des colonnes de cet ouvrage de connaissances et de débats qu’est devenue la Revue d’études et d’information de la gendarmerie à des chercheurs et à des personnalités extérieures participe d’une logique analogue, que l’on retrouve d’ailleurs dans la création du « prix littéraire de la gendarmerie » — dans le prolongement du « prix Moncey » attribué de 1976 à 1987 — destiné à récompenser, chaque année, des œuvres de fiction, mais aussi des essais et des travaux de recherche portant, à des degrés divers, sur la gendarmerie.
Afin de relancer les recherches sur les huit siècles d’histoire de cette institution, il a été également décidé, au mois de mars 1995, de mettre en place, aux côtés des services historiques propres à chacune des trois armées, un service historique de la gendarmerie nationale (SHGN). Implanté désormais au fort de Charenton à Maisons-Alfort, cet organisme, qui relève directement, pour emploi, du directeur général de la gendarmerie (1), a pour mission première de préserver les documents écrits inlassablement établis au cours des époques par les unités de ce qui est devenu, par la loi du 16 février 1791, la gendarmerie nationale, de manière à permettre leur exploitation par ceux dont la tâche est de rédiger, pour reprendre la formule de Paul Veyne, le « roman vrai » de la gendarmerie, c’est-à-dire son cheminement dans le temps : une histoire qui se conjugue d’ailleurs avec celle de la France, tant il est vrai que la présence du gendarme dans la vie quotidienne et dans les représentations collectives des populations en fait un des principaux acteurs d’une histoire qui s’écrit aussi sûrement dans les rues, les ateliers et les habitations que sur les champs de bataille, le pavé de la capitale et dans les palais nationaux. Aussi, et sous réserve de la gestion de la symbolique et du maintien des traditions, le SHGN s’est-il vu confier, plus particulièrement, deux tâches principales :
La conservation, le classement et la communication des archives de la gendarmerie. Dispersés dans plus d’une centaine d’établissements sur l’ensemble du territoire (avec des dépôts notamment aux Archives nationales, dans les diverses archives départementales, dans le service historique de l’armée de terre et dans la section « archives » du SHGN implanté au Blanc dans l’Indre), ces documents indispensables au travail de l’historien doivent ainsi — à défaut de pouvoir faire l’objet, au moins dans l’immédiat, d’un regroupement dans un site unique, compte tenu alors du coût et des difficultés pratiques engendrés par une telle mesure — être recensés et inventoriés, de manière à en permettre une exploitation systématique, à la fois exhaustive et valide d’un point de vue méthodologique ;
La constitution d’une documentation historique sur la gendarmerie, en particulier par la production d’études, la collecte des documents écrits et le recueil de témoignages oraux, ainsi que le développement des recherches sur cette institution, en liaison avec la communauté universitaire ; et de préciser combien, là aussi, un inventaire de l’ensemble des sources documentaires (ouvrages, études, périodiques, mémoires, documents de formation…) au sein des diverses bibliothèques que compte l’institution peut apparaître comme le préalable indispensable à la mise sur pied prochaine d’un authentique centre d’études et de documentation de la gendarmerie, susceptible, grâce à l’utilisation de l’informatique et de la télématique, d’offrir aux chercheurs les services d’une banque de données centralisée recensant l’ensemble des sources disponibles (et leur localisation exacte) pour qui s’intéresse à tel ou tel aspect de l’organisation et du fonctionnement de la gendarmerie d’hier et d’aujourd’hui.
Pour sa part, le chef du SHGN (actuellement le général Jean-Claude Marion), par ailleurs délégué au patrimoine culturel de la gendarmerie, est chargé d’une fonction de conseiller technique du commandement (il propose ainsi les orientations à donner, d’une part, aux recherches historiques pouvant, le cas échéant, éclairer les choix et les décisions de la direction générale, d’autre part, à l’enseignement de l’histoire et des traditions de la gendarmerie entrant dans la formation initiale et continue de ses personnels), d’inspecteur des fonds historiques des bibliothèques existant au sein des formations de la gendarmerie, et de représentant de cette institution dans les organismes et réunions consacrés aux archives et à l’histoire des forces armées françaises (il est associé, à ce titre, aux travaux des diverses commissions des archives, du comité des archives de la défense, de l’institut d’histoire militaire comparée, du centre d’études d’histoire de la défense et du comité interarmées du patrimoine culturel de la défense).
Bien qu’il soit encore pour le moins prématuré d’apporter la moindre réflexion d’ensemble sur l’action de cet organisme encore dans sa phase de montée en puissance, le souci légitime de promouvoir la recherche historique sur la gendarmerie peut conduire à formuler les deux remarques suivantes :
En premier lieu, la réalisation des objectifs utilement ambitieux confiés au SHGN semble supposer l’attribution de moyens en personnels, sans commune mesure avec l’affectation actuelle dans cet organisme, à côté des structures de commandement et de secrétariat, d’une part, d’une poignée d’appelés du contingent disposant de diplômes universitaires de second ou de troisième cycle (une ressource qui d’ailleurs va très probablement se raréfier et disparaître avec la réforme du service national), d’autre part, d’un lieutenant de réserve historien de formation avec un contrat « réserve active » (pour une durée de 100 jours par an). Sous réserve de la possibilité de disposer dans les rangs mêmes de la gendarmerie d’officiers et de sous-officiers possédant les qualifications universitaires requises pour la réalisation et l’encadrement d’études historiques, la solution peut-être la plus satisfaisante en ce domaine se situe, outre la passation de conventions de recherche et de formation avec des établissements d’enseignement supérieur, dans la possibilité de délégation ou de détachement auprès du SHGN d’enseignants et de chercheurs appartenant à la communauté universitaire ;
En second lieu, l’ouverture en direction de l’université doit demeurer, en toute hypothèse, l’une des priorités de l’action du service historique de la gendarmerie. Au-delà des facilités offertes aux chercheurs pour accéder aux données et informations documentaires, le SHGN peut apparaître comme une passerelle indispensable entre la gendarmerie et l’université, notamment à la faveur de l’organisation d’activités communes (recherches, colloques, groupes d’études, conférences, publications…). Pour autant, en ce qui concerne ce nécessaire partenariat avec la communauté universitaire, il appartient à la gendarmerie de se garder résolument d’insérer dans sa propre action les errements et dysfonctionnements de l’université française, au rang desquels figurent notamment le cloisonnement disciplinaire et le parisianisme. En effet, si l’historien peut apparaître comme l’interlocuteur privilégié du SHGN, cet organisme peut difficilement ne pas tirer profit, conjointement, de l’apport du juriste, du politologue ou du sociologue pour comprendre — dans leur hétérogénéité, complexité et continuité — les phénomènes « gendarmiques ». Dans le même ordre d’idées, par-delà, objectivement, la commodité géographique et une certaine concentration des établissements d’enseignement supérieur dans la région parisienne, il appartient également à cet organisme de ne pas se laisser gagner par le postulat éminemment contestable et injustement diffusé selon lequel existeraient, dans la recherche universitaire, et pour reprendre le titre de l’ouvrage célèbre de ce précurseur de l’aménagement du territoire Jean-François Gravier, Paris et le désert français. ♦
(1) Instruction du 1er octobre 1996 relative à l’organisation et au fonctionnement du service historique de la gendarmerie nationale.